Live and let die
Il y a des jours que l’on n’oublie pas…
Le 25 janvier 2013, mon père m’annonce qu’il a un cancer.
Le mot est lancé.
Vous avez vu le pouvoir de ce mot ?
J’écris cancer. Vous entendez drame, chimiothérapie, pronostic vital. Vous voyez des têtes sans cheveux, des visages boursoufflés, des couloirs d’hôpital aux lumières jaunes et des patients tellement maigres qu’ils en sont devenus transparents. C’est toute une série de projections, agglomérat d’histoires entendues, lues ou vécues qui défilent à l’annonce de ce mot. Un mot cauchemar.
Le 25 janvier 2013, ce mot est entré dans ma vie. J’ai eu besoin plus sur ce nouvel arrivant pour ne pas céder au fantasme et rester éveillée dans ce qui devenait ma réalité.
Après la première consultation, je demande un rendez-vous privé à l’oncologue qui va suivre mon père pour savoir à quoi il faut que je me prépare et obtenir des conseils pour apprendre à l’accompagner.
Bon, et puis, comme moi aussi, je veux bien qu’on m’accompagne dans cette nouvelle étape de ma vie, je demande à ma mère de me tenir la main.
Arrivées à l’étage auquel on ne voudrait jamais monter, nous patientons dans la salle d’attente.
Promotion sur les perruques. Ils ne manquent pas d’humour…
(Les dialogues internes sont notés entre parenthèses dans le passage qui suit. NDLR)
- Bonjour Madame Bureau
- Bonjour Docteur
(Viens maman on s’en va, tout cela n’existe pas…)
- Vous me suivez ?
(Mais merde c’est vrai alors… ?! Ne pleure pas, respire, regarde des objets concrets.)
- Bonjour Docteur… Je vous ai appelé parce que… voilà… mon père a un cancer et j’ai plusieurs questions à vous poser.
- Je vous écoute
(J’espère bien !)
- … C’est quoi un cancer ?
- Alors…
(Il prend la voix de « Il était une fois la vie » et pour une fois ça en me dérange pas de me sentir infantilisée)
Un cancer c’est un dérèglement cellulaire. Les cellules naissent et meurent chaque jour dans notre corps. Les cellules cancéreuses sont des cellules qui ne meurent pas et qui, de ce fait, perturbent le renouvellement cellulaire, l’organe auquel elles sont liées et petit à petit, le corps entier.
- Un cancer ce sont des cellules éternelles ?
(Elle est mignonne…)
- Si vous voulez.
(Euh…non je n’ai rien voulu de tout cela mais on se comprend.)
J’ai compris un élément essentiel ce jour-là.
On m’avait déjà parlé de lâcher-prise. Honnêtement, je ne comprenais pas bien le concept, ni même vraiment l’intérêt du bidule.
Cette pratique m’est brusquement devenue très concrète.
Attention, je tente la digression scientifique...
Si nous existons grâce à un mouvement perpétuel de naissance et de mort, pour rester « en vie » il nous faudrait donc accepter de mourir et renaître chaque jour, comme nos cellules…
Déposer ce qui n’est plus adapté pour laisser venir la nouveauté.
Si je l’applique à mon quotidien, quand je me sens coincée dans une situation, quand un projet n’avance pas, je regarde autour de moi et je me demande à quoi je suis en train de m’accrocher. Quelle est la « cellule » que je dois laisser mourir pour permettre à une nouvelle d’émerger et revenir dans la continuité du mouvement ?
"Rien n'est permanent, sauf le changement" disait Héraclite...
Voilà ce que le cancer m’a appris, ce que j’essaie de continuer à expérimenter et ce que je partage aujourd’hui.
Que ce soit dans notre sphère personnelle ou professionnelle, une des clés de l’épanouissement est le respect de cette dynamique du changement perpétuel.
Vous vous sentez coincés ? Vous avez l’impression de ne pas avancer ? Vous avez trop de choses sur les épaules ? Vous voudriez évoluer ?
Regardez à quel quai votre bateau est amarré.
Et maintenant, jetez un œil à la direction où vous voulez aller.
Equipez-vous de votre nécessaire de sécurité.
Dessinez au mieux votre feuille de route.
Tenez-prêts à l’ajuster en fonction des intempéries.
Et larguez les amarres…
Vous ne pourrez pas arriver si vous n’avez pas quitté pas le port.
Il est temps de prendre le large.