Quelques perspectives autour de la crise est-ukrainienne.
Quelques perspectives autour de la crise est-ukrainienne.
Tout d’abord, je suis négativement surpris de la manœuvre russe sur ce dossier ; en tout cas, sur sa manœuvre récente de ces dernières semaines. En observateur des relations internationales, j’avais pour habitude d’accorder à la diplomatie russe un certain crédit – jusqu’alors difficilement contestable – dans sa capacité à s’imposer en arbitre des conflits internationaux et à jouer des parties de billards à huit bandes sur des dossiers géostratégiques complexes. Force est de constater ici que l’action russe est nettement moins fine. Peut-être est-on moins enclin à faire preuve de finesse lorsqu’un enjeu sécuritaire concerne nos frontières directes, certes. On se souviendra parallèlement de la crise des missiles de Cuba, à la frontière immédiate du territoire sanctuarisé américain, durant laquelle la moitié du monde connu serra les fesses en espérant qu’elle n’ouvre pas la voie à la première guerre de l’atome.
Toujours est-il que la Russie paraît d’abord manquer ici de cette vision long-termiste qui me semblait faire sa force dans les relations internationales. Ces deux régions séparatistes ukrainiennes étaient déjà acquises à la nation russe sur le plan identitaire, sans qu’il soit par ailleurs nécessaire de précipiter leur rattachement territorial. Le Donetsk et le Lougansk sont des zones pauvres, éminemment moins stratégiques que ne l’était la Crimée, et dont le propriétaire aura à sa charge de les développer économiquement. Si la Russie estime qu’elle possède les reins financiers pour ajouter ces deux zones à sa longue liste de territoires en retard sur le plan économique : dont acte. C’est autant de budget que l’UE – et donc la France, étant entendu que c’est la seule échelle qui m’importe – n’aura pas à reverser pour le développement de ces régions, moyennant la ponction-corruption locale.
Si tant est qu'il le faille, cette crise vient aussi nous rappeler que le droit international n’en est pas un ; puisqu’il n’est ni international, ni un droit. Un droit a pour propriété d’être absolu, sans quoi il n’est pas. Il a pour vertu d’être fort, y compris vis-à-vis des forts. Or, le droit international (public, sous-entendu) ne saurait être absolu, puisqu’il est régi pour l’essentiel par l’état de fait géopolitique. International, il ne l’est pas non plus : il n’exerce sa force coercitive qu’à l’égard des Etats qui n’ont pas la puissance militaire et/ou diplomatique pour s’en prémunir. C’est la raison pour laquelle les CPI jouent de la flûte ci-et-là en Afrique subsaharienne, en ex-Yougoslavie ou au Proche-Orient tandis que l’essentiel des acteurs du grand échiquier leur indiquent tranquillement dans quelle direction il convient de regarder.
Toutefois, il faut rester méfiant en ce qui concerne les ruptures manifestes des règles du droit international, eu égard à toutes les réserves émises ci-avant. Ce n’est pas pour rien si l’intangibilité des frontières et l’inviolabilité des souverainetés figurent comme les deux coutumes essentielles dans les relations entre Etats. Faire bouger ces lignes, quelle qu’en soit la manière et le résultat, est susceptible d’engendrer des réactions en chaînes que l’on peinerait à anticiper. Et parmi les constantes que l’Histoire nous enseigne, il y a celle de sa capacité à s’accélérer de manière soudaine, brutale et imprévisible. De fait, la Russie avait acté un précédent dans le droit international lors du rattachement de la Crimée à la Fédération, en 2014 ; à l’instar de l’annexion du plateau du Golan par Israël en 1981, bien que plusieurs paramètres divergent toutefois avec le cas criméen.
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Du côté des Etats-Unis, je suis curieux de voir comment réagira le Congrès et le Secrétariat d’Etat dans les jours à venir. Après avoir déployé tous les efforts possibles pour attiser le feu sur ce dossier, nous allons voir désormais si Washington se veut un allié fiable face à l’adversité réelle – c’est-à-dire autre qu’un raid aérien de deux semaines sur un Etat en guerre civile – ou s’il rétropédalera en laissant Kiev dindon de la farce. Il faut dire que du côté américain, le résultat ne me semble pas plus fameux. Au palmarès : avoir accéléré la coopération eurasiatique et avoir réouvert un nouveau point chaud géostratégique, à l’ère du pivot Asie-Pacifique. S’il avait fallu un prétexte pour favoriser les échanges entre Moscou et Pékin, avec pour ce dernier Taïwan en fond de tableau, on aurait difficilement trouvé mieux.
Enfin, et sans envie très spontanée, il faut bien se fendre d’un commentaire concernant l’action de la France, de l’Allemagne et de l’Union européenne sur ce dossier.
En commençant par le dernier : l’Union européenne n’étant pas une puissance géostratégique, elle n’a par conséquent aucune crédibilité ni aucune caisse de résonance diplomatique. Ce n’est pas nouveau, et l’on pourrait s’arrêter ici. Tout juste peut-elle se contenter d’agir sur le terrain économique et financier, ce qu’elle s’est d’ailleurs empressée de faire en annonçant immédiatement des sanctions à l’encontre de la Russie. On notera que la Russie déploie son agenda sous sanctions depuis belle lurette ; si cela avait été de nature à la faire trembler : cela se saurait. On notera aussi à quel point ces sanctions sont savamment réfléchies, lorsqu’on observe le développement colossal de la filière agro-alimentaire russe depuis ces dernières années, et les pertes économiques de nos exportateurs agricoles en parallèle. Certains ne comprennent toujours pas que leurs adversaires finissent par développer leurs propres tissus industriels, auxquels ils ouvriront les bras sans barrières douanières dans 15 ans à la première occasion possible. Si d'aucuns pensent que je j'exagère : nous le vivons aujourd’hui avec la Chine.
S’agissant de la France, Emmanuel Macron a certainement perçu l’intérêt qu’il peut y avoir à tirer avantage d’un dossier international à la veille des élections présidentielles, afin de redorer son image. Ce sont des sujets peu clivants, la plupart du temps, et qui renforcent un homme d’Etat dans sa stature présidentielle. On peut saluer l’effort de dialogue exercé par ses soins et sa chancellerie ces derniers jours. Cependant, il faut bien avouer que la voix de la France n’a plus de crédibilité dans les relations internationales. L’arme nucléaire et son siège afférant au CSNU lui tiennent lieu de seules légitimités comme puissance diplomatique plus ou moins audible. Mais il en faudra davantage pour se poser en arbitre en Europe de l’Est. D’une part, parce que les pays d’Europe de l’Est nous font passer chaque année le message selon lequel leur défense est garantie par les Etats-Unis, et par nul autre. C’est ce qu’il faut interpréter lorsque ces « partenaires » font le choix systématique de matériels militaires américains au détriment de matériels européens. D’autre part, parce que la Russie perçoit la France comme un vassal atlantiste parmi tant d’autres ; sans qu’on puisse malheureusement lui donner tort.
Enfin, l’Allemagne vient d’annoncer la mise à l’arrêt du projet NordStream2, lequel était considéré comme le levier russe majeur pour faire plier la diplomatie allemande en sa faveur. Je n’ai pas de commentaire à faire concernant ce choix en tant que tel. En revanche, je me demande à partir de quelle énergie l’Allemagne a prévu de réduire son empreinte carbone dans les prochaines années. Ce pays a fait le choix de l’arrêt du nucléaire pour des raisons écologiques, tandis qu’il rouvrait ses centrales à charbon. En effet, l’écologie c’est bien, mais se chauffer l’hiver c’est mieux. Pour développer son mixte énergétique, l’Allemagne avait donc prévu d’accroître la part du gaz – et notamment des importations gazières russes – dans son pool d’énergies global. S’il n’y a donc plus de nucléaire et plus de gaz, j’ai hâte de voir quelle sera la source d’énergie qui permettra de faire tourner la première puissance industrielle d’Europe. Mon petit doigt me dit que les ingénieurs allemands, clairvoyants qu’ils sont, auront du mal à composer avec la lubie des énergies intermittentes. Cela sera amusant à observer.
Services de Greffe -Pole Social au Tribunal judiciaire de Lyon | DU International Business Lawyer
2 ansbonne analyse
Cyber Risk & Compliance Lead
2 ansClovis, merci d’avoir partagé cette analyse très fine. Toujours un plaisir de te lire, notamment sur le « droit international ».
Traductrice principale et réviseuse chez International Maritime Organization
2 ansEncore une fois, une très bonne analyse de la situation, à mon humble avis. Je partage tes réflexions sur de nombreux points. La question que tu soulèves concernant le bouquet énergétique allemand me semble particulièrement pertinente !