L’ONU, Antonio Guterres et la crise ukrainienne
Note sur l’action et la posture de l’ONU et de son secrétaire général concernant la guerre en Ukraine. (C.Bressy, mai 2022)
Le 24 février 2022 au matin, l’armée russe portait le feu en Ukraine. Depuis plusieurs jours, une certaine fatalité régnait au siège de l’ONU, à New York. La marginalisation du secrétaire général António Guterres durant l’intense séquence diplomatique ayant précédé la crise laissait entrevoir un rôle atrophié pour ce dernier. Au cœur d’une crise cristallisant la tendance à la multipolarisation de la puissance, que peut l’ONU ? L’action diplomatique multilatérale est primordiale dans un conflit comme l’Europe n’en a plus connu depuis des décennies. Ainsi, les actions entreprises par les Nations Unies sont de nature à éclairer les marges de manœuvre dont elle dispose encore. Ces marges de manœuvre se concentrent notamment autour des bons offices, de la communication de crise, d’appels fréquents au respect des fondamentaux du multilatéralisme et d’une action de terrain, principalement humanitaire.
António Guterres et les Nations Unies ont traversé trois phases distinctes dans la crise que nous connaissons actuellement. Les deux premières semaines du conflit ont été marquées par une intense communication, avec des déclarations quasi-quotidiennes (1) . S’en est suivi ce qui peut être interprété comme une crise de confiance au cours de laquelle les différentes agences de l’ONU ont mené un travail dense mais discret et où la parole s’est faite plus rare. Enfin, la fin du mois d’avril et le début du mois de juin ont marqué le retour de l’exposition du secrétaire général, notamment avec ses visites successives à Moscou et Kiev.
Ces initiatives font écho aux lourds efforts de bons offices consentis par M. Guterres. Dès le début de la crise, ce dernier a entrepris d’importantes initiatives de médiations. On peut relever plusieurs contacts de haut niveau sur la dizaine de semaines que compte le conflit, par exemple avec les dirigeants polonais (9 mars), turc (13 mars) ou israélien (24 avril). Mais également les ministres des affaires étrangères français (17 mars) ou ukrainien (4 avril). Ces procédures non-juridictionnelles (chapitre VI, article 33 de la charte des Nations Unies) montrent la réalité de l’intense travail de l’ONU dans la recherche du dialogue et de la paix. Cependant, ces efforts ont semblé se heurter aux intérêts particuliers de tous les acteurs. Ces contradictions ont eu pour effet premier d’atténuer la voix de l’ONU dans le conflit.
Les efforts diplomatiques, voulus les plus nombreux possibles, se sont donc accompagnés de deux actions différentes. Premièrement une communication relativement intensive. Les Nations Unies, par la voix de M. Guterres ne se sont pas résignées au silence et ont inlassablement répété des appels à la désescalade, au cessez-le-feu et à la protection des civils. Le 28 février 2022, l’assemblée générale extraordinaire pour l’Ukraine fut par exemple l’occasion de mettre en avant ces appels (2) . Cependant, les demandes de respect du droit international et de la charte de l’ONU ont semblé être relayées au second plan avec l’intensification des combats. Dès lors, une action importante entreprise par l’ONU est identifiable : l’intensification des initiatives humanitaires.
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Ce travail de terrain est probablement le plan sur lequel l’ONU et ses agences conservent la plus large marge de manœuvre. En effet, elles gardent les moyens de flécher des efforts financiers importants et surtout de mobiliser des contacts politiques avec les différents belligérants afin de garantir la sécurité des convois. La nomination d’Amin Awad (3), coordinateur de crise de l’ONU pour l’Ukraine et la mobilisation de Martin Griffiths, secrétaire général adjoint et coordinateur monde aux affaires humanitaires sont des signes de l’importante mobilisation dans le champ de l’aide aux civils. Cette action est prépondérante dans le mandat de l’ONU. Les comptes-rendus de rencontres téléphoniques de haut niveau font systématiquement état de l’évocation de cette question, parfois avant les considérations d’ordre sécuritaire. L’aide humanitaire concentre aujourd’hui l’action principale de l’ONU. En effet, la posture politique de cette dernière est très fragilisée. La visite de M. Guterres à Moscou et à Kiev, au cours de laquelle il a été forcé de s’abriter pour se protéger de frappes aériennes en est un exemple. Bon nombre de leaders sont par ailleurs prêt à marginaliser son action pour favoriser leur agenda. C’est le cas de Joe Biden aux États-Unis et de Xi Jinping en Chine.
En définitive, il serait exagéré de considérer l’ONU totalement hors-jeu. L’institution et ses agences demeurent des acteurs majeurs. Leur capacité d’action est réelle et a permis d’apporter une aide humanitaire à des centaines de milliers de personnes, ce qui est absolument central. La mobilisation de M.M. Awad et Griffiths sont des signaux importants. Bien que les appels à la paix soient largement marginalisés, l’ONU demeure une enceinte de discussion incontournable. Cependant, la propension des Nations Unies, à peser sur la géopolitique est très réduite. En effet, les marges de manœuvre diplomatiques sont étroites. Par ailleurs, les États se servent des votes aux conseils de sécurité et aux assemblés générales pour tester leurs alliances ou évaluer les recompositions stratégiques à venir. Ceci mène au paradoxe de la centralité de l’ONU dans la crise, sans que son expression et son poids ne soit réellement vérifiable hors de l’action humanitaire.
(1) Bureau du porte-parole du Secrétaire général de l’ONU – Dernière déclaration.
(2) Allocution du Secrétaire général à la session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale sur l’Ukraine (telle que prononcée).
(3) Déclaration à la presse du Secrétaire général à l’issue de la réunion du Conseil de sécurité sur l’Ukraine.