« L’Intelligence Artificielle peut prévenir les risques liés au vaccin contre le Covid »

L’Intelligence artificielle (IA) est de plus en plus utilisée dans le domaine de la santé : aide au diagnostic, en chirurgie ,ou à la détection de signaux d’alerte… Pour la biostatisticienne Mounia N. Hocine, enseignante-chercheuse en prévention des risques sanitaires et ancienne présidente de la Société française de Biométrie, l’IA est aussi un outil précieux dans la surveillance des effets indésirables liés aux vaccins et médicaments en général et dans le développement de solutions thérapeutiques contre le Covid-19 notamment.

Quels sont aujourd’hui les principaux usages de l’IA dans le domaine de la santé ?

Ils sont très nombreux. Les chirurgiens ont de plus en plus recours à l’IA avec des techniques comme le Deep Learning en imagerie médicale, pour améliorer le diagnostic de certaines pathologies. L’IA peut également les aider à mieux prédire la réussite des greffes et des interventions en général. En effet, en analysant des données diverses et de taille importante, un outil d’IA pourrait les orienter pertinemment vers le profil ayant le plus de chance de succès et de qualité de vie post-opératoire. C’est les travaux de la première thèse que j’ai encadrée sur la greffe chez les patients atteints de mucoviscidose. Par ailleurs, les robots et les prothèses intelligents peuvent quant à eux faciliter la mobilité des patients. L’IA est également très utile en pharmacovigilance, dès lors qu’il s’agit de détecter les effets indésirables de médicaments et de vaccins sur le marché.

Comme ceux utilisés dans le cadre de la lutte contre le Covid, par exemple ?

Absolument. Un énorme travail a été fait pour développer des outils d’IA performants à partir des données électroniques très riches liées aux soins stockées dans le Système National des Données de Santé (SNDS). Grâce à cela, nous pouvons détecter des anomalies très rapidement liées à une ou plusieurs expositions médicamenteuses à la fois. Auparavant, cette surveillance reposait sur les notifications spontanées des centres de pharmacovigilance. Aujourd’hui, l’approche est bien plus puissante et réactive.

L’IA peut-elle aller jusqu’à aider à concevoir un traitement contre le Covid-19, ou d’autres maladies ?

Oui, les outils d’IA peuvent aider à trouver des formules thérapeutiques susceptibles d'être efficaces et les privilégier pour des essais cliniques y compris contre le Covid-19. C'est ce que montre un article paru en décembre dans la revue médicale de référence The Lancet: en croisant un grand nombre d'études, de résultats d'essais cliniques et de données sur les soins donnés dans le monde entier, l'IA peut s'avérer extrêmement utiles pour développer des stratégies de repositionnement de médicaments déjà existants, en particulier dans le cas de maladies émergentes comme le SARS-CoV2.

Comment l’IA peut-elle nous aider dans la prévention des risques sanitaires au travail ?

Grâce à l’IA, on peut par exemple réduire l'exposition à divers facteurs de risque au travail comme des concentrations élevées de polluants ou d’allergènes dans l’air, et améliorer de façon générale l’évaluation et la gestion des risques, de même que le respect de la réglementation. L'IA a grandement facilité le traitement de grandes quantités de données en temps réel et permis d'améliorer la surveillance de la santé et de la sécurité au travail, en fournissant des alertes précoces d’accidents, de stress et de fatigue.

Et concernant les risques psychosociaux ?

Dans le cadre d'une étude menée par la Fondation Pierre Deniker (association pour la recherche et prévention en santé mentale) et le Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), nous avons développé un outil de Machine learning permettant de hiérarchiser les facteurs de risques psychosociaux selon leur impact sur la santé mentale des travailleurs, par secteur d’activité. Cet outil permet d’orienter pertinemment les stratégies de prévention primaire des risques psychosociaux qui vont ensuite être mises en place par les organisations - entreprises ou autre. Il s'agit donc d'une aide à la décision sur la base de données scientifiques. On sait par exemple que l'automatisation des tâches aide à mieux gérer le fait de devoir effectuer des tâches répétitives au travail, ce qui constitue un des facteurs de risques psychosociaux et de troubles musculosquelettiques.

Ces innovations posent des questions éthiques autour des données de santé. Quels sont les enjeux et comment encadrer leur usage ?

Evidemment, toute utilisation inappropriée des outils d’IA pourrait susciter des questions juridiques, réglementaires et éthiques. L’application du RGPD et la protection des données personnelles est primordiale pour éviter toute discrimination ou violation des libertés individuelles.