Macron sous-Poutine, an 1
Le Vladimir Macron nouveau est arrivé, an 2019, acte 1.
Comme une surprise du 2 janvier après les vœux présidentiels, deux actes forts du désormais bien nommé Vladimir Macron : simultanément, le durcissement de la condition des chômeurs et l’arrestation médiatisée de ce qu’il ne faut pas nommer un leader, mais bien plutôt un emblème du mouvement des gilets jaunes, Eric Drouet.
Premièrement, le durcissement de la lutte contre les chômeurs (et non pas contre le chômage) dans le cadre d’une stratégie désormais vieille comme la droite qu’il représente , et particulièrement fumeuse, quoique par ailleurs efficace sur certains esprits : opposer les pauvres (qui travaillent et gagnent mal leurs vies) aux plus pauvres qu’eux, les chômeurs, et qui ont le malheur supplémentaire d’être au chômage : les stigmatiser jusqu’au point de faire entrer dans la tête de tous que le « chômage est la faute des chômeurs », et non pas de celle de cette inepte politique économique basée sur la fameuse théorie selon laquelle il faudrait enrichir les riches jusqu’à ce que la richesse « ruisselle » sur la tête des pauvres, politique suivie jusque là par Macron, en pure perte et totale inefficacité d’ailleurs (quand même 40 milliards versés par an aux entreprises au titre du CICE contre zéro ruissellement).
Deuxièmement, à cette stratégie vieille comme la droite ancienne, s’ajoute la nouveauté d’une répression « poutinienne », digne du petit Vladimir : arrêter tout ce qu’il soupçonne d’opposition efficace (il n’y a pas à s’inquiéter de l’opposition inefficace et parlementaire) en arrêtant ce qu’il croit être des leaders du mouvement des gilets jaunes, et qui ne sont en fait que des emblèmes. À la fois Vladimir Macron se trompe de cible tout en visant l’opposant réel -les gilets jaunes-à sa politique. Il croit que le mouvement est lié par une fidélité à un chef et qu’en arrêtant ses « chefs », le mouvement s’arrêtera. Cela fait partie à la fois de son illusion quant à la nature du mouvement auquel il a à faire et de son illusion poutinienne le conduisant à la répression des opposants réels. Il n’arrêtera rien ainsi d’un mouvement dont la nature polymorphe et parfaitement horizontale, ne laisse pas de prise à la saisie d’un « chef ». Chez les gilets jaunes, pas de « chef », et c’est la force du mouvement, de ne pas générer de « chefferie ». Ici où là des figures emblématiques, mais qui peuvent disparaître ou apparaître, du jour au lendemain.
L’apparition de Vladimir Macron sur la scène politique dès ce deux janvier, en dit long à la fois sur le mouvement qui s’est dessiné l’année 2018 et qui est déjà ancienne (quelle accélération du temps !) et ce qu’il va se produire maintenant : la naissance d’un appareil d’Etat de type poutinien traquant, avec un succès à la Pyrrhus, des opposants par nature insaisissables, car ne « représentant pas le mouvement » mais seulement en portant l’emblème. Vladimir Macron va être confronté à son inintelligence (lui qui se pense trop intelligent !) fondamentale de ce qu’il prend pour cible et qu’il ne comprend pas. Il est comme un boxeur qui s’acharnerait à boxer contre un volatile qui viendrait, à chaque fois que le boxeur lui lance une droite, s'envoler pour le contourner et le piquer du bec dans le dos. Le boxeur va s’épuiser tout seul et finira par tomber par terre de son propre fait.
Il y a mille Eric Drouet dans le mouvement des gilets jaunes. Nous sommes tous Eric Drouet. Va-t-il nous arrêter tous ? L’horizontalité du mouvement est ce qui le garantit contre l’emprise d’un chef et donc, contre son emprisonnement. Le protéiforme, le multiforme, l’insaisissable sont les figures de ce mouvement, qui est au fond novateur dans ce fait : il ne se laisse pas saisir ; bien entendu il ne se laisse pas conformer dans sa « manifestation », par le trajet obligatoire « Bastille-Nation » des manifs traîne savate, que nous avons connus trente ans durant, et qui sont d’un coup ringardisées au même titre que les syndicats qui les appelaient sur le sempiternel même trajet avec une inefficacité croissante remarquable et remarquée , jusqu’à n’obtenir finalement jamais rien du tout. La manifestation obéissante et prévisible dans sa trajectoire comme dans sa fin inutile et dérisoire, a donc pris fin ,place aux manifestations imprévisibles et fugaces, place aux formes diffuses et multiples, à la surprise permanente, à la culture du surgissement: sous les pavés rebattus "la plage nouvelle",pourrait-on dire en recyclant ce magnifique slogan soixante-huitard!
Que les gilets jaunes, avec ou sans gilets, continuent cette nouvelle culture du protéiforme et de l’insaisissable ; Qu’ils deviennent, au sens propre du terme, viraux, c’est à dire qu’ils se répandent comme un virus, contre lequel la grosse matraque policière est aussi inefficace que dérisoire. Comme l’avait déjà signalé Voltaire dans « Zadig ou la destinée », une armée de baïonnettes est inefficace contre la diffusion des idées , car ce caractère diffus et diffusant des idées est justement, ce qui fait leurs forces.
En somme, faisons du mouvement un art, un art de l’esquive des matraques car il y a entre l’art et le mouvement plus qu’un isomorphisme, un concept commun. Devenons l’art de notre mouvement.
Chaque mouvement gilet jaune sera ainsi insaisissable par un quelconque poutinisme, ( macronien ou autre). Il deviendra comme un nouvel art de se manifester, sans chercher ni la violence, ni à respecter les formes obligées, mais laissera passer l’idée en permanence de son propre accomplissement dans la forme qu’il dessine, rappelant le jaune fluo du gilet tout droit sorti de « l’auto-mobile » dont on rappellera ici la sémantique : auto-mobile, soit ce qui se meut de lui-même.
Devenons ce mouvement en permanence « auto-mobile », qui se renouvelle chaque fois qu’il se manifeste et que « personne ne peut emprisonner », pas même le nouveau sous-poutinisme français, celui dont prend forme Macron pour sa nouvelle année 2019.
Thierry Ponsot