LMA#18 : Lafayette, le Français préféré des Américains
Cet article aurait dû être l’un des premiers de La Minute Américaine. Car dès les premières balades dans le cœur de Washington DC, j’ai été frappée de voir une telle mise en avant du marquis de Lafayette. Un peu d’introspection honnête : que connaissons-nous de son histoire ? De son lien avec les Etats-Unis ? Et si en France nous n’avions pas les grands magasins du même nom, ce patronyme serait-il tout simplement familier ?
Or, comment s’appelle le parc situé juste devant la Maison Blanche ? Lafayette square (National Park), et la statue de Lafayette y trône fièrement. Quels sont les deux portraits ornant la Chambre des Représentants ? George Washington et le marquis de Lafayette. Combien de villes portant son nom aux US ? Environ 35 entre les Lafayette et les Fayetteville, et sans compter les nombreux LaGrange qui se réfèrent au nom de son château d’adoption en France. On trouve notamment Lafayette, Louisiane, 120.000 habitants et Lafayette, Indiana, 70.000 habitants. Ainsi que 18 counties, une université prestigieuse, un mont. En France, l’Auvergne rassemble les deux villages avec le nom Fayette : Aix-la-Fayette, moins de 80 habitants, d’où vient la lignée familiale, et Chavaniac-Lafayette, 270 habitants, qui rappelle que le marquis y naquit.
Pourquoi donc cet intérêt américain ? Qui était Gilbert du Motier, marquis de La Fayette ?… C’est ce que j’allais découvrir lors d’une conférence de mon ami Pierre Larroque, puis en compagnie de la fine équipe des American Friends of Lafayette, rien que ça.
Notre marquis naît en Auvergne en 1757 dans une famille noble, riche, composée d’une longue lignée d’illustres militaires. Son père en fait partie, qui meurt sur les champs de bataille alors que Gilbert n’a que deux ans. Sa mère part vivre à Paris au Palais du Luxembourg, nous sommes alors sous le règne de Louis XV. Lui reste à Chavaniac où il est élevé par sa grand-mère et ses deux tantes. Lorsqu’il n’a que treize ans, sa mère décède, puis son grand-père maternel et un oncle. Lafayette hérite alors d’une des toutes premières fortunes de France.
Son arrière-grand-père maternel le fait venir à Paris pour se charger de son éducation, il rentre au Collège du Plessis, l’actuel lycée Louis-le-Grand.
En 1774, il épouse Adrienne de Noailles, fille ainée de la 2ème plus riche famille de France. Il a 16 ans, elle 14. Les de Noailles sont une des plus influentes familles à la cour de France. Ils essaient en vain de lui faire obtenir une situation intéressante mais Lafayette n'y met pas du sien : ce n’est pas un courtisan ! Fidèle à sa lignée, il rejoint l’armée pour parfaire ses connaissances militaires. C’est à Metz avec son ami le comte de Broglie qu’il entend parler des mouvements d’indépendance des colonies américaines. Car, à cette date, les Etats-Unis n’existent pas : le continent n’est qu’une conjonction de colonies anglaises, françaises et espagnoles. Les colonies anglaises veulent se libérer de la tutelle du roi d’Angleterre (voir LMA#1). De retour à Paris, Lafayette continue de forger son opinion en faveur de la Révolution Américaine, notamment auprès de Silas Deane, agent officieux en France des « Insurgents », et de Benjamin Franklin.
Le 4 juillet 1776, les 13 colonies anglaises déclarent leur indépendance, et par conséquent la guerre avec l’Angleterre. Quelques mois plus tard, Deane fait engager La Fayette dans l’armée américaine en tant que Major Général.
S’ensuit une épopée des plus romanesques. La Fayette n’a que 19 ans, il est extrêmement brillant, au caractère bien affirmé, très riche. Il finance l’achat d’un navire avec deux canons mais surtout chargé de 5 à 6.000 fusils et munitions. Louis XV, bien que favorable aux Américains contre les Anglais (forcément !), n’a pas les moyens d’engager la France dans une nouvelle guerre : il s’oppose au départ de La Fayette et tente de le retenir. La Fayette ruse et louvoie, il parvient finalement à partir à bord de La Victoire en avril 1777. Il débarque en Caroline du Sud puis rejoint Philadelphie, capitale des Insurgés, où il est très bien accueilli.
Il y fait la connaissance de George Washington qui le prend sous son aile et avec qui il entretiendra toute sa vie une relation filiale. En plus d’apporter sa fortune, La Fayette fait rapidement ses preuves sur le terrain, notamment lors de la célèbre bataille de Brandywine à l’issue de laquelle il est blessé.
Lafayette à Yorktown, Jean-Baptiste Le Paon
En mars 1778, la France finit par s’engager auprès des insurgés. Lafayette rentre et convainc le roi d’apporter un support humain et matériel conséquent à la bataille des Américains pour leur indépendance. Il repartira en 1780 à bord de l’Hermione. Le général de Rochambeau est chargé de mener l’armée de terre, l’amiral de Grasse la marine. Sur le terrain, la situation des Insurgés américains est entre temps devenue préoccupante.
C’est en Virginie que l’Histoire prendra un nouveau tournant. Lord Cornwallis, avec la moitié de l’armée anglaise, ravage cette province. Lafayette, envoyé par George Washington au printemps 1781 pour l’y harceler, fait la différence : bien que sa milice ne soit composée que de 1.250 volontaires, il réussit à repousser et encercler l’armée de 7.000 soldats professionnels de Cornwallis à Yorktown, petit port sur la Chesapeake Bay. Peu après, la flotte française repousse la flotte anglaise à l’embouchure de la Bay, les empêchant de secourir Cornwallis retranché à Yorktown. Les armées de George Washington et Rochambeau descendent de New York et, le 29 septembre, commencent le siège de Yorktown. Lord Cornwallis se rend le 18 octobre 1781. C’est la victoire des insurgés contre les Anglais, même si le Traité de Paris ne sera signé qu’en 1783.
George Washington, Tench Tilghlman and Lafayette at Yorktown, par Charles Willson Teale
Les États-Unis ont gagné leur indépendance.
Lafayette, célébré en héros aux Etats-Unis comme en France, rentre dès la fin 1781 en tant que Conseiller des représentants des Etats-Unis en Europe, dont Benjamin Franklin à Paris. Il négocie notamment une réduction de la dette américaine auprès de la France. Un premier retour de l’autre côté de l’Atlantique en 1784 lui donne un avant-goût de son statut de héros de l’indépendance. Il retrouve avec plaisir Washington dans son domaine de Mount Vernon.
La suite va se dérouler avant, pendant et après la Révolution française et l’empire napoléonien. L’idée d’égalité des hommes et la représentativité du peuple sont au cœur de la pensée de Lafayette. Il va notamment s’inspirer de la Déclaration d’Indépendance de Thomas Jefferson pour écrire une première version de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».
Je vous laisse le soin de faire mieux connaissance avec la vie de Lafayette en France et ses positions lors de cette période mouvementée. On retrouve son charactère fougueux, son refus de l’autoritarisme et ses espoirs de démocratie. Il côtoie les rois et l’empereur, qui cherchent tous à bénéficier de son aura. Lui parfois s’engage en contrepartie de promesses d’avancées démocratiques, puis se retire systématiquement déçu. Son indépendance le conduit en prison pendant cinq ans, dont deux ans avec sa femme et ses deux filles ; son fils Georges Washington, nommé ainsi en l’honneur du président américain, avait pu rejoindre à temps les Etats-Unis où il séjourne chez son homonyme...
Retrouvons Lafayette en 1824. James Monroe est Président des Etats-Unis et s’apprête à fêter les 50 ans de la déclaration d’indépendance, alors même que des fortes tensions politiques secouent le jeune pays. Il convie Lafayette à venir visiter ce qu’est devenu la nation qu’il a contribué à créer. Comment néanmoins pourrait-il s’attendre à l’accueil que lui réservent les Américains ?
Lafayette greeting the National Guard (2d Battalion, 11th New York Artillery) on July 14, 1825, by Ken Riley
Reconverti gentleman farmer depuis 1800, il est resté très proche des Etats-Unis. Il a entretenu avec George Washington, une correspondance régulière jusqu’à sa mort. Il travaille à faire avancer les idées d’abolition de l’esclavage, qui lui sont chères. Il parvient d’ailleurs à obtenir la libération de l’esclave noir James, son aide de camp et parfois espion pendant les batailles.
Le 16 août 1824, 200.000 New-Yorkais l’acclament à Battery Park ! Il avait prévu de rester quatre mois et visiter les 13 Etats originaux. C’est en fait le début d’une tournée triomphale de seize mois qui le verra parcourir les 24 Etats que compte désormais l’Union. Partout des foules l’attendent, on a construit de nouveaux monuments pour pouvoir accueillir la délégation, on fait tirer le canon, la haute société organise des bals, les gouverneurs prononcent des discours et présentent fièrement les progrès accomplis. Lafayette est le premier dignitaire étranger à s’adresser au Congrès américain, qui fait voter un don de 200.000 $ en remerciement de ses services, somme bienvenue dans la famille Lafayette dont l’essentiel de la richesse s’est envolé dans les tourments révolutionnaires et positions politiques successives.
De retour en France, il continue de défendre ses idéaux jusqu’à sa mort le 20 mai 1834, à 76 ans. Le roi Louis-Philippe essaie de minimiser la ferveur populaire autour de son enterrement au cimetière de Picpus à Paris. Au contraire aux Etats-Unis, le président Jackson ordonne que Lafayette reçoive les mêmes honneurs que ceux accordés à Washington à son décès en 1799. Les deux chambres du congrès sont drapées de noir pendant 30 jours et l’ancien président John Quincy Adams consacrera à Lafayette une eulogie de trois heures.
En 2002, le marquis de Lafayette, « Héros des deux mondes », était nommé « citoyen d’honneur américain », une reconnaissance que le Congrès américain n’a accordée qu’à huit personnes.
Parmi les nombreuses citations qu’il a laissées, j’en choisi une témoin de sa réflexion avant-gardiste, et qu’une partie des Américains préférera oublier :
Je persisterai à demander l’abolition de la peine de mort tant qu’on ne m’aura pas prouvé l’infaillibilité des jugements humains*
* Chambre des Députés, séance du 17 août 1830
Managing Partner
3 ansMagnifique récit ...Anne Merci
Head of Sales - Maison Valois Varden
3 anspetit bonus pour votre apéro de ce soir entre amis (youhou!) : quel cadeau historique Lafayette a-t-il offert à Washington en gage de leur amitié ? La clé de la prison de la Bastille... Lafayette avait été nommé chef de la garde nationale pour restaurer l'ordre dans Paris après les manifestations et la prise de la Bastille, et il s'était vu confier la clé de cette dernière. On peut toujours voir la fameuse clé à Mount Vernon, Virginie, résidence de Washington.