Mes convictions managériales : le « guerrier bienheureux », épisode 1.

Mes convictions managériales : le « guerrier bienheureux », épisode 1.

Ce que nous appelons "management" consiste en grande partie à compliquer le travail des gens". Louis Armstrong, trompettiste de jazz.

Le choix résolu du management

Ceux qui me côtoient connaissent ma passion pour le management et le leadership. Je suis tombé dedans tout petit et je dois dire que je me régale chaque jour d’avoir choisi cette voie d’apprentissage qui en dit si long sur l’Homme, ses réalisations, ses ressorts, ses troubles, son potentiel individuel comme collectif.

L’avantage du management, en tout cas dans le sens que je lui donne, c’est que l’on peut tout y mettre. La philosophie, l’art militaire, la psychologie et ses nombreuses variantes, les neurosciences et leurs immenses avancées. Et pourtant, cela reste un voyage assez solitaire. Comme si les gens préféraient la technicité des tâches à la capacité faire de ce qu’ils font une œuvre d’art. C’est à dire qu’ils privilégient toujours les comment aux pourquoi.

Quand on est en situation de responsabilité, quand on dirige des gens, je crois que ce que l’on vise fondamentalement, c’est le soutien et l’écoute accordées aux salariés, le développement constant de son charisme personnel et donc d’influence et la capacité à négocier des objectifs gagnant-gagnant. Car un leader n’est rien sans une équipe qui le suit. Une équipe n’est rien sans un coach talentueux.

On trouve dans toute la littérature sur le sujet des styles différents de leaders selon qu’ils sont plus ou moins centrés sur les tâches à accomplir, le volet social, intellectuel de la chose, ou sur les modalités de participation. On sait également que cela passe par des modes de pensée différents (concentré sur l’action, flexible, complexe, créatif…) et par une gestion plus ou moins réussie des compétences émotionnelles (tolérance à l’adversité, sang-froid et empathie, énergie, assurance, humilité…).

On peut cependant dire avec une certaine convergence de vue avec la Fondation Saint-Cyr, que le leadership se définit comme une capacité à exercer le leadership de soi, définir une vision et la partager, fédérer ses interlocuteurs autour de la vision, changer le cadre de référence, mettre en pouvoir ses interlocuteurs, encourager et valoriser.

Nous reviendrons sur cette quasi cartographie des styles de leadership tout au long de cet article et de ces capacités. Car la formation à l’exercice de l’autorité, sa mise en application à la fois en transactionnel ou dans la recherche de la performance globale d’un service, c’est vraiment une part importante de ma vie d’homme. Mais ce n’est pas un cours de leadership. C’est avant tout une lecture personnelle de ce qui compte pour moi.

"Dans la langue française, le mot "autorité" vient du latin auctoritas, dont la racine se rattache au même groupe que augere, qui signifie "augmenter". La morale humaine augmente la valeur de l'autorité. Celui qui a autorité sur moi doit augmenter mes connaissances, mon bonheur, mon travail, ma sécurité, il a une fonction de croissance. La véritable autorité est celle qui grandit l'autre. Le mot "auteur" dérive de cette autorité-là. En tant qu'auteur, je me porte garant de ce que je dis, j'en suis responsable. Et si mon article est bon, il vous augmente. Un bon auteur augmente son lecteur."[1]

Cinq axes pour le futur chef ou manager

Fondamentalement, le chef que j’essaye d’être, en l’occurrence un manager du secteur public mais c’est valable dans tous les secteurs, et parce qu’initialement formé à la chose militaire, doit concentrer ses efforts autour de cinq axes, la mission, le contexte d’action, le levier de motivation des équipes, le comportement de leadership, le rôle et la posture managériale.

La mission d’abord. On dit à Saint-Cyr que la mission est sacrée car elle a deux S. Symbole du 2S, le deux décembre 1805, bataille d’Austerlitz. Ce chef d’œuvre napoléonien, devenu la base du calendrier saint-cyrien. Il faut donc comprendre la lettre mais aussi l’esprit de la mission. Toujours la préparer en pensant aux enjeux, aux effets à obtenir, aux impacts à court et plus long terme, aux risques. Cela passe inévitablement par interroger l’intention de son chef (le But-Mission). 

Dans tous les cas, évitez les automatismes, les biais de la pensée et de l’expérience. Réécoutez systématiquement le contexte, les signaux faibles, les bruissements du temps qui changent. Ecoutez vos collaborateurs. Prenez le temps de la réflexion mais pensez en homme ou femme d’action(s). Soyez aussi concrets que possibles ensuite. Car la mission se décline en effets à obtenir et en plan d’actions.

La notion même d’effet majeur est tout à fait primordiale. Car on ne fait pas les choses pour les faire. On les fait pour obtenir un effet : sur les autres, sur le terrain, sur l’adversaire ou sur l’ennemi. On cherche à « impacter ». Soit directement, soit indirectement.

" Effet majeur = effet à obtenir sur l'ennemi, en un temps et un lieu donnés. Sa réussite garantit le succès de la mission. L'effet majeur est l'action par laquelle le chef envisage de saisir l'initiative".

C'est donc l'effet garantissant le succès. Ce puissant outil réside principalement dans son caractère dynamique. Le chef saisit l'initiative ou empêche celle de son ennemi grâce à cet effet. Ce n'est pas qu'une succession de phases tactiques, c'est un effet recherché. En un mot : "J'ai gagné la guerre si..."[2]

Je vous invite à ne jamais perdre de vue l’effet majeur pouvant permettre de maintenir l’initiative dans son camp donc sa liberté d’action, ou une contribution décisive à la victoire finale. Comprendre la mission c’est donc comprendre l’intention de son chef et s’intéresser à ce qui compte vraiment : le fameux « de quoi s’agit-il ? » du futur et exigeant maréchal Foch dans ses cours à l’école de guerre), qu’est-ce qui se cache derrière tout ça ? et déterminer un effet majeur à obtenir puis décliner cela en plan d’actions. 

J’aime aussi beaucoup la belle est puissante formule de Frédéric Bastiat quand pour parler de l’économie à ses collègues de l’Assemblée nationale il leur parle de « ce que l’on voit, et de ce que l’on ne voit pas » et qui est souvent plus important, voire le vrai sujet.

Si je veux obtenir….alors…. Si je veux obtenir cet effet… alors je mets en place un plan d’actions avec des jalons et des responsables. C’est aussi simple que cela. Tout doit être déterminé vers l’agir, vers l’action. Napoléon disait que la guerre était un art tout d’exécution. Qui mieux que lui pouvait en parler ? La méthode OVAR d’Alexandre Lamy est un bon levier pour cela. On met l’accent sur les objectifs à atteindreles variables d’actionset les responsables de ces actionset de ces objectifs avec évidemment les délais et jalons indispensables. Il faut toujours se sentir et rendre les autres « accountable » c’est-à-dire comptables et responsables de leurs actes et actions. Donc il faut que le mandat soit particulièrement clair et compris ainsi que les marges de manœuvre associées.

Le contexte d’action ensuite.

Il m’est arrivé de demander à l’un de mes collaborateurs pendant l’évaluation annuelle s’il avait 20 ans d’expérience ou 20 fois la première année d’expérience. Car je crois que le contexte est infiniment important. Il faut toujours en avoir une lecture la plus fine possible mais aussi la plus globale possible. Il y a à la fois une pure dimension locale et temporelle mais qui toutes deux s’inscrivent dans un effet systémique. Toujours. 

Robert D. Sutton[3]avait l’habitude de dire que ce sont souvent les gens les plus intelligents qui se servent le moins de leur intelligence car ils vont trop vite, agissent finalement trop automatiquement, en se coupant progressivement des autres et donc des sources de l’information. Or les choses changent. Les temps changent. Parfois subrepticement, parfois brutalement.  Or ce qui fait la différence, ce n’est pas l’intelligence en soi, c’est la capacité à être informé, à être au cœur des réseaux d’informations, à être connectés. Pas seulement numériquement, mais humainement. Ne pas s’isoler mais savoir que les gens qui vous entourent ont à cœur de vous donner des informations, ou à vous contredire parfois car ils savent que vous les utiliserez et que vous leur en ferait retour. Quand on est trop sûr de soi ou de son intelligence, on finit par se couper des sources de l’information.

Regardez Napoléon (oui encore lui, mais là je tiens cela de mon père) en 1807, avec la Paix de Tilsitt. Il est maître de l’Europe, tout est à lui. Et c’est à ce moment-là qu’il décide de ne plus penser qu’à son obsession dynastique, aux gages à donner à la bourgeoisie et à se couper de ses collaborateurs les plus intelligents et de ne plus aller comme auparavant débattre avec les conseillers d’Etat. 

Deux béni-oui-oui remplacent la cohorte des conseillers les plus brillants mais parfois un peu trop farouches. Le désastre n’est jamais loin avec des conseillers travailleurs mais sots pour paraphraser le général Von Hammerstein. L'anecdote est croustillante : un jour qu’on demandait au général Kurt von Hammerstein de quels points de vue il jugeait ses officiers, il dit : 

« Je distingue quatre espèces. Il y a les officiers intelligents, les travailleurs, les sots et les paresseux. Généralement, ces qualités vont par deux. Les uns sont intelligents et travailleurs, ceux-là doivent aller à l’état-major. Les suivants sont sots et paresseux ; ils constituent 90 % de toute armée et sont aptes aux tâches de routine. Celui qui est intelligent et en même temps paresseux se qualifie pour les plus hautes tâches de commandement, car il y apportera la clarté intellectuelle et la force nerveuse de prendre les décisions difficiles. Il faut prendre garde à qui est sot et travailleur, car il ne provoquera jamais que des désastres. » [4]

 Cela suppose également un bel investissement dans la culture générale, la psychologie, l’histoire du temps long. Cela suppose d’être toujours curieux, de savoir poser des questions et non de toujours trouver des réponses. 

Ce qui compte, c’est chaque matin de se mettre en posture de questionnement. Comment puis-je améliorer les choses aujourd’hui , Comment peut-on être meilleurs ? comment puis-je aider mes cadres ? « La curiosité, cette autre définition de l’intelligence » comme le disait si justement un philosophe allemand dans la revue Philosophie magasine. Demandez et vous recevrez. C’est tout le sens de la notion à mon sens majeure de « soliloque interrogatif ». On se fiche des réponses, elles viendront quand elles viendront. Ce qui compte c’est de poser les questions et de faire en sorte que les autres aient envie de les poser.

Rédigé par Laurent Pellegrin


[1]Lire sur : http://www.lepoint.fr/societe/michel-serres-la-seule-autorite-possible-est-fondee-sur-la-competence-21-09-2012-1509004_23.php#xtor=CS2-238

[2]Source: "Tactique théorique", Général Michel Yakovleff, Economica, 2ème édition.

[3]« Objectif zéro sale con »

[4]Cité par Hans Magnus Enzensberger, «Hammerstein ou l’intransigeance. Une histoire allemande» (Gallimard - Folio)

Source : http://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/mes-officiers-selon-general-von-hammerstein-4166


Eddy CORNEIL

Manager de Transition | Coach Professionnel Certifié | Expert en transformation organisationnelle et leadership

5 ans

Bravo pour cet article Laurent. J’adhère complètement aux arguments développés car j’ai fait mien depuis longtemps le principe qu’un bon manager ne peut s’améliorer que si les membres de l’équipe qu’il manage progressent ! Ce progrès doit être individuel dans un premier temps puis être coordonné afin d’augmenter l’efficacité collective ! J’ai une autre idée à vous soumettre et que je garde dans un coin de ma tête à chacun de mes nouvelles fonctions : je juge l’efficacité d’une équipe, d’un groupe, d’une organisation quand le chef n’est pas là ! En effet si les entités continuent a bien fonctionner en l’absence du leader, c’est que ce dernier a su insuffler un état d’esprit en respectant ses collaborateurs, en les responsabilisant, en leur faisant confiance, en étant à l’écoute de leurs remarques, idées et attentes et surtout en étant digne de la confiance qu’ils lui accordent ! Bon sujet pour une discussion, non ? Qu’en pensez-vous ?

Hervé AUROY🔹️

Coach ; Référent Jeunesse ; SNU

5 ans

La mission est également sacrée pour tous les échelons et enseignée à tous les niveaux de l'armée de Terre: CFIM, St Maixent, Écoles d'arme, d'etat-major, de guerre; pas uniquement à St Cyr

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