«Lutter contre l’arbitraire pour rationaliser le processus de gestion des déchets sanitaires»
Par Ktari Anis La Revue de l'Entreprise
SPECIAL HEALTH EXPO 2016 - Mr. Hichem CHAÏBI
L’organisation physique de la ville doit, obligatoirement, contribuer au bien-être de ses habitants, et l’objectif d’une meilleure qualité de vie en milieu urbain n’est pas sans effet sur le contexte plus large de l’environnement global. Cette préoccupation est le reflet d’une philosophie qui revendique des mutations importantes et ne pourra guère atteindre ses résultats pratiques si elle n’imprègne pas en profondeur le mode de fonctionnement des villes, en l’occurrence les systèmes de prise de décision et les politiques de gestion dont celle de la gestion des déchets. Dans la typologie de ces derniers, ceux engendrés par les activités sanitaires sont encore, en Tunisie, dans un état précaire en termes de gestion globale et de pratiques structurées. «Avec le retard qu’accuse la collecte sélective, la gestion des déchets sanitaires nécessite une prise de conscience générale, mais aussi beaucoup de sensibilisation, d’information et de formation», estime le Dirigeant de ECOMED, Dr. Hichem Chaïbi, un médecin de travail précurseur dans ce type de gestion.
La Revue de l’Entreprise: A la lumière des principes de base qui sous-tendent votre activité, en l’occurrence l’hygiène et la gestion du risque, comment voyez-vous le paysage actuel de la gestion des déchets sanitaires en Tunisie?
Hichem Chaïbi: Il serait intéressant de savoir que dans ce domaine, nous sommes encore dans une étape préliminaire édifiante. Nous avons l’impression d’être dans un laboratoire d’expérimentation. Or, le développement de la gestion des déchets sanitaires ne pourrait être abordé qu’à la lumière d’un système d’information sur cette question. Levier d’action important, ce système s’inscrit dans le cadre des prérogatives de l’ANGED.
Il est cependant utile de mettre en évidence et d’expliquer, sur la base d’observations empiriques et de connaissances théoriques, à quel point le problème de la gestion des déchets sanitaires concerne la communauté nationale, l’hygiène et la santé individuelle et collective. Il faut savoir, en effet, que globalement, un patient occasionne environ un kilogramme de déchets par jour. Des écarts et des chiffres précis sont encore à déterminer par le biais d’enquêtes et d’études empiriques qui s’avèrent cruciales, en vue de proposer des méthodes de gestion adaptées et un agenda pour un développement futur.
Cela dit, il convient de préciser que l’écart quantitatif entre les déchets générés par les patients diffère selon la nature de la pathologie, la classe thérapeutique, la consommation médicale, pharmaceutique et para-pharmaceutique, mais aussi en fonction de la durée du séjour. Si un tuberculeux à l’Hôpital de Pneumonie de l’Ariana produit une toute petite quantité de rejets durant un séjour de cinq à six mois d’hospitalisation, un acte de chirurgie cardio-vasculaire en produit un sac de 20 à 25 kilogrammes. Dans le même contexte, un centre d’hémodialyse produit 5 à 6 kilogrammes de déchets par patient. Imaginez alors la quantité de déchets qu’il aurait à rejeter à la fin de la journée, après avoir traité une vingtaine de patient ! Compte tenu de la gravité de certaines pathologies, le sida par exemple, il serait criminel de traiter les déchets sanitaires à la légère. Le problème est tout aussi inquiétant lorsqu’il s’agit de se délaisser de produits para-pharmaceutiques à usage unique (les seringues entre autres) et atteint son paroxysme en ce qui concerne les déchets relatifs aux organes humains (en cas d’imputation par exemple). Tous ces facteurs traduisent l’ampleur des commentaires que suscite la gestion précaire de cette masse extrêmement variée de déchets sanitaires, allant de la matière plastique à la matière organique putride et infectieuse.
La Revue de l’Entreprise: Comment un établissement de santé devient-il donc «écologique»?
Hichem Chaïbi: Il faut tout simplement qu’il prouve son respect vis-à-vis de l’environnement. A mon avis, aucun établissement, quels qu’en soient la taille et son appartenance au secteur public ou privé, ne peut privilégier ses intérêts immédiats en gérant à la légère les déchets sanitaires qu’il produit, sans se soucier de l’impact d’une telle gestion précaire sur l’environnement. Aussi, un établissement de santé écologiquement responsable doit-il refléter les approches concrètes et globales de bout en bout, approches auxquelles tous le personnel de l’établissement devrait adhérer, du top management au bas de l’échelle. ces approches mettent en évidence toutes les informations sur la nature et la qualité de ses rejets solides, l’analyse de leur création et la mise en œuvre d’une politique écologique qui consiste à les gérer d’une manière rationnelle et méthodique. Ce travail de rationalisation, en amont et en aval de la création du déchet, est l’instrument et le garant de l’excellence de la gestion de ce type de déchets.
Cela dit, toutes les parties en sont concernées: les maires, les directeurs d’hôpitaux, de cliniques et de laboratoires, tout comme le personnel d’encadrement et d’exécution. Ils sont tous appelés à savoir que la lutte contre la pollution, dont dépend en partie l’obtention de la certification ISO, est comme la bataille pour la qualité. L’un des principes fondamentaux de la théorie de la qualité est que la création d’un produit sain implique la conception de procédés de fabrication aux variations réduites au minimum et non pas la recherche d’anomalies en fin de parcours. De la même façon, la meilleure façon d’empêcher la pollution est de concevoir un procédé par lequel les rejets sont soumis à des procédés de gestion rigoureux. A l’instar d’un taux élevé de défauts, la pollution est, par définition, le résultats de procédés défectueux. Le meilleur moyen de les éliminer est donc, de les maîtriser.
La Revue de l’Entreprise: Pour s’en convaincre, ne suffit-il pas de regarder les dégâts et les victimes occasionnés par des procédés défectueux?
Hichem Chaïbi: Si l’on ne prend pas en considération les accidents dûs aux produits piquants rejetés d’une manière incontrôlée, on a la certitude de leur impact grave: une morbidité traumatisante. Par catégorie socioprofessionnelle, les travailleurs manuels sont les victimes les plus fréquentes. Ils sont plus exposés aux accidents du travail. A l’hôpital Charles Nicolle qui est en avance en médecine de travail, 300 cas d’accidents sont chez des maintenanciers piqués par des aiguilles sont déclarés et indemnisés en 2007 et 2008, comme accidents du travail. Cela montre que le système devient défectueux à la fin de la chaîne.
Comme pour une fabrication «zéro défaut», il faut lancer un programme en vue de supprimer totalement les risques de pollution et leurs conséquences… une idée qui a été vigoureusement défendue par le critère écologiste James Miller, l’ex-Directeur de la Force d’intervention du Massachussets pour la Protection de l’Environnement. Il réclame qu’une «comptabilité pour l’environnement» soit établie pour kles entreprises, à savoir, un programme pour repérer à chaque étape du processus de production du bien ou du service les dépenses occasionnés sur l’environnement.
La Revue de l’Entreprise: Cabinets de médecine de libre pratique et établissements de prestation de soins, sur la carte sanitaire, font partie de l’environnement. A leurs yeux, il devrait être possible de ne pas polluer ne serait-ce que pour avoir bonne conscience, préserver leur bonne réputation et assurer leur «responsabilité sociale». Tout cela requiert-il un investissement important?
Hichem Chaïbi: Dans la plupart des cas, l’idée générale est la même: faire en sorte que le bon sens l’emporte. Mettre en œuvre une grille de gestion des déchets par les 30 ou 40 médecins qui occupent tel ou tel immeuble, d’une part, et l’Arrondissement Communal, d’autre part, ne va pas coûter une fortune: il s’agit tout simplement de l’acquisition d’outils de collecte adéquats et de quelques frais supplémentaires en taxe locative.
Le principe de la sélectivité nécessite la construction d’un local central de stockage des conteneurs de déchets hospitaliers. Cela est bien mentionné dans la circulaire 76-92. Or, force est de constater qu’aucun hôpital n’en dispose, même pas ceux qui sont sous contrat avec des sociétés privées. Le coût de la construction de cde local est négligeable devant l’effet organisationnel: le camion chargé de la collecte se dirige directement vers cet endroit, enlève les déchets et s’en va, l’agent n’ayant pas à circuler dans les couloirs.
Le décret du 28 Juillet 2008 fixant les conditions d’octroi de la gestion des activités sanitaires qui englobe les établissements de soins, les vétérinaires et les facultés de médecine, a insisté sur deux points: primo, le recrutement d’un responsable de déchets et secundo, la formation du personnel par des sociétés spécialisées. Ce sont des pistes d’amélioration d’une approche organisationnelle et de la maîtrise d’une trajectoire, l’objectif étant de rationaliser la collecte jusqu’au traitement de la manière la moins dommageable pour la nature.
Mais tout passe par la formation et l’information. Nous y croyons et nous œuvrons pour que nos efforts de formation gratuite touchent un large spectre du corps médical et paramédical car nous soutenons la cause de l’environnement pour faire évoluer les mentalités et les pratiques dans un sens plus respectueux de la nature et de la santé humaine. Cela dit, je pense que la rationalisation du processus de gestion des déchets sanitaires à l’échelle du pays nécessite le déploiement davantage d’efforts soutenus par les collectivités locales et les professionnels de la santé. Cette dynamique devrait s’étaler sur une dizaine d’années, mais commençons d’abord par lutter contre l’arbitraire et construisons, ensemble, un paradigme organisationnel au fil des jours.