L’Insee évalue à 100 Md€ par an les dépenses annuelles nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en France
L'Insee s'invite dans le débat des investissements climat et de l'objectif 2030 de la France. Insee - Guilhem Vellut

L’Insee évalue à 100 Md€ par an les dépenses annuelles nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en France

Par Claire Avignon, le 15/10/2020 - Lire la dépêche en ligne

L’Insee a élaboré une trajectoire d’atteinte de la neutralité carbone par la France correspondant à des "dépenses annuelles pour le climat de l’ordre de 4,5 % du PIB par an jusqu’en 2050", soit environ 100 Md€ par an. Une évaluation supérieure à celle d’I4CE qui entraînerait "a minima, de doubler les efforts actuels". Le scénario optimal de l’organisme de statistiques consiste à réduire beaucoup plus fortement les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 que ce que prévoit la stratégie nationale bas carbone. Une conclusion qui va dans le sens de ce que propose la Commission européenne.

Quels investissements seront nécessaires pour que la France atteigne son objectif de neutralité climatique ? Depuis plusieurs années, les travaux d’I4CE font référence. L’Insee a décidé de se mêler au débat en publiant le 8 octobre dernier une étude intitulée "Prix social du carbone et engagement pour le climat : des pistes pour une comptabilité économique environnementale ?". Elle y établit un scénario central selon lequel il serait nécessaire de "porter la dépense pour le climat à 4,5 % du PIB par an chaque année jusqu’en 2050, contre une dépense effective estimée à environ 1,9 % aujourd’hui". Soit 100 Md€ (1), contre les 45,7 milliards effectivement dépensés en 2018.

De 77 Md€ à 157 Md€

La méthode de l’organisme officiel des statistiques consiste à "se fixer ex-ante une cible tutélaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre à un horizon donné, puis à mesurer l’effort à fournir pour atteindre cette cible de manière équitable, sur la base [des] connaissances sur les coûts des techniques de décarbonation". "L’effort ainsi défini se traduit par une dépense climat optimale, dépense au sens large pouvant être portée par l’ensemble des agents économiques (publics et privés)", précise-t-il.

Outre, le scénario central à 100 Md€, l’Insee fait une analyse de sensibilité dans laquelle la dépense climat optimale varie entre 3,4 % et 6,9 % du PIB environ (soit 77 Md€ à 157 Md€ par an), selon les hypothèses d’efficacité énergétique retenues.

Une différence d’approche

"La dépense climat annuelle — publique et privée — devrait être augmentée de 40 à 60 Md€ pour atteindre la neutralité carbone en 2050 dans le scénario central d’efficacité énergétique. Les évaluations produites par I4CE (32 à 41 Md€) et par la Commission européenne dans son rapport de 2018 Clean Planet for All (175 et 290 Md€ pour l’UE, soit 25 à 42 Md€ supplémentaires pour la France lorsqu’on rapporte au PIB) sont dans le même ordre de grandeur, mais à un niveau quelque peu inférieur", compare l’Insee. "Nous avons deux approches différentes, mais nos ordres de grandeur sont grosso modo identiques", commente auprès d’AEF info Quentin Perrier, chef de projet industrie, énergie et climat d’I4CE, et montrent que les investissements actuels sont insuffisants.

Le think tank explique que l’approche de l’Insee est très différente de la sienne, laquelle "considère, pour les secteurs du bâtiment, des transports et de la production d’énergie, les investissements qu’il conviendrait de réaliser pour respecter les budgets carbone détaillés dans la stratégie nationale bas carbone". "Si nous procédons ainsi par addition, c’est que nous pensons qu’il est plus utile, pour mettre en œuvre la transition, de connaître précisément les besoins concrets de chaque secteur. Nous reconnaissons volontiers que les besoins d’investissement ainsi calculés constituent un minimum, car certains secteurs ne sont pas traités dans notre évaluation."

Les technologies de décarbonation plus coûteuse avec le temps ?

Au-delà de la méthodologie, l’écart témoigne aussi de différences de vues. Pour l’Insee, les travaux d’I4CE et de la Commission "repose[nt] sur une vision un peu optimiste du coût des technologies qui devront être déployées lorsque l’on s’approchera de la neutralité carbone". L’organisme de statistiques anticipe que les technologies seront de plus en plus chères à mesure que l’on avance dans la décarbonation, car "les technologies les moins coûteuses seront mises en œuvre les premières". À l’inverse, la stratégie nationale sur laquelle sont basées les estimations d’I4CE "envisage que le coût de certaines technologies — comme les véhicules électriques, le biométhane ou le solaire photovoltaïque — va baisser", explique le think tank. "L’approche de l’Insee est conservatrice, elle considère qu’un véhicule électrique aura le même coût jusqu’en 2050. La SNBC a une approche plus équilibrée", explique Quentin Perrier.

Ainsi, pour l’Insee, "puisqu’il n’y a pas de progrès possible sur les coûts futurs, la trajectoire optimale consiste à dépenser très vite pour réduire les émissions", explicite I4CE. "En revanche, la stratégie nationale a préféré fixer des budgets carbone progressifs qui tiennent compte la difficulté de créer et de développer les marchés des solutions de transition. Par exemple, le pays manque d’artisans formés pour réaliser à grande échelle des rénovations performantes."

La comparaison entre les travaux fait ressortir "la tension toujours présente entre deux choix : décaler l’effort en espérant que les coûts de réduction seront plus faibles ; ou accélérer pour ne pas reporter les coûts sur les générations futures. Sachant qu’il faut aussi prendre en compte une certaine inertie du système économique", résume Quentin Perrier.

Réduire les émissions beaucoup plus vite que prévu

I4CE évoque par ailleurs "deux nouvelles conclusions intéressantes" apportées par l’Insee. Selon la première, il serait plus optimal de réduire davantage les émissions d’ici à 2030 que ne le fait la stratégie nationale bas carbone : environ –57 % contre –43 % par rapport au niveau de 1990. "Certes, un modèle aussi simple que celui employé dans l’étude ne gère pas toutes les inerties, contraintes et incertitudes, mais cette conclusion va dans le sens des efforts pour accroître l’ambition climat de la prochaine décennie, notamment ceux entrepris aujourd’hui au niveau européen", analyse le think tank. L’Union européenne pourrait en effet décider d’ici à la fin de l’année de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % en 2030 par rapport à 1990, et non plus de seulement 40 %.

L’autre conclusion de l’Insee porte sur la définition de "notion d’engagement pour le climat". Il s’agit de considérer "de manière prospective le cumul des coûts à payer dans le futur pour revenir à la trajectoire cible, que ces coûts soient à supporter de manière publique ou privée, sous forme d’investissement ou de renoncement à consommer", explique l’institut de statistiques. "Autrement dit, il s’agit du montant de ressources financières qu’il faudrait avoir en réserve pour respecter la cible d’émissions 2050 sans avoir à ponctionner la consommation future. C’est une notion importante car elle traduit l’idée que chaque euro non dépensé en investissement climat aujourd’hui se reportera sur les générations futures", développe-t-il encore.

L’Insee évalue cet engagement "à environ 150 % du PIB de 2018" (2). "Une partie de cet engagement sera spontanément honorée si on maintient la dépense climat à son niveau actuel. Le reste, environ 85 % du PIB, doit être financé par un surcroît de dépense pour le climat ou par des évolutions des modes de consommation." Pour I4CE, "la dette d’investissements pour protéger le climat et les ressources pourrait devenir un repère pour guider l’action publique, comme l’est aujourd’hui la dette publique".

(1) Tous les montants correspondent à leur valeur de 2018.

(2) Avec un taux d’actualisation égal au taux de croissance de l’économie.

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La rédaction AEF info Développement Durable

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