Management public, L'école des "héros"​, épisode 5, la méthode des 4S.
Et ça marche aussi dans le Service public !

Management public, L'école des "héros", épisode 5, la méthode des 4S.

Qui sont ces 4S qui sifflent sur nos têtes ? 

En 2006, j'ai eu la chance et l'honneur d'être nommé secrétaire général de la préfecture de la Corrèze, sous-préfet de Tulle, après deux postes successifs comme directeur de cabinet. Un cadre superbe, vous savez ces préfectures de la jeune Troisième République au look vaguement Louis XIII dans un parc de cinq hectares, un préfet plutôt moderne et expérimenté, juste ce qu’il faut pour un département « présidentiel » qui a vu quatre représentants de l’Etat se succéder en cinq ans.

Car force est de constater que, sous la surveillance plus ou moins bienveillante d’un Conseil général surpuissant, tout ici fleurait bon le paritarisme et l’égalitarisme, avec des moyens supérieurs à ceux des préfectures de même rang, ou de même strate comme on dit dans la préfectorale. Ce « privilège » s’accompagne d’un sureffectif relatif mais chronique, de l’emploi de personnels issus de la restructuration de GIAT-Industries payés à des salaires mirobolants, et d’une sous-mobilité endémique. On vit, on étudie, on travaille et on meurt à Tulle, comme le lui diront souvent ses interlocuteurs à la préfecture ou dans la tribune du Sporting Club tulliste, mon club.

Mon arrivée fait un peu peur. Un saint-cyrien, on l’adore souvent une fois qu’il a pris ses responsabilités, mais, quand il est annoncé, on commence par craindre qu’il n’ait des méthodes trop militaires ou que, tout simplement, il commande ! La grande différence entre l’armée et la fonction publique civile est que, pour commander sous l’uniforme, il faut être passé par tous les postes subordonnés, du moins en formation – presqu’à l’allemande. Cette connaissance intime des échelons hiérarchiques par lesquels on est passé pousse à être plus exigeant à leur égard de leurs titulaires. Et il est vrai que certains ont du mal à quitter le képi pour la casquette…

Au regard des chiffres et des compétences managériales disponibles dans la préfecture à ce moment-là, la mission du secrétaire général paraît compromise. Pourtant moins de deux ans après, François Hollande, alors député-maire de Tulle, dira au préfet en parlant des agents de la préfecture : « Mais que leur avez-vous fait ? Avant, quand je les croisais dans les rues de Tulle, ils avaient l’air tout ratatinés, maintenant ils me donnent l’impression de bomber le torse ! » Ces propos, rapportés par le préfet, sont peut-être exagérés mais ils symbolisent bien ce qu’est ou devrait être l’autorité. Etymologiquement, l’autorité – du latin auctoritas–  est ce qui augmente, amène à être meilleur, plus savant, plus capable. Le mot auteur a d’ailleurs la même origine : auctor, celui qui accroît.

Pour atteindre ce résultat, j'ai tout simplement mis en oeuvre et appliqué auprès de mes cadres et agents – fort réceptifs après une phase d’étonnement – une adaptation locale de la méthode des 4S de Jean-Jacques François[1]. Il fallait un cadre d’action global, permettant une homéopathie de mesures. Mieux vaut en effet changer trente fois d’un degré plutôt qu’une fois de trente. A condition d’avoir un cap. Et une méthode. Les 4S, c’est finalement simple mais tout y est : donner du Sens, organiser le Suivi, assurer le Soutien, favoriser les Solidarités. Quatre séquences pour un tableau de bord visuel devant s’équilibrer sur la durée du mandat. Imaginez ce cadran avec des post-it pour chaque mesure s’y rapportant.

Donner du Sens

Donner du sens, cela passe par la clarté du mandat, par une « revisitation » de la raison d’être (l’essence ?) de la préfecture, de chaque direction, de chaque bureau… Donner du sens, c’est s’accorder la possibilité de rendre un souffle à son travail et à son management, à ce qui a de la valeur, de l’utilité – surtout quand on croule sous les commandes, les urgences, les dossiers, les réunions… et autant d’injonctions contradictoires. Donner du sens est une démarche spécialement nécessaire à l’égard des directeurs de préfecture, dont le positionnement par rapport à leurs homologues directeurs départementaux des services déconcentrés de l’État (les ex DDA, DDE, DDASS, DSV…) n’est pas simple !

Le sens est un beau mot de la langue française, « un diamant du lexique français » comme dit François Cheng dans Le Dialogue. Il évoque à la fois une direction, une signification et une sensation, « les trois niveaux essentiels de notre existence au sein de l’univers vivant »[2]. En outre, expliquent Alain Caillé et Jean-Edouard Grésy, « ces trois niveaux se déclinent selon un ordre logique puisque la dimension stratégique (direction) se traduit traditionnellement en objectifs opérationnels (signification), pour lesquels l’implication des collaborateurs pour les atteindre est éminemment affective et subjective (sensation). »[3]

Donner du sens, c’est permettre à l’organisation de retrouver ses esprits, son ikigai. Nous y avons travaillé pendant deux jours dans un endroit plutôt agréable, au cours d’un séminaire qui s’est achevé sur une déclinaison et une restitution, bureau par bureau, avec l’ensemble des collaborateurs de la préfecture présents.

Organiser le Suivi

Notre objectif était que le management opérationnel de la performance soit cohérent avec le sens, tel qu’il a été exprimé au cours du séminaire. Il y faut peu d’indicateurs, mais des bons, un tableau de bord équilibré et affiché, et surtout des éléments de comparaison. Les préfectures disposent en effet d’un outil permettant de se comparer entre elles, globalement et par strates, autour d’une quarantaine de variables.

Le simple fait de s’intéresser au sujet et de montrer ces éléments à l’ensemble des cadres et des agents, donc de les rendre visibles, a permis une correction positive des indicateurs déjà suivis institutionnellement. Bien des indicateurs au rouge ou à l’orange ont basculé dans le vert comme par enchantement. Sans parler de ceux qui valaient vraiment la peine d’être suivis, et qui étaient rarement dans les listes initiales.

Organiser le suivi, c’est le terrain de jeu du manager public. Des objectifs, un plan d’actions, des leviers d’actions, des responsables, des jalons et une dynamique d’équipe(s) à animer. Mais attention, animer, c’est « donner une âme », pas autre chose. Il faut encore assurer le soutien.

Assurer le Soutien.

Assurer le soutien, c’est d’abord montrer que l’on est bien aux manettes, qu’on tient le cap et qu’on est un capitaine courageux, un vrai chef à la fois exigeant sur les performances et capable de créer les conditions de la réussite. Le climat de confiance permet de faire grandir l’édifice. Il faut ensuite laisser de l’autonomie à ses cadres. Ils doivent avoir confiance dans le chef d’orchestre. Soutenir, c’est donner la possibilité de combiner les obligations RH avec les vraies priorités, c’est accorder parfois des moyens financiers, mais c’est le plus souvent donner un conseil, un soutien en formation, un renfort psychologique, dans l’exemplarité et la cohérence systémique.

Le général Patton avait une belle formule pour parler de sa façon de commander : « Ne dites pas aux gens comment faire les choses, dites-leur quoi faire et laissez-les vous surprendre par leurs résultats. » 

Quand on est un manager public, on doit s’adapter à son terrain et à ses collaborateurs. Les écouter. Les écouter, les écouter encore. Et être disponible pour le faire. En rencontrant l’ensemble des bureaux, le secrétaire général a pu comprendre leurs besoins collectifs mais aussi individuels. Petits mondes qui cohabitent dans de bien petits espaces depuis parfois trop longtemps. Quand on comprend cela, on peut changer de petites choses, souvent fort circonscrites, mais qui permettent de progresser. 

C’est parce que je sais où je vais, que j’ai de quoi suivre mes progrès (dans l’absolu et en relatif) et que je me sais soutenu par mon chef – à défaut de l’être  par le système – que je peux me réaliser et donner toute la mesure de mes compétences de professionnel. 

Favoriser les Solidarités.

Il ne faut pas sous-estimer la dimension du collectif et la fierté d’appartenir à quelque chose de plus grand que soi, comme un bureau, une direction, une préfecture, le ministère de l’Intérieur, l’État. C’est dans ces instances qu’on fête ensemble les petites victoires, qu’on s’intègre dans les espaces de convivialité, les pots, les naissances, les départs… Et qu’on fait passer des messages. Rien n’est anodin. Jamais.

C’est là que se construit l’esprit de corps, non contre quelqu’un ou quelque chose, mais positivement. C’est aussi là que se construit l’honneur d’appartenir à tel bureau ou à la préfecture de la Corrèze, parce que je suis fier de mon préfet, de son discours, de ce qu’il transmet, de notre utilité collective autant qu’individuelle au sein de cette communauté en mouvement, parmi des dossiers compliqués et longs qui se concrétisent… Les vœux au préfet, avec une bonne dose d’humour et d’autodérision (ce qui n’est pas sans risque, nous vous l’accordons bien volontiers), sur fond d’excellents résultats (pas sans risque non plus) et de la mise en place d’une newsletter mensuelle avec présentation des bureaux, ont été les points forts du chapitre solidarité.

Les 4S, c’est tout cela. Un tableau de bord vivant touchant les pilotes de la personnalité à titre individuel comme à titre collectif. J’insiste une nouvelle fois sur ces deux dimensions qui doivent s’additionner à chaque fois au lieu de s’exclure trop souvent. Ainsi se dégage chez les cadres et agents l’impression que, dans leur travail, ils sont à la fois fiers de leur entité, qu’ils apprennent chaque jour quelque chose, qu’ils gagnent leur vie correctement et qu’ils ont du plaisir à le faire en cette bonne compagnie. La remarque de François Hollande était une belle récompense pour l’équipe préfectorale en place.

Dix ans après, les 4S version 2.0

Nommé à la tête d’une sous-direction des achats et des finances d’une grande direction générale du ministère des Armées comprenant 150 personnes en janvier 2017, il a fallu six mois pour, collectivement, écrire un nouveau projet de service et redynamiser des équipes particulièrement compétentes techniquement mais neutralisées par un environnement relativement oppressant et bureaucratique. J'ai demandé à tous mes bureaux d’appliquer en propre cette méthode des 4S, le projet de service ne venant que coiffer les ambitions des agents de chacun des bureaux. Une même démarche mais un respect de l’identité des quatre bureaux et de l’état-major.

Un grand amphi est organisé le 1er juin, avec présentation claire du mandat reçu et des règles du jeu (raison d’être, droit à l’erreur, excellence opérationnelle…) et échanges avec la salle. A partir de septembre, je reçois individuellement, par tranches de 30 minutes, la totalité des agents de ma sous-direction. Le souffle ne doit pas tomber et la culture du feed-back est indispensable. On y apprend tellement de choses. Diriger, c’est aller au-delà de la « connaissance ordinaire », c’est comprendre ce qui se joue, ce qui se passe vraiment dans « les coursives », y compris individuellement. Voir si l’information descend bien, voir si chacun se retrouve dans son poste, comment il se projette dans cinq ans. 

Un an après, malgré quelques rechutes,  j'ai la faiblesse décrire que plus personne ne s’ennuyait dans son poste. Les conflits interpersonnels avaient largement diminué, les plus « nuisibles » étant partis. Deux bureaux ont été réorganisés dans une logique d’autonomisation, de responsabilisation et d’« empouvoirement ». Deux mots clés : « dépyramidage » et simplification. Car au fond la logique antérieure procédait davantage de l’idée de trouver un poste de manager pour tous les cadres plutôt que de s’interroger sur le pourquoi des entités et des cadres. 

Le vrai changement était cependant dans les têtes. Ceux qui avaient tendance à se croire enfermés dans un système pyramidal se sont ouverts aux besoins des autres Ils ont développé l’esprit de service. Manager, c’est remettre du souffle, de l’énergie, pour ne pas laisser l’entropie administrative prendre le pouvoir.

Comme le général Patton, je suis chaque jour surpris par la qualité des livrables, des inventions et des propositions faites dans ce « semi-chaos » savamment organisé et assumé, donnant une ampleur inégalée à son service, bien au-delà des objectifs initiaux de sa propre feuille de route. 

Rédigé par Laurent Pellegrin

Pour approfondir :

Le management des performances par les « 4S » est une méthode possible parmi bien d’autres pour mener à bien une démarche d’amélioration continue dans les services publics. Un pack « 4S » tout à fait remarquable a été réalisé dans le cadre d’un master de l’université de Compiègne, contenant un guide de bonnes pratiques « 4S » et un outil d’autodiagnostic pour un suivi régulier de l’application de la méthode. 

Ce pack est mis à disposition gratuite par simple téléchargement sur internet à l’adresse suivante : http ://www.utc.fr/master-qualite[4].


[1]Jean-Jacques François, Des Services publics performants : c’est possible !First, 2004.

[2]François Cheng, Cinq méditations sur la mort autrement dit sur la vie, Albin Michel, 2013.

[3]Alain Caillé et Jean-Edouard Grésy, La Révolution du don. Le management repensé à la lumière de l'anthropologie, Seuil, 2014.

[4]Rahmani M, Khimeche F, Errachidi N. Pilotage de la performance, bonnes pratiques et autodiagnostic - Projet d’intégration, Master 2 Management Qualité, UTC 2008-2009, http://www.utc.fr/master- qualite, rubrique « Travaux », n° 85. 

Brigitte Le Chevalier

Coaching - Accompagnement professionnel de personnes, d'équipes, d'organisations - Formatrice Management & Communication - Bénévole co-référente de l'antenne de Paris IDF SOS MEDITERRANEE France #togetherforrescue

6 ans

Merci pour cette belle citation et ce texte inspirant. 

"Quand le dernier arbre aura été abattu - Quand la dernière rivière aura été empoisonnée - Quand le dernier poisson aura été péché - Alors on saura que l'argent ne se mange pas." Géronimo.

Seule le désir de faire sens , le désir de bâtir pour l'avenir, en mettant tout ce dont nous rêvons pour une société future active et sage nous donnera la force de poursuivre, et cela se joue chaque fois que nous traçons un chemin avec nos équipes. Mais aujourd'hui la perte de sens et de foi en soi et la perte de foi dans notre société, mine la confiance que nos anciens ont mis, dans la génération future, et mis en place avec tant d'ardeur, parfois de leur sang. Nous engendrons ce qui fait sens chaque jour lorsque nous exigeons. Mais nous n'exigeons que de la performance, pas de l'intelligence, ni de la sagesse, comme si nous étions des "performeur". Mais un "performeur" athlétique met parfois quatre années pour gagner 1/2 s au 100m : tout cela pour 1 gagnant et des milliers de perdants.  C'est donc bien de "permettre" qu'advienne un monde bâtit par les humains. Même si cela ne séduit pas ceux qui sont aux commandes, le CAC 40,  les sociétés de placement dont nous avons besoin. Même si cela ne séduit pas les laissé pour compte. Merci St Exupéry..

Michel Monneret

Administrateur - Direction générale - Direction du numérique - Finances

6 ans

Très beau post.

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