L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE RAISONNANTE

1.  L'IA dont on nous parle existe-t-elle vraiment ?

Ces derniers temps, on entend beaucoup parler des progrès extraordinaires de l'intelligence artificielle. Tous ces bruits viennent des Etats-Unis. Les médias nous rebattent les oreilles des exploits dans ce domaine des "géants US du web" : IBM (Deep Blue), Google (Alpha Go), Facebook, Microsoft, Amazon, etc. ou des inquiétudes de sommités face aux dangers d'une IA si performante (Elon Musk, Stephen Hawking, par ex). Or, sachez-le bien, c'est de l'intox ! Ces entreprises n'ont pas conçu la moindre IA, ce n'est pas dans leur culture. Donc pas de danger qu'elle soit plus méchante qu'un programme de comptabilité. Ce n'est que de la pub pour les crédules et les rêveurs. A la recherche de sensationnel, les médias répètent servilement les communiqués victorieux des grandes firmes sans se donner la peine de contrôler quoi que ce soit. De toute façon, ils ne comprennent pas grand chose à l'informatique et encore moins à l'IA. Demandez leur quelle différence il y a entre les deux… Et tant pis pour le public qui attend toujours des réalisations concrètes et n'y comprend plus rien, lui qui se fait une haute idée de l'intelligence artificielle.

Quand un ordinateur bat un champion du monde aux échecs (IBM) ou au Go (Google) ou au Poker (Libratus), il le fait par le calcul et la capacité de mémorisation, deux tâches où en tant que machine sans âme il dépasse de loin les capacités humaines. Là où le joueur humain raisonne, justement pour éviter de calculer, lui il calcule sans raisonner. Or ce genre de calculs, obligé de fournir des résultats exacts et instantanés à chaque coup, représente une tâche très gourmande en puissance informatique. Par contre, le raisonnement est une méthode de résolution ultra-rapide et très économique. Si économique qu'elle est partagée par l'ensemble des êtres vivants, du microbe jusqu'aux animaux supérieurs en passant par les plantes. L'aptitude au raisonnement du vivant tient peut-être dans une seule molécule. Nous raisonnons exactement comme un pigeon. La seule différence est que lui ne sait pas le commenter verbalement comme nous. Quand le même raisonnement devient répétitif, dans le langage par exemple, il est mémorisé dans des procédures qui ont l'avantage de s'exécuter instantanément, exactement comme les programmes classiques. On parle sans réfléchir.

Au Go comme aux échecs ou au poker nos amis informaticiens sortent la grosse artillerie pour vaincre le cerveau humain. Ce n'est pas un simple ordinateur qui se bat contre le joueur mais une batterie de serveurs ultra-puissants exécutant des millions d'instructions pondues par des équipes d'ingénieurs qui ont bossé là-dessus pendant des années ! C'est ce qu'on appelle la programmation procédurale, très exigeante en temps passé à programmer, en "années-homme". Guidée par les programmes, la machine exécute des calculs pharamineux en mégaflops (millions d'opérations par seconde) choisit parmi des milliers de coups le meilleur statistiquement, considère à chaque tour tous les développements possibles d'un coup même si il y en a des millions, les compare un à un quelle que soit la quantité. Dans ces conditions on ne peut que s'amuser du mal que se donne toute cette énorme usine pour parvenir à battre un pauvre petit joueur humain…

2.  Intelligence = raisonnement X connaissance

L'intelligence, mot couramment utilisé par l'ensemble de la population, a un sens clair pour tous n'en déplaise à nombre de chercheurs informaticiens. C'est le nom d'une fonction indispensable à la vie, commune à l'ensemble des êtres vivants, qui permet de prendre les meilleures décisions. L'intelligence existe depuis des milliards d'années. Elle n'est sûrement pas l'apanage de l'homme. Sans elle, tout être mourrait tout de suite sans descendance et la Terre serait "tohu et bohu" comme le dit la Bible : déserte et vide comme au premier jour. Une deuxième Mars.

Sur le plan fonctionnel, l'intelligence est quelque chose de très simple : c'est le raisonnement sur la connaissance. Plus on sait, plus on est intelligent. Le raisonnement est l'âme de la communication puisque tout le monde le pratique, les animaux aussi ! C'est pourquoi eux et nous nous comprenons (dans certaines limites) sans même recourir au langage. Il permet de partager des concepts communs. Mieux on raisonne implique que mieux on parle, plus on est clair, mieux on se fait comprendre, mieux on communique, plus on est convainquant, plus on paraît intelligent. Comme le disait déjà Nicolas Boileau au 17ème siècle : "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément".

Qu'est-ce que le raisonnement ? Toujours n'en déplaise à nombre de chercheurs informaticiens, c'est un mécanisme très simple : le syllogisme, une logique décrite il y a 2 400 ans par le philosophe grec Aristote : Si A implique B, si B implique C, alors A implique C. Exemple : Si 1) Socrate est un homme et 2) tout homme est mortel alors 3) Socrate est mortel. Ce raisonnement est dédoublé par la contraposée, qui donne : si C est faux alors B est faux, si B est faux alors A est faux. Donc si C est faux A est faux. Exemple : si c'est immortel alors ce ne peut être un homme, donc ce ne peut être Socrate.

Le rôle du raisonnement dans l'intelligence est admis par les acteurs économiques (les entreprises), pas chez les universitaires. On se demande pourquoi. L'Organisation Internationale de Normalisation, qui regroupe des experts de 161 pays et définit les fameuses normes ISO, spécifie ainsi l'IA dans La norme ISO 2382-28 depuis 1995 : l’intelligence artificielle se définit comme "la capacité d’une unité fonctionnelle à exécuter des fonctions généralement associées à l’intelligence humaine, telles que le raisonnement et l’apprentissage". Auparavant, sa définition était plus simple : "discipline relative au traitement par l’informatique des connaissances et du raisonnement » (Arrêté du 27 juin 1989). Alan Turing, un des pères de l'informatique, enfonçait le clou bien avant, avant même l'apparition de l'ordinateur : Les principales composantes d'un système d'IA doivent être les connaissances, le raisonnement, la compréhension du langage naturel et l'apprentissage.

Soulignons qu'aujourd'hui pas un des programmes d'IA dont vous avez entendu parler n'effectue le moindre raisonnement ! Ce sont des applications classiques, "procédurales" comme dans les années 1950, qui guident l'ordinateur pas à pas dans la résolution des problèmes et sont bien incapables de faire autre chose. Ils ne relèvent pas de l'IA raisonnante, le B-A BA pour obtenir une machine intelligente.

Certains chercheurs vous diront qu'il y a des logiques beaucoup plus sophistiquées et puissantes que le syllogisme. C'est faux ! D'abord, une logique doit détecter les contradictions. Seul à ce jour le syllogisme en est capable, ce qui lui donne sa crédibilité. En effet, plus la connaissance est grande, plus on a de chances d'y trouver des contradictions. Si on n'en trouve pas, les déductions sont cohérentes, difficiles à contester. Ensuite, une logique doit être partageable entre les interlocuteurs pour qu'ils se comprennent. Seul le syllogisme est capable d'expliquer en langage compréhensible de tous ses déductions et ses questions.

Qu'est-ce que la connaissance ? C'est toute proposition donnant une information : en été les feuilles sont vertes, 2 x 2 = 4, je m'appelle Claire, il fait beau, vous êtes fou, etc. Cela peut s'écrire sous forme de règles : SI on est en été ALORS les feuilles sont vertes, SI on multiplie 2 par 2 ALORS le résultat est 4, SI vous voulez mon nom ALORS je m'appelle Claire, SI vous voulez connaître le temps qu'il fait ALORS il fait beau, SI vous voulez mon avis sur vous ALORS vous êtes fou. Une base de connaissances est une liste de règles.

Maintenant que l'on sait ce qu'est l'intelligence, qu'est-ce que l'intelligence artificielle ? Eh bien, c'est l'automatisation du syllogisme appliqué à des bases de données contenant des règles. Voilà pourquoi elle s'appelle Intelligence Artificielle Raisonnante. Programmer le syllogisme est quasiment à la portée de tous. Et après, plus besoin de langage informatique. L’ordinateur et vous avez un langage commun. Là où un programme a besoin d'informaticien pour évoluer, il n'y a pas d'IA.

3.  L'ordinateur est-il idiot ?

La plupart des informaticiens vous affirmeront que l'ordinateur est idiot, c'est pourquoi ils sont bien obligés de le programmer. Or, c'est totalement faux ! L'ordinateur dispose d'une intelligence innée car il raisonne en permanence : tous les microprocesseurs sans exception sont animés par la logique booléenne qui est un sous-produit du syllogisme adapté au fonctionnement des relais puis des transistors qui sont le cerveau de l'ordinateur. Malheureusement des surcouches logicielles procédurales (assembleur/langage machine, bios, systèmes d'exploitation, langages de programmation) viennent polluer cette merveilleuse simplicité en l'abrutissant, le ralentissant et le figeant pour des décennies. Elles l'obligent à abandonner la logique pour devenir l'exécutant servile des langages inventés par les informaticiens, langages très éloignés de la langue de tous les jours qui ont l'avantage d'être incompréhensibles pour tout individu normal. Seul l'intermédiaire informaticien maîtrise la machine. Tout en vous maîtrisant vous-même… Le logiciel "libre", ce progrès qui permet à n'importe qui de modifier et améliorer des logiciels du marché, c'est pour l'informaticien pas pour l'utilisateur. Et tant pis pour l'humanité, entravée dans son évolution depuis un demi-siècle.

Voilà pourquoi il vous faut un non-informaticien, comme moi, pour vous mettre la puce à l'oreille...

Pour en revenir aux logiciels de jeu prétendument intelligents développés par IBM, Google et autres, ils sont développés par des informaticiens. Soit un concept totalement opposé à celui de l'ordinateur intelligent qui est censé être notre compagnon, parler notre langue de tous les jours, dialoguer avec nous, comprendre nos besoins et se passer de tout intermédiaire pour apprendre de nous.

Vous devinez qu'un ordinateur animé par l'intelligence artificielle raisonnante n'a plus besoin de programmeur, il programme lui-même, beaucoup mieux et plus vite, comme une machine. Ce qu'il sait faire d'ailleurs depuis les années 1990 en France, dans le plus grand secret (la Maïeutique) car les informaticiens ne vont tout de même pas en parler !


Le langage PROLOG se base sur la logique formelle (calcul des prédicats) et sur le syllogisme a longtemps été considéré comme le langage de l'Intelligence Artificielle. PROLOG est l'acronyme de PROgrammation en LOGique. Il a été créé par Alain Colmerauer et Philippe Roussel vers 1972 l'université de Marseille et est très vite devenu mondialement célèbre (Le 2nd langage qui a été fourni par Borland était Prolog). Par ailleurs, Prolog a été le langage choisi par le projet d'ordinateur de 5ème génération développé par le MITI au Japon dont l'objectif était de créer une industrie et les technologies de l'intelligence artificielle à la fin des années 80. Il existe des milliers de programmes Prolog qui "raisonnent" à partir de syllogismes pour résoudre des taches complexes(notamment la détection de pannes, la planification automatique etc ...). Résoudre un puzzle logique comme "le compte est bon" s'écrit en 3 règles de Prolog. On pourrait d'ailleurs dire la même chose de systèmes comme STRIPS. Même s'il n'est plus trop enseigné aujourd'hui dans les université, il l'a été des années 1980 aux années 2000, et des milliers d'étudiants en Informatique ont été formés à ces langages qui "raisonnent".

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