Maisons de santé pluridisciplinaires : les pharmaciens ont toute leur place dans les structures de soins coordonnés
Brigitte Bouzige est pharmacienne titulaire aux Salles-du-Gardon (30), présidente de l'association des professionnels de santé du Bassin des Cévennes et vice-présidente de la Fédération française des maisons et des pôles de santé. Elle a choisi d’exercer son activité en coordination avec d’autres professionnels de santé au sein du Pôle Santé Cévenol. Analyse d’un mode d’exercice appelé à se développer.
Vous avez participé à la création de cette maison de santé. Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer dans cette aventure ?
Brigitte Bouzige : j’exerce dans une zone semi-rurale caractérisée par de réelles difficultés d’accès aux soins. Ces difficultés sont à la fois géographiques, liées à la désertification médicale du territoire, et économiques, en raison d’un niveau de précarité élevé. Cette maison de santé multisite [1] a été créée à l’initiative d’une trentaine de professionnels de santé, avec le soutien des collectivités locales qui nous ont aidés à trouver des locaux.
Combien de professionnels de santé exercent actuellement au sein du Pôle Santé Cévenol ?
B.B. : presque quatre ans après sa création, nous sommes toujours une trentaine à exercer sur un territoire de 14 000 personnes environ. Nous comptons 2 médecins, une quinzaine d’infirmières, 4 officines, 2 kinésithérapeutes, 1 laboratoire d’analyses médicales, 1 diététicienne, 1 orthophoniste et 1 pédicure-podologue.
Comment est né ce projet ? Et avec quelles contraintes ?
B.B. : il est né du besoin impératif de lutter contre la désertification médicale de notre territoire, tout en adaptant l’offre de soins aux besoins très spécifiques de la population. Nous avons lancé ce pôle de santé il y a quatre ans... Cela peut paraître long mais il y a un temps incompressible pour mettre en place ce type de projet. C’est d’ailleurs un des enseignements que je tire de cette expérience. Même si la situation sanitaire peut paraître urgente, il faut se donner du temps pour permettre aux équipes de devenir efficaces et opérationnelles. Dans notre système de santé, la coordination des soins ne va pas de soi. D’autant que les contraintes administratives sont importantes, tant pour la formalisation du projet médical auprès de l’Agence régionale de santé, que pour l’obtention des dotations au titre des NMR [2]. Ces contraintes ne sont d’ailleurs pas spécifiques à notre MSP mais s’imposent à toutes les structures de soins coordonnés. Nous avons une pression forte de la part de l’ARS et de la Caisse primaire d’Assurance-maladie, car nous risquons chaque année de perdre tout ou partie de notre dotation annuelle si nous ne respectons pas les objectifs que nous nous sommes fixés dans notre projet médical.
A combien s’élève cette dotation budgétaire ?
B.B. : Pour ce qui concerne notre site, elle s’établit à 36 700 euros par an. Ce qui est somme toute assez modeste, au regard des activités que nous assumons. Elle nous permet notamment de rémunérer un poste de coordonnateur qui assure la gestion administrative au quotidien (transmission des ordres du jour, rédaction des comptes-rendus des réunions, mise en place de missions de santé publique...). Cette charge de travail a nécessité l’embauche d’un coordonnateur de niveau Bac + 5, travaillant deux jours par semaine. L’un des aspects positifs de ce mode d’exercice, au-delà de l’amélioration de la prise en charge des patients, est qu’il a permis de créer des emplois qualifiés. C’est un élément important dans un territoire comme le nôtre.
Quelle est précisément la taille moyenne d’une maison de santé pluridisciplinaire ?
B.B. : ce type d’organisation se compose généralement de 4 à 5 médecins, entourés d’une quinzaine d’autres professionnels de santé. Pour une file active de l’ordre de 4 000 à 5 000 patients.
Comment votre activité officinale s’imbrique-t-elle avec celle des autres professionnels de santé ?
B.B. : nos exercices respectifs sont totalement articulés les uns avec les autres. En règle générale, sur 100 clients de la pharmacie, 80 consultent un médecin de la MSP et 7 ont une infirmière. L’équipe officinale assure un rôle d’accompagnement et de suivi des patients.
Quels services spécifiques leur proposez-vous ?
B.B. : nous avons mis en place un programme axé sur l’éducation thérapeutique, particulièrement adapté aux besoins sanitaires du territoire (30 % de la population est âgée de plus de 60 ans, le taux de pauvreté et le taux de chômage approchent les 40 %). Ce programme intègre des ateliers destinés à la prévention des chutes, à la nutrition, à l’observance des traitements et à l’hygiène de vie (exercice, lien social…). Nous mettons aussi à disposition des informations sur les incidences du tabac. Et nous apprenons aux patients concernés à apprendre des gestes plus techniques comme l’utilisation d’un tensiomètre, d’un glucomètre, etc. Ce projet est axé sur l’optimisation du lien ville/hôpital afin d’éviter les ré-hospitalisations et permettre le maintien à domicile des personnes de plus de 65 ans en situation de précarité.
Quel bilan tirez-vous de ce mode d’exercice ?
B.B. : il s’agit d’une expérience très riche d’enseignements. Le premier concerne le management de ce type de structure. Comme les tâches administratives sont lourdes, il faut un « manager » qui assume son leadership, accepte de porter le projet et de le gérer au quotidien. Deuxième enseignement : quel que soit son rôle dans la gestion du pôle ou de la maison de santé, le ou les pharmaciens d’officine qui en font partie doivent investir de leur temps et de leur énergie. Ils doivent notamment participer aux réunions de concertation pluri-professionnelle destinées aux cas patients complexes, contribuer à l’élaboration des protocoles thérapeutiques et à la conciliation médicamenteuse, se former à l’éducation thérapeutique, mettre en place les suivis d’observance... Sans compter la PDA [3] et les visites à domicile pour les patients en perte d’autonomie (livraison des médicaments, visite de détection des risques de chute...). Il s’agit donc d’un mode d’exercice qui requière un fort engagement de notre part.
" Un mode d’exercice très prenant, mais qui apporte beaucoup de satisfactions sur les plans professionnel et intellectuel. "
Parallèlement à votre activité de pharmacienne, vous êtes vice-présidente de la Fédération française des maisons et des pôles de santé. Comment envisagez-vous la place des pharmaciens dans la coordination des parcours de soins ?
B.B. : cette place est encore modeste. On dénombre actuellement moins de 1 000 officines intégrées dans les maisons ou les pôles de santé. Mais c’est un mode d’exercice appelé à se développer dans les années à venir. Le corps médical se concentre dans les zones urbaines ou au profit de l’exercice hospitalier. Il s’agit d’une tendance de fond qui sera lente à inverser dans les années à venir. Cette situation nous oblige à adapter notre exercice et à modifier la façon dont nous travaillons avec les autres professionnels de santé. Il se dégage d’ailleurs un consensus politique sur cette question puisque les principaux candidats à l’élection présidentielle promettent une augmentation importante du nombre de maisons et de pôles de santé dans les cinq à dix ans qui viennent.
Propos recueillis en mars 2017 par Les Echos Publishing, division Communication éditoriale du groupe Les Echos. Interview publiée dans Actu Pharma, revue d’information de CGP (Conseil Gestion Pharmacie), premier réseau d’experts-comptables en France spécialistes de la gestion des pharmacies d’officine.
[1] Sur le plan réglementaire, cette maison de santé multisite est une « communauté professionnelle territoriale de santé ».
[2] NMR pour « Nouveau Mode de Rémunération ». Il s’agit des rémunérations dérogatoires au paiement à l’acte permettant de financer les prestations liées à la coopération entre professionnels de santé, ainsi que les services d’accompagnement des patients (ex. : séances d’éducation thérapeutique).
[3] PDA pour préparation des doses à administrer.