L'innovation à l'heure des enjeux climatiques
Alexandre JUBIEN - Conférencier

L'innovation à l'heure des enjeux climatiques

Qui êtes-vous ? Que faites-vous ?

Je m'appelle Alexandre Jubien, initialement spécialiste du numérique, je suis aujourd'hui conférencier expert de l'innovation et du développement durable. Je suis connu pour avoir été un des bâtisseurs de Deezer où j'ai construit l’équipe mobile et les applications désormais adoptées par des millions d’utilisateurs dans le monde. En 2015, poussé par mon très fort attachement à la cause environnementale, j'ai décidé de donner une nouvelle orientation à ma carrière pour enfin devenir pleinement, en cette rentrée, un acteur du développement durable. Ce cheminement a débuté à travers le conseil auprès de startups à impact, notamment Karos, une plateforme de covoiturage quotidien, que j'ai eu le plaisir d'accompagner au début de son aventure. J'ai réalisé que mes compétences pouvaient servir cet univers. J'ai alors dégagé peu à peu du temps pour réaliser du conseil pro bono auprès d'ONG et j'ai cherché à trouver ma place, à trouver le meilleur rôle à jouer dans cette grande mission de notre génération et des suivantes si on leur permet d'y concourir. Cette mission c'est préserver la vie sur terre telle que nous la connaissons !

Pouvez-vous préciser en quoi cette rentrée marque une nouvelle étape dans ce cheminement ?

Avant la crise sanitaire, mon métier consistait surtout à tenir des conférences en entreprises sur l'innovation et la transformation numérique. Désormais mes conférences traitent quasi exclusivement de développement durable. J'ai fait récemment une intervention à propos de la communication responsable, notamment en invitant à réfléchir au rôle de la publicité dans cette grande mission. J'ai également animé les interventions des startups du pavillon BPI France sur l'événement Produrable. J'ai pris un nouveau rôle d'adviser au sein de la startup Vetted (une marketplace des solutions durables). Mais je suis surtout conférencier et deux de mes conférences sont parfaitement en ligne avec le sujet de notre entretien puisqu'elles s'intitulent : "De la transformation numérique à la révolution écologique" et "Développement durable : les nouveaux courants de l'innovation" !

En résumé, j'ai changé ma vie professionnelle pour la mettre au service de ces sujets-là.

Dans quel état d’esprit général vous trouvez-vous actuellement ?

Très positif. La période covid a ruiné ce que je faisais avant la crise, en revanche elle a été une véritable opportunité pour moi de faire le switch et de passer à ce que j'avais vraiment envie de faire, c'est à dire devenir un acteur du développement durable. Et même si je suis un partisan de l'approche "Donut", qui intègre les aspects sociaux de la transformation, je me focalise particulièrement sur les sujets environnementaux car c'est là que l'urgence est la plus immédiate. 

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J'ai pu également profiter de cette période pour me former et parmi les formations que j'ai suivies, j'ai énormément apprécié le "Focus lab Biomimétisme" de l'institut des futurs souhaitables. Je me suis également formé à l'animation des fresques du climat, océane et de la biodiversité. Je me suis doté d'outils pour essayer d'inspirer les gens, pour les emmener vers une refonte de l'entreprise, une évolution de business model. Je cherche à leur faire entrevoir les opportunités qui s'offrent à eux. Je ne parle pas d'opportunités de business juteux et lucratifs mais plutôt d'opportunités de résilience. Ce qui n'est pas forcément facile à comprendre lorsque l'entreprise n'est pas encore directement confrontée au risque. Je prends souvent l'exemple de l'industrie de l'assurance, où j'ai pas mal œuvré, car elle est déjà en disruption climatique. La recrudescence des incendies et des inondations remet déjà en cause la survie de leur modèle économique. Je fais aussi beaucoup de parallèles avec la révolution numérique qui est une révolution culturelle, où il y a eu beaucoup de disruptions technologiques. Les conséquences du dérèglement climatique sont semblables mais avec des enjeux d'un autre ordre. Contrairement à la faillite de Nokia, il y a des vies ou du confort de vie en jeu. 

"Je tente d'ouvrir les chakras de mes auditeurs, de les inspirer sur les bons leviers à activer. Je me souviens d'un article intitulé : "Entreprise perdue cherche guide !". Je propose de répondre à ce besoin en orientant mes clients vers les nombreuses ressources et lectures dont je m'alimente."

Si je devais résumer ma posture positive, je dirais qu'elle vient de trois constats. Le premier est que nous sommes de plus en plus nombreux à ne plus regarder ailleurs, à être bien informés, voire formés. Le second, c'est l'entraide qui se développe parmi les gens conscients qui est assez puissante, une sorte de solidarité inconsciente qui germe souvent à travers les réseaux sociaux. Le troisième est qu'il est encore temps et que nous avons les moyens d'agir. Enfin, tous les projets qui portent cet ADN et qui cristallisent ces 3 caractéristiques, se multiplient et s'accélèrent : les Fresques, Time for the Planet, the Shift Project, etc.

Vous êtes vous-même co-fondateur d'un projet similaire dans le domaine de la musique ? Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Je participe en effet à la création d'une ONG que nous avons lancée le 17 septembre dernier, qui s'appelle Music4Planet, une association qui réunit des acteurs de l'environnement et de la musique. Cette industrie a été sinistrée deux fois dans un passé récent. La première fois avec l'arrivée du téléchargement, la seconde à cause de la crise du covid. Elle est de ce fait très centrée sur ses propres problèmes et moins sur les enjeux environnementaux alors même qu'elle a un pouvoir immense d'inspiration de ses audiences. Des artistes ont commencé à faire des choses dans leur coin et nous souhaitons fédérer ces actions en impliquant pas seulement les artistes mais également les organisateurs de spectacles, de festivals, etc. Bref, tous les acteurs de la filière. Nous avons déjà de nombreux contacts ainsi que de nombreuses sollicitations, notamment dans le classique et le jazz.

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Qu'est-ce qui a déclenché cette réorientation professionnelle entièrement dédiée à la cause environnementale ?

Ce qui m'a beaucoup aidé, c'est de remettre les mains dans la terre, de planter des patates chez moi avec mes enfants. Une expérience très bénéfique pour moi qui avais choisi un métier dans le digital un peu par hasard, peut-être le métier le plus hors sol qu'on puisse imaginer. J'ai bossé dans les jeux vidéo, la réalité virtuelle et pourtant mes passions sont le surf, la pêche, la plongée, brefs des activités 100% nature. Je me suis rendu compte vers 2015 que je pouvais servir ces causes-là à travers mon métier. Mais ce fut un gros choc car une fois qu'on se documente sérieusement sur le sujet, on découvre l'ampleur du problème et que les nouvelles ne sont pas très bonnes. Je me suis rendu compte qu'avant cette prise de conscience, j'avais fait le deuil du vivant, pensant que l'humanité pouvait peut-être s'en passer. Il faut que nous sortions de cette croyance absurde que nous ne faisons pas partie du vivant, ou que l'on peut s'en soustraire. Mon objectif est de faire prendre conscience de ce biais, d'abolir cette idée que nous pourrions nous en passer.

Quelle définition donnez-vous à l’innovation ?

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Innover, c'est résoudre un problème, mais un problème réel, pas un qu'on a imaginé ! les problèmes peuvent être plus ou moins importants et ce qu'on peut déplorer, c'est que les cerveaux les plus brillants de la planète sont occupés à faire cliquer les gens sur de la pub ! Les enjeux sont mal adressés.

 

 



Que vous inspire ce qu’il est commun d’appeler la transformation digitale des entreprises ?

Je m'intéresse surtout au numérique positif. Ce que j'appelle le numérique contributif. Les gens ont pris conscience qu'il existait un sixième continent de plastique parce que les images ont fait le tour des réseaux sociaux en 2018. Les réseaux sociaux permettent aux gens de se rencontrer, de s'informer, de créer l'entraide, de développer l'aura d'influencers tels que JM Jancovici par exemple, etc.

Et puis il y a les aspects liés à l'entreprenariat. En tant que spécialiste des startups à impact, j'ai constaté que même quand le coeur n'est plus numérique, les méthodologies d'innovation en sont inspirées, comme les méthodologie centrées utilisateurs par exemple et dans le prolongement, celles centrées sur le vivant pour faire référence au biomimétisme.

De même, l'intrapreneuriat à bien fonctionné dans la transformation numérique. L'engagement des collaborateurs peut être injectée dans la transformation responsable.

 Êtes-vous favorable à l’introduction de la 5G ?

 Nous n'avons pas un problème de 5G, nous avons un problème de 5°C !!  

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Je possède depuis peu un téléphone qui en est équipé et je ne vois pas de différence entre la 4G et la 5G. La question de l'accès se pose également : dans les zones où les opérateurs n'ont aucun intérêt à fournir du réseau, il n'y a ni 3G, ni 4G et encore moins la 5G. Je trouve aussi que les progrès deviennent marginaux.

Je suis effrayé par ce que Facebook veut faire, en permettant aux gens de se réfugier dans le virtuel pour ne pas voir la noirceur du réel. Nous devons impérativement regarder les problèmes en face. Si je devais donner une trajectoire à l'humanité, ce serait d'arrêter de faire joujou, nous avons terminé notre croissance, nous sommes adultes. La seule croissance qui m'intéresse, c'est celle de mes enfants. Lorsqu'ils seront adultes, je ne vais pas leur demander de grandir encore. Je ne vais pas leur demander de décroître pour autant, mais de se nourrir d'autres choses. Il faut que l'humanité mette à profit tous les joujoux qu'elle a créés au service de sujets un peu plus sérieux pour tendre vers ce que je qualifie de symbiose humanité/planète. Aller dans l'espace ou la fusion nucléaire ne va pas nous sauver. Il va falloir serrer les fesses pendant un moment en espérant que ça passe, en espérant qu'on ne soit pas empêchés d'agir, en attendant que cette symbiose advienne.

 Que vous inspirent les sujets suivants :

 Biomimétisme :

  • Je suis formé mais je ne suis pas un spécialiste en biomimétisme. Un sujet qui me paraît important est celui de la psychologie environnementale. Les ingénieurs ont tout intérêt à s'intéresser à ces sujets. Les ingénieurs, tout comme les scientifiques, sont des humains, ce ne sont pas uniquement des machines froides à faire des calculs. Ils ne doivent pas contenir leurs émotions car les accueillir est aussi un moyen d'accroître leurs compétences. Dans le même esprit, les climato-sceptiques que j'ai pu rencontrer étaient dans un déni protecteur, avec ce paradoxe que, tout en niant le phénomène du réchauffement, ils sont les premiers fervents promoteurs de la géo-ingénierie pour résoudre un problème qu'ils réfutent ! Et puis, je me méfie de ces idées d'apprentis sorciers car je crains que les politiques ne cèdent à la tentation de solutions technologiques d'apparence viables et dont les conséquences pourraient se révéler désastreuses et irréversibles.

Low tech :

  • C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup tout comme le "rétro tech" qui est une philosophie très inspirante qui casse le côté "on revient à l'âge de pierre" car elle invite à s'inspirer de ce que l'on faisait hier mais avec les technologies d'aujourd'hui.

Économie circulaire :

  • Je m'intéresse à ce que j'appelle les nouveaux courants de l'innovation, qui vont nous faire penser différemment, qui devraient davantage contribuer au développement durable, sans pour autant croire que ce sont des solutions magiques. L'économie circulaire en est une qu'il est utile de creuser. Nous n'avons pas suffisamment essayé. Avec Christophe Léon et l'équipe de Collective Camp, nous travaillons sur des learning expeditions. Il s'agit de mises au vert avec des dirigeants, des entrepreneurs pour aller sur le terrain voir des choses qui se font concrètement et qui marchent, pour les inspirer et faire en sorte qu'ils s'emparent de ces sujets.

Permaculture :

  •  Je préconise de ne pas construire d'églises ! il faut croiser les silos. Pourquoi ne pas imaginer que l'intelligence artificielle puisse apporter une contribution utile à la permaculture ? Les 'permaculteurs' vont être très réticents à aller travailler avec des gens qui font de l'IA et les gens de l'IA ne voient pas du tout ce qu'est la permaculture. Je rêve d'un monde où on commencerait à croiser des courants d'innovation et où ces populations se parleraient pour innover ensemble. Pour moi, les véritables enjeux se situent dans cette capacité à croiser les courants.

"La technologie nous a apporté un confort incroyable, le plus grand probablement de l'histoire de l'humanité. Mais ce progrès technologique risque d'apporter un immense inconfort aux prochaines générations."


L’innovation est-elle selon vous LA solution pour répondre aux enjeux climatiques ?

L'innovation, quelle qu'en soit la nature, doit se mettre au service du progrès environnemental. Mais l'innovation n'est pas que technologique. Nous devons sortir de ce réflexe. Le "technosolutionnisme" est un grand piège. Selon moi, on ne peut pas dissocier l'innovation du progrès. La technologie nous a apporté un confort incroyable, le plus grand probablement de l'histoire de l'humanité. Mais ce progrès technologique risque d'apporter un immense inconfort aux prochaines générations.

La question que nous devons nous poser est celle-ci : Pourquoi ma liberté de polluer prévaut-elle au droit des générations futures à vivre sur une planète habitable ?

Pour conclure, quel conseil donneriez-vous aux futur(es) innovateurs(rices) ?

Parlez de votre projet ! Ne gardez pas votre projet pour vous ! Un des grands pans de l'ADN de l'innovateur est le réseautage. On pense généralement à tort qu'on va se faire "piquer" son idée. J'ai personnellement planté une startup à Bordeaux en 2005 en raisonnant de cette façon. Il faut davantage avoir peur de ce que personne ne parle de votre idée plutôt que de craindre que quelqu'un vous la vole.

Vincent Bechtel

Enthousiastic human - Founder @ Sinallagma "Les ombrières végétalisées" - Créateur d'Îlots de Fraicheur Urbains - Ombrières Atypiques, Durables - Made in France

3 ans

Merci Jean-Christophe Bajoit pour l'article 😀

Fayrouz CHAOUACHE-LAGARDE

Co-dirigeante L’Effet Bleu | Sensibiliser - acculturer - embarquer sur la RSE & la CSRD - Atelier Jeu de la Planète Bleue & Croc’ CSRD | Consultante RSE, Climat CCI Pays de la Loire DINAMIC+| Direction RSE externalisée

3 ans

Très bel article qui résume bien ton parcours à la détermination et à l'audace incroyables ! bravo :-)

Hélène PASGRIMAUD💚

J'accompagne vos envies de coopérations territoriales et de transition ✨ Conseil en transition, mécénat & engagement territorial des entreprises | DG de la Fondation Territoriale 86 | Facilitatrice et Fresqueuse |

3 ans

Bravo Alexandre Jubien et Jean-Christophe Bajoit, ravie de lire un article sur un super conférencier inspirant 😉 !

Frédéric Farré 🚀 M.

🎯Identifiez de nouvelles opportunités de marché ✅Auteur du livre "Cit'Actions pour inspirer notre transition"🌎Conférences & ateliers en Innovation durable💡

3 ans

Belle inspiration 😉

Sabrina Courtin - BenSalem

Directrice Marketing Communication | Responsable Digital et Data

3 ans

Merci Jean-Christophe Bajoit pour ce portrait de l'inspirant Alexandre Jubien. Comme quoi les esprits les plus brillants ne sont pas forcément tous en train de bosser pour que l'on clique 🙂

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