Métavers : une réalité concrète ou simplement virtuelle ?
Le métavers, buzzword de ces dernières années en particulier depuis l’annonce le 29 octobre 2021 par Mark Zuckerberg que le groupe Facebook se renommait Meta pour construire le futur immersif d’Internet, semble marquer le coup. Mais est-ce qu’il faut pour autant enterrer le métavers ?
Des circonstances favorables à la naissance des métavers
Le métavers est bien moins une technologie de rupture qu’une vision de rupture !
En effet, le métavers s’appuie sur un condensé de technologies sans en être une à part entière. Il y a d’un côté l’avènement des avancées technologiques comme :
Ainsi, en moins de cinq ans, Meta a diminué la taille de ses casques par deux, multiplié leur qualité d’affichage par trois, divisé leur coût par trois et s’est affranchi de la nécessité d’un ordinateur pour en tirer parti. S’ajoute aussi des technologies de rupture comme l’Intelligence Artificielle ou encore la blockchain et ses dérivés cryptomonnaie ou NFT.
Ces dernières jouent un grand rôle dans le métavers : ces bases de données, partagées et décentralisées, permettent de certifier la propriété d’objets numériques comme des œuvres d’art, des habits d’avatar ou de la monnaie.
C’est cet ensemble qui peut donner une nouvelle dimension à des choses déjà existantes : le métavers n’est en effet pas en rupture avec la réalité d’aujourd’hui mais plutôt une émancipation à très fort niveau d’usages déjà existants de la réalité virtuelle, des réseaux sociaux, de la société de consommation et de la gamification.
Cette vision, poussée par des acteurs avec une puissance financière et marketing phénoménales suscite l’intérêt d’autres acteurs qui ne souhaitent pas passer à côté d’un potentiel Eldorado. Il faut dire que tout est fait pour susciter l’envie et essayer de créer le besoin. Du coup, beaucoup d’acteurs, particulièrement des grandes marques de luxe, se jettent dans les métavers dès à présent, dépensant parfois des sommes astronomiques dans ces mondes virtuels. A tel point que les chiffres annoncés ont de quoi faire tourner la tête : si Bloomberg prévoit un CA des métavers dès 2024 de 800 milliards de dollars, Grand View Research de son côté prédit un CA de 678 milliards de dollars d’ici 2030. Côté utilisateur, Gartner imagine que d’ici 4 ans pas moins de 25% des internautes pourraient déjà y passer une heure par jour.
Des métavers au métavers
Il est cependant possible qu’il y ait un emballement trop fort sur ce buzzword qui nécessite encore de faire ses preuves. En effet, tous les ingrédients ne semblent pas encore réunis pour que le métavers devienne une réalité concrète et non seulement virtuelle.
Il faut dire qu’il est difficile à date de mettre une définition claire et simple derrière le mot métavers.
En effet, comme le souligne un rapport exploratoire sur le développement des métavers remise le 24 octobre 2022 au gouvernement français, si les projets dans le métavers se multiplient, les termes utilisés renvoient à des usages, des technologies, des acteurs et des enjeux différents. Il est certain qu’à ce jour il existe plusieurs métavers : celui fournit par les jeux vidéo comme Fortnite, par les éditeurs logiciels comme Microsoft pour les réunions collaboratives et par les acteurs créant des mondes virtuels où il est possible de se déplacer, d’acheter des terrains, rencontrer du monde, comme Decentraland ou Sandbox.
Ainsi, malgré l’engouement actuel, il est peu probable que la vision du métavers donné aujourd’hui ressemblera à celle qui existera dans plusieurs années. Afin qu’un métavers devienne une réalité, il semble pertinent de s’appuyer sur la définition donnée par Bruxelles : il doit être “organisé sur la base de multiples mondes interopérables, entre lesquels les utilisateurs peuvent facilement déplacer des biens et services virtuels de manière sécurisée sans se heurter à des murs virtuels”. Les notions d’expérience 3D, de temps réel et de permanence mériteraient d’être ajoutées à cette définition. Autrement dit on pourrait, au travers d’un avatar, se déplacer librement d’un environnement tri-dimensionnel et virtuelle à un autre, à partir d’une même interface, à tout moment de la journée afin de s’y divertir, travailler et apprendre. Pour faire une analogie simple et directement liée : il suffit de comparer cela à Internet ! Qu’on soit sensibilisé ou non sur les dérives d’Internet, il est facile de comprendre que la puissance de ce réseau vient du fait qu’il n’y en a qu’un seul : tout le monde peut alors s’y connecter et l’utiliser pour en tirer parti !
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Pour cela une collaboration entre les acteurs créateurs de métavers est nécessaire, ce qui n’est pas vraiment le cas à ce jour ! On peut prendre l’exemple du WebXR, un standard adopté pour la réalité virtuelle et augmentée il y a déjà plusieurs années et qui reste peu utilisé aujourd’hui. Chacun essayant de créer son monde et essayant de capter un maximum de clients pour être dominant sur le marché et imposer sa vision du métavers. C’est ainsi qu’il existe une multitude de plateformes à ce jour, issues d’éditeurs de jeux comme Epic Games avec Fortnite ou Mojang avec Minecraft, de purs players des réseaux sociaux comme Meta avec Horizon Words ou encore de nouveaux acteurs comme Roblox ou Sandbox. Il y a en effet encore un travail gigantesque à faire pour faire cause commune et rendre leurs produits et solutions interopérables. Certains acteurs semblent l’avoir compris, à commencer par Meta qui avec la sortie de son Casque Meta Quest Pro a signé plusieurs accords dont un avec Microsoft pour l’intégrer par exemple dans les réunions Teams ou encore avec Adobe et Autodesk pour le rendre compatible avec leurs environnement 3D.
Existence de plusieurs freins au métavers
S’ajoute à cela que le matériel, encore très difficilement accessible d’un point de vue cout, ne semble pas encore adapté. En effet, les lunettes ou casques de réalité augmentée restent encore réservés à une élite professionnelle tout en étant pas encore assez confortable. De leur côté, les casques de réalité virtuelle sont déjà rentrés dans certains foyers mais principalement pour les jeux vidéo. En l’état, il semble peu probable que « monsieur tout le monde » s’en équipe dans le seul but d’accéder à ce nouveau monde. Même si on s’accorde à dire que le métavers devra être accessible par plusieurs équipements et non par un seul (on peut imaginer y accéder par son téléphone, son écran de télévision, son casque, son ordinateur, sa tablette), plus il sera facile d’y accéder en permanence et en tous lieux, plus le métavers aura une chance de fédérer et de s’émanciper. La miniaturisation des équipements semble donc une nécessité, et en point de mire potentiel l’intégration de toute la puissance et les usages de nos smartphones dans nos lunettes !
Le métavers ne vient pas qu’avec des promesses qui pourraient intéresser un grand nombre de personnes. Bien au contraire, ce dernier peut aussi inquiéter au travers de ce qu’il pourrait apporter : biais des algorithmes, haine en ligne, partage de données personnelles, etc. L’émancipation du métavers nécessitera de mettre en place un cadre réglementaire et d’adapter ceux déjà existants. Il faudra aussi rassurer ou apporter des réponses à la problématique de l’énergivore des technologies actuelles utilisées pour le métavers. Il parait inconcevable de s’affranchir de ces questions dans un monde commençant à prendre conscience des travers de notre surconsommation sur notre belle planète.
Quels objectifs pour le métavers ?
La technologie n’est qu’un moyen pour rendre ce monde parallèle accessible. Mais reste à comprendre ce que souhaitent trouver et vivre les consommateurs à travers le métavers. Il ne suffit pas de proposer un bel environnement : si ce dernier n’a pas de but, de valeur ajoutée, d’expérience utilisateur, il n’aura aucune appétence. Il faut prouver qu’il y a une opportunité de marché afin de créer ce désir d’écosystème unifié.
Et lorsque nous parlons d’unification, il ne s’agit pas seulement des éditeurs de logiciels qui développent ces mondes, il s’agit aussi de réunir potentiellement les usages du milieu professionnel et ceux du milieu personnel et donc du loisir. Car le métavers est source de promesses pour les deux environnements. Il a pour ambition de recréer le lien social distendu depuis l’avènement du télétravail en permettant aux collaborateurs de retrouver la cohésion d’un collectif au travers d’expériences plus immersives qu’une simple visio-conférence, plus engageantes et conviviales en essayant de reproduire les tranches de vie du bureau comme les échanges informels entre collègues (croiser un collègue en allant à une réunion, par exemple) ou les pauses-café grâce à cet univers virtuel. D’ailleurs des initiatives sont déjà expérimentées comme des entretiens d’embauche à distance plongeant le candidat dans un univers virtuel retrouvant tous les codes de l’entreprise recherchant des talents (c’est le cas de Carrefour sur le terrain acheté sur Sandbox ou encore Walmart dans Roblox). L’expérience s’invite aussi dans les formations immersives ou encore dans les processus d’onboarding, autrement dit d’intégration des collaborateurs, où l’on permet à la nouvelle recrue de découvrir son futur univers de travail recréé virtuellement.
Et s’il y a aussi bien évidemment les visio-conférences avec les outils mis à disposition pour la collaboration (tableau blanc, partage d’écran, etc.), la dimension collaborative reste à date toujours embryonnaire.
Il suffit d’aller voir ce que propose des pures players comme Engage, Virbela ou Glue. Coté vie personnelle, le métavers a l’ambition d’apporter une nouvelle expérience utilisateur pour se divertir, acheter des vêtements ou autres produits (terrains virtuels, peintures, images, etc.), rencontrer du monde, jouer, dépenser de l’argent, etc. bref de se donner la possibilité d’y aller pour vivre une sorte de deuxième vie, potentiellement très différente de celle vécue quotidiennement dans la réalité.
En l’état, même Meta qui s’est jeté corps et âme dans ce créneau annonce, par son fondateur Mark Zuckerberg, qu’il faudra plusieurs années avant que le métavers ne prenne une forme appréhendable. Pour se faire, on imagine assez bien qu’il souhaite s’appuyer sur la génération Z, génération adepte des jeux vidéo et des réseaux sociaux, terrain propice au métavers.
Quel futur pour le métavers ?
A la lecture des chiffres : 56 000 visiteurs par mois pour « Decentraland », 200 000 pour « Sandbox », 54 millions d’utilisateurs revendiqués par « Roblox » au premier semestre 2022 (vs 202 millions d’actifs mensuel en avril 2021) ou encore 200 000 pour « Horizon Worlds », une certaine déception semble s’être installée, contrecoup de trop grandes promesses.
A tel point que le monde professionnel préfère garder une certaine distance avec le métavers : ainsi le salon Laval Virtual a préféré ne pas se présenter comme un salon du métavers à cause de la connotation négative existante actuellement. S’ajoute à cela que le monde de la cryptomonnaie et des NFT, dont le métavers dépend, subit lui-même une crise ces dernier temps. En tout état de cause, 62% des Français ne voient pas d’intérêt dans les mondes virtuels d’après le Cabinet Iligo.
Si le métavers décrit aujourd’hui peut échouer, cela ne veut pas dire qu’il n’arrivera pas à renaitre plus tard. Sans même prendre en compte l’idée d’un métavers, il ne fait donc aucun doute que toutes les grandes entreprises technologiques voient aujourd’hui la réalité virtuelle et augmentée comme des technologies stratégiques pour leur avenir. Il est en effet possible que nous soyons à la phase une de la Loi du philosophe Schopenhauer, selon laquelle toute révolution passe par 3 phases : « c’est ridicule, c’est dangereux, c’est évident ». Il semble en effet que la conquête de nouveaux espaces a toujours fait partie de l’Homme. Or il est clair que l’espace virtuel reste un univers à conquérir. Le défi est cependant gigantesque car à la différence des autres mondes (les nouveaux continents, les fonds sous-marins, l’espace), ce dernier est aussi à écrire !