Manager demain (2ème partie) : nouveaux principes de management
Les Cahiers Lamy du DRH n°254 p.37 à 44

Manager demain (2ème partie) : nouveaux principes de management

Dans ce second volet du dossier sur le management de demain, je présente les bases des nouvelles pratiques managériales.

N.264 • les Cahiers LAMY Du DRH • mai 2019 [ 37 ] 👉 Manager demain (2ème partie)

Pour lire la première partie, c'est ici 👉https://lnkd.in/d-qwF-2

Bonne lecture !

Quel est le nouveau rôle des managers pour accompagner la transformation digitale de l’entreprise ?

Comme nous l’avons vu dans la première partie de cet article [1], les collaborateurs ont besoin de comprendre les enjeux, et les décisions de l’entreprise. Il faut coconstruire le changement avant de le conduire.

L’action collective nécessite une animation pour être mise en mouvement, une coordination pour être organisée en vue d’un résultat et une régulation pour maitriser les phénomènes imprévus.

Ces trois éléments sont assurés par le management.

Nouveaux principes de management

Construit sur de nouveaux fondements, éclos de cette nouvelle conjoncture, le post-management permet d’associer le digital au concept de communauté.

Post-management

François Silva, enseignant chercheur, propose de faire émerger des communautés post-management [2], dont le fonctionnement intègrerait plusieurs principes :

  • chacun des acteurs d’une Nouvelle Communauté Post-Managériale doit y participer volontairement ;
  • les relations entre les personnes sont basées sur la confiance et une bienveillance mutuelle ;
  • la valorisation du vivre ensemble se concrétise par le plaisir de se retrouver et de se (re)connaître ;
  • l’intégration de modes de reconnaissance concernant la contribution de chacun à la communauté ;
  • des possibilités d’expérimentation, facteur d’innovation :il est nécessaire de reconnaître le droit à l’erreur, mais aussi d’éviter le jugement ;
  • éviter la présence de hiérarchie directe qui renvoie à une culture du contrôle et de surveillance ;
  • savoir limiter le temps passé en réunion ; en effet, il va devenir impératif que les Nouvelles Communautés Post-Managériales ne soient pas l’occasion de développer une culture de la réunionite, facteur chronophage et sans gage de dynamisme ;
  • la concrétisation rapide d’objectifs simples ;
  • la capacité à co-construire des complémentarités dans l’action.

Ce schéma propose également d’intégrer plusieurs points fondamentaux, comme la sensibilité sociale des membres du groupe, l’égalité de répartition de la parole entre les membres, un régulateur reconnu et accepté par tous (pouvant être une personne différente) ou un animateur extérieur, et le respect mutuel de chacun des membres.

Ces projets s’accompagnent d’une communication qui met en avant leur caractère participatif et appelle les collaborateurs à s’impliquer, à faire preuve d’initiative, avec pour objectif : réussir la transformation digitale des entreprises.

Etapes de la transformation digitale

Cette transformation digitale se déroule en six étapes d’après Brian Solis, analyste digital [3]:

  1. Business « comme d’habitude » : L’organisation fonctionne avec des processus classiques et familiers incluant les clients, des processus, des mesures, des business models et de la technologie. Cette dernière est d’ailleurs perçue comme la condition nécessaire et suffisante pour assurer la digitalisation de l’entreprise.
  2. Présente et active : De petits noyaux de culture digitale et de créativité se forment dans l’entreprise. Malheureusement, leurs actions ne sont pas coordonnées alors qu’ils tentent d’améliorer des éléments différents de l’entreprise sans concertation ni réel support de l’entreprise.
  3. Formalisée : Les agents du changement recherchent le soutien de la direction pour obtenir de nouvelles ressources et technologies. L’expérimentation devient visible en agissant à des niveaux plus significatifs.
  4. Stratégique : Les équipes impliquées, découvrent l’intérêt de la collaboration, leurs recherches et travaux partagés aboutissent à la définition d’une nouvelle «road map» stratégique qui permet de s’approprier la transformation numérique tout en mutualisant les efforts et les investissements.
  5. Convergence : Une équipe dédiée à la transformation digitale se forme pour guider la stratégie et les actions en se basant sur le cœur de métier et des objectifs centrés sur le client. La nouvelle infrastructure de l’organisation prend forme tandis que les rôles, expertises, modèles, processus et systèmes supportant la transformation se solidifient.
  6. Innovante et adaptable : La transformation digitale devient la norme de l’entreprise. Les directeurs et les stratèges reconnaissent que le changement est permanent. Un nouvel écosystème est établi pour identifier et prendre en compte la technologie et les tendances du marché au travers de projets pilotes et les déployer à grande échelle le cas échéant.

Reste ensuite à répondre aux problématiques du quotidien. En effet, construire un collectif professionnel conduit à s’organiser pour intégrer des différences, car, contrairement aux groupes affinitaires, l’équipe de travail n’est pas « choisie », elle est « donnée ». Le rôle du manager est moins de diriger et piloter des individus les uns à côté des autres que d’animer un collectif de travailleurs associés. Il faut promouvoir les dynamiques de dialogue horizontal entre collègues.

« Donner le goût de la mer »

En se penchant sur les textes d’Antoine de Saint-Exupéry, la clé de ces problématiques se dessine :

« Si je communique à mes hommes l’amour de la marche sur la mer, et que chacun d’eux soit ainsi en pente à cause d’un poids dans le cœur, alors tu les verras bientôt se diversifier selon leurs mille qualités particulières :
Celui-là tissera les toiles,
L’autre dans la forêt, par l’éclair de sa hache couchera l’arbre,
L’autre encore forgera des clous,
Et il en sera quelque part qui observeront les étoiles pour apprendre à gouverner,
et tous cependant ne seront qu’un.
Créer le navire, ce n’est point tisser les toiles, forger les clous, lire les astres, mais bien donner le goût de la mer (qui est un et à la lumière duquel il n’est plus rien qui soit contradiction mais communauté dans l’amour) » [4].

Ces principes s’appliquent toujours à l’ère du numérique. Le navire, par extension l’entreprise, ne saurait avancer efficacement si les individus ne s’impliquent pas, et n’ont pas d’affect pour leur structure. Pour leur donner « l’amour » de l’entreprise, il faut que celle-ci réponde à leurs valeurs : celles de la foi du projet commun, du partage, et du désir de changer le monde.

Catalyseur et Nouvelles Pratiques Managériales

La présentation du contexte de l’entreprise a beaucoup évolué : d’un management encadrant une main d’œuvre qu’on estime « rechignant à la tâche », on a progressivement pris conscience des besoins de reconnaissance et d’implication des collaborateurs, pour aboutir à plusieurs schémas transversaux, qui proposent un management plus horizontal. Parmi eux, la théorie du catalyseur, ou les Nouvelles Pratiques Managériales (NPM).

Enjeux

Rémy Jourdan illustre de manière relativement synthétique les enjeux liés aux entreprises, développés précédemment : 

« On sait aujourd’hui que les collaborateurs d’une entreprise ont des besoins fondamentaux, sociaux et identitaires, comme le besoin d’appartenance ou le besoin de reconnaissance. L’idée du Management Participatif est de s’appuyer sur ces besoins fondamentaux pour « intégrer » l’individu à la marche et à la progression de l’entreprise grâce à la prise en compte de ses attentes et aspirations mais aussi en utilisant son intelligence et sa connaissance du processus de travail dont il a la charge. Il s’agit de favoriser la participation du personnel au processus de décision, à l’établissement des objectifs, de mobiliser au travers de la culture et du projet d’entreprise. Concertation, communication et délégation deviennent les maitres mots. Cercles de qualité, groupes de réflexion ou boîtes à idées en deviennent les outils. Équipes et individus gagnent en autonomie et en responsabilisation, gèrent les problèmes à leur niveau et s’autocontrôlent » [5].


« L’être humain moyen n’aime pas le travail »

La transversalité implique les collaborateurs, et les actions mises en place doivent avoir du sens pour eux. L’ancien modèle, issu du taylorisme, estimait que si le comportement ou l’attitude du personnel ne correspondait pas aux attentes, c’est qu’il fallait appliquer quelque chose pour les corriger, que ce soit sous forme de stimulants ou de sanctions. La cause des problèmes était issue du seul personnel. McGregor l’énonçait en définissant les individus ainsi : 

« Du fait de leur aversion à l’égard du travail, la plupart des gens doivent être contrôlés, voire menacés, afin qu’ils travaillent suffisamment dur. Les travailleurs ne fournissent l’effort attendu que sous la contrainte ou contre récompense (le salaire). L’humain moyen préfère être dirigé. Il n’aime pas les responsabilités. Il désire la sécurité par-dessus tout. Il ne déploie vraiment son intelligence que pour contourner les règlements » [6].


Taylor rajoutait :

« Le travailleur est incapable de comprendre entièrement son travail, que ce soit par manque d’éducation ou par insuffisance de capacités intellectuelles ».

Les conséquences de ces théories appliquées au management ont conduit à renforcer sans cesse des solutions inefficaces, qui privilégient une intensification des mauvaises solutions au lieu de changer de stratégie.

« Si une solution ne fonctionne pas, augmentons la dose» [7].

Cela empêche également toute remise en question du système de management en le déclarant non coupable par hypothèse [8].

Reconnaissance et collaboration

Le changement de paradigme actuel a bousculé toutes ces théories. Désormais, on tend à horizontaliser les collaborations, à définir une structure d’entreprise qui ne soit plus pyramidale, mais plutôt d’aspect neuronale. Une typologie organisationnelle voit alors le jour, qui semble répondre à ces enjeux : l’holacratie, qui est un système d'organisation de la gouvernance, fondé sur la mise en œuvre formalisée de l'intelligence collective. Opérationnellement, elle permet de disséminer les mécanismes de prise de décision à travers une organisation fractale d'équipes autoorganisées.

Le fractal est par définition, une structure évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, dénuée de niveaux, et qui s’oppose à la hiérarchie pyramidale. Ses principes permettent de placer la personne au centre. Elle n’est donc plus une ressource humaine, mais un membre à part entière d’une équipe, unique, puisque celle-ci n’est issue que de la somme des compétences de chacun. La motivation et l’investissement de chacun s’en trouvent décuplés.

Cette organisation permet également de donner un nouveau sens au travail, et par extension, à la vie, puisque le sens, c’est ce qui meut les personnes lorsque leurs besoins fondamentaux ont été satisfaits. L’autonomie inhérente concernant les buts, l’organisation structurelle, fonctionnelle et opérationnelle, permet de redonner la responsabilité des méthodes de travail à ceux qui ont la responsabilité des résultats. Ce qui évite un paradoxe souvent critiqué dans les entreprises traditionnelles. La réciprocité est également indispensable.

« Nul n’est irremplaçable »

Il s'agit d'une formulation courante dans l’entreprise traditionnelle. Dans cette nouvelle organisation, chacun est unique, et contribue avec ses compétences spécifiques au fonctionnement du groupe. Ce dernier évolue selon des valeurs communes, dont la loyauté, par les échanges et discussions ouvertes, la coresponsabilité, par la sensation de responsabilité et d’intérêt de chacun concernant l’atteinte des objectifs fixés en commun, en informant chacun des buts et des enjeux du travail individuel et collectif, ce qui donne du sens au travail d’équipe, où tous les membres peuvent librement établir des relations entre eux sans subir de cloisonnements issus d’un manuel ou d’une fiche de poste. Enfin, l’élément capital de cette organisation, c’est la confiance entre tous les acteurs de l’entreprise, qui génère un esprit de groupe sain, et qui laisse envisager une collaboration durable.

Facilitateur catalytique

« Cette théorie détermine,  selon Michel Hervé [9], une nouvelle typologie d’acteur dans l’entreprise : le facilitateur catalytique»

Ce n’est plus un leader, mais celui qui va favoriser le groupe, faire en sorte que sa stratégie soit commune. Ce ne sera plus une stratégie de métier, mais de territoire. Il en est donc le représentant. On applique alors une organisation fractale. 

Le facilitateur catalytique favorise la communication, et encourage la singularité de chaque personne, car c’est la somme des singularités qui va faire l’intelligence collective au-delà même de l’intelligence artificielle. C’est une organisation basée sur l’ambivalence. 

Le facilitateur catalytique a confiance en ses pairs. Il assume les erreurs de son équipe et la rassure. Ceci permet à chacun de s’investir davantage, sans craindre l’erreur et la sanction. Le manager catalytique sert de coordinateur dans la mise en place d’un projet commun et il est garant des règles déterminées. 

Nouvelles Pratiques Managériales : concept

L’émergence de ces Nouvelles Pratiques Managériales (NPM) fonctionne sur une relation de responsabilité des membres de l’équipe [10].

Le concept de CoP (Communauté de Pratique) explique la notion de communauté qui constitue un élément majeur, tandis que la Théorie de la Régulation Sociale (TRS) fait apparaître la façon dont les collaborateurs développent une autonomie en déployant des principes nouveaux de gouvernance à partir desquels les organisations mettent en place de nouvelles formes de fonctionnement propres. La gouvernance collective prend le pas sur la décision individuelle. Les solutions sont discutées, aléatoires, variables dans le temps et l’espace [11]. La décision change ainsi profondément de nature. L’idée que l’action n’est que rationnelle est ainsi mise à mal [12]. L’humain ne peut plus être réduit à sa seule dimension rationnelle. Il est dans une rationalité limitée [13]. De ce fait, dans les organisations, la question du doute et de son traitement devient capitale. La TRS fait apparaître l’importance de la régulation comme moyen d’ajustement constant et régulier, d’une autre nature que celle de la négociation.

Cependant, ce collectif nécessite des règles pour sa construction. Comme l’évoque Michel Hervé,

« pas de jeu sans règles du jeu »

car une des dérives de cette réorganisation pourrait être l’anarchie. Il faut donc déterminer un cadre, précis.

Règles

J. D. Reynaud a ainsi développé la TRS [14], qui consiste à expliquer qu’un collectif nécessite des règles qui constituent son identité, fixent ses frontières et déterminent ceux qui en font partie ou ceux qui en sont exclus. De cette façon, un collectif ne peut pas se former naturellement. Il faut qu’il soit élaboré autour de règles précises. C’est le fruit de «régulations réelles qui sont des compromis (souvent assez instables) entre autonomie et contrôle ». L’autonomie et le contrôle sont souvent en opposition. C’est la régulation de l’organisation entre le souhait des salariés d’être autonomes et celui de la hiérarchie de contrôler. La notion de règle est centrale dans la TRS.

« La règle est un principe organisateur. Elle peut prendre la forme d’une injonction ou d’une interdiction visant à déterminer strictement un comportement. Mais elle est plus souvent un guide d’action, un étalon qui permet de porter un jugement, un modèle qui oriente l’action. Elle introduit dans l’univers symbolique des significations, des partitions, des liaisons [...]. Les règles ont des auteurs et elles ont des destinataires. Elles sont liées à un projet d’action commune».

J.-D. Reynaud distingue trois types de règles : 

  1. celles d’efficacité pour prescrire les opérations à réaliser ;
  2. celles de coopération, fixées par un accord mutuel ;
  3. celles portant sur la hiérarchie et sur la division du travail.

Il n’y a pas de règles qui sont imposées aux acteurs. Ce sont les acteurs qui produisent des règles plus ou moins explicites qui, en même temps, encadrent les interactions. De plus, ces règles sont toujours en mutation, car le propre des interactions se trouve dans leur mutation et leur mouvance. Les règles sont sans cesse retravaillées et modifiées par les acteurs eux-mêmes. Il faut savoir concilier reproduction et évolution, permanence et changement. Pour trouver cet équilibre plus au moins stable ou instable, il faut ajuster, innover et modifier les modes de fonctionnement, donc les règles [15].

Rôle des réseaux sociaux dans l’entreprise 

Toute entreprise est désormais poussée à intégrer ses propres Réseaux Sociaux d’Entreprise (RSE). Il s’agit d’outils importants de partage et d’intelligence collective. Certains points de vigilance concernant leur déploiement et leur utilisation doivent être respectés. Il faut notamment être attentif aux pratiques managériales de leurs animateurs, à leurs modes de régulation, en particulier ceux concernant un niveau suffisant de reconnaissance : rémunération, mises à disposition humaines, ressources techniques déployées, implication personnelle entre autres. Leur pérennité repose sur leurs modes de gouvernance et l’implication d’un certain nombre de personnes [16].

Communautés

Il faut donc mettre les nouveaux outils au service de la coopération, de l’échange entre pairs, et de la discussion sur le travail, et s’en servir pour travailler sur les interactions et décloisonner. Comme l’explique le MAUSS (demander, donner, recevoir, rendre), le réseau social va permettre de valoriser l’association sous forme de communautés (de projets, de pratiques, d’intérêts). Ces communautés sont des communautés de choix, d’appartenance, plus ou moins éphémères, dans lesquelles l’individu interchangeable cède la place à la personne, être singulier, spécifique, qui s’inscrit dans le collectif pour trouver sa place et son identité par différenciation et lien de complémentarité. Désormais, chacun ne s’engage que s’il en retire une contrepartie [17]. Le principe du réseau social, c’est :

« inventer une construction collective autour de communautés professionnelles, en se souvenant que les structures et les pratiques actuelles pèsent et conditionnent les changements à venir » [18],

en mettant les nouveaux outils informatiques et numériques au service de la coopération, de l’échange entre pairs et de la discussion sur le travail. Adrien Payette et Claude Champagne ont d’ailleurs théorisé une démarche qui propose à chacun de développer ses compétences professionnelles dans le cadre d’un groupe de pairs, en cherchant à résoudre des sujets apportés par chacun grâce à l’intelligence du groupe :

« La diversité des personnalités, la multitude des expériences professionnelles et personnelles, la variété des façons de comprendre et de vivre la même pratique professionnelle, tout cela constitue la richesse du groupe » [19].

En effet, la rencontre ne peut exister que si se construit du lien social pérenne qui favorise la réflexion sur soi. Cet outil est toutefois soumis à une contrainte : comment les salariés vont-ils l’utiliser ? 

Au Crédit Agricole Centre France

L’exemple du Crédit Agricole Centre France semble pertinent. Afin de créer un RSE et d’encourager les salariés à l’utiliser, la direction générale a choisi d’utiliser une méthode collaborative : l’élaboration de son projet d’entreprise des années suivantes.

Concrètement, chaque collaborateur a été amené à utiliser la plate-forme pour réaliser des propositions de changements à apporter dans leur quotidien, à tous les niveaux. Ces idées, publiées, étaient ensuite soumises à « vote », où chacun était libre de voter pour ou contre l’idée émise. Les idées recueillant le plus de votes étaient ensuite intégrées au projet d’entreprise.

Cette méthode a généré un fort engouement de la part des collaborateurs. En leur donnant la possibilité de s’exprimer, à tous niveaux, dans tous les métiers, ils se sont sentis impliqués dans le projet qui était en train de s’écrire, ce qui constituait un changement considérable, puisque jusqu’alors ils avaient toujours subi les précédents projets d’entreprise, sans avoir la possibilité de faire de propositions. Les réfractaires au changement, qui avaient pour habitude de critiquer toute nouveauté, en pensant qu’il fallait faire autrement, se trouvaient en position de pouvoir proposer leurs solutions, et d’être habilement ou promus, ou déchus, en fonction des votes recueillis, par le collectif, sans lien hiérarchique.

Cet outil a permis un premier pas dans la structuration d’une organisation plus horizontale, où la communication sans hiérarchie permet l’émergence d’innovations à tous les niveaux.

Dans un second temps, pour pérenniser l’utilisation de ce nouvel outil, ce réseau a proposé des discussions thématiques sur les métiers de la banque-assurance, où chacun, par compétences (et non par niveau dans la hiérarchie) pouvait s’inscrire. Des groupes de travail sur ces thématiques étaient ensuite développés, les conclusions et travaux, partagés sur le RSE, furent un succès. Le réseau social permettait également à tous de communiquer, du directeur général à l’assistant commercial, qui pouvaient donner successivement leurs points de vue sur une thématique abordée, et démarrer un échange ensemble.

Le décloisonnement a réhumanisé les hautes sphères de la direction, en leur faisant reprendre contact avec l’ensemble des salariés, sur un vaste territoire géographique (le Crédit Agricole Centre France couvre cinq départements : Allier, Cantal, Corrèze, Creuse et Puy de Dôme).

L’animation de la communauté est un véritable enjeu pour que celle-ci ne soit pas un phénomène éphémère, et qu’elle pérennise un nouveau mode de communication interne. Pour la manager, il faut relancer à échéance régulière de nouvelles animations, de nouveaux groupes de travail, publier les résultats et aboutissements des groupes déjà en place, donner du sens, récompenser les plus gros contributeurs, s’inscrire dans une dynamique permanente. Le cas échéant, le RSE devient vite une coquille vide s’il n’est pas branché sur le cœur de l’activité professionnelle et si la réciprocité entre membres ne s’établit pas dans le temps [20]. Il faut donc le faire évoluer en digital Workplace, propose Maryse Carmes, Maître de Conférences au CNAM. Les salariés pourraient être invités à l’utiliser comme une base de données où tout se trouve : les boites à outils, un moteur de recherche interne, des e-learnings, un annuaire, des messageries et messageries instantanées, les actualités, l’espace gestion des congés. C’est un espace en mouvement, qui s’agrandit en permanence.

Communauté apprenante

Selon Étienne Wenger,

« La tâche de maintien de la communauté est une dimension fondamentale de toute pratique, mais elle passe souvent inaperçue, elle peut facilement être sous-estimée et même ignorée » .

Par leurs interactions, les collaborateurs « se spécialisent, se forgent une réputation, dérangent, s’affirment et développent des façons communes de faire les choses ». Tous auront une identité unique de plus en plus précise au fur et à mesure de l’engagement, et l’on sera capable de savoir lequel est le plus susceptible d’avoir les compétences les mieux adaptées en fonction de la tâche à accomplir. Les compétences, les connaissances et les réalisations de chacun vont s’entrecroiser et faire surface.

« Les communautés d’apprentissage deviendront des lieux propices au développement de l’identité dans la mesure où elles permettront d’actualiser les trajectoires, c’est-à-dire offrir un passé et un futur pouvant être vécus au sein d’une trajectoire personnelle » [21].

Il faudra alors tenir compte dans le développement de la pratique de ce qu’est la personne, de ses connaissances et de ses réalisations pour lui offrir la perspective d’un futur souhaitable. Plus une communauté se veut « apprenante » et plus grande sera sa capacité d’ouverture à ce qu’apportent les nouveaux venus : l’apprentissage est un processus de reconfiguration sociale.

Entreprise numérique

L’entrée du numérique dans l’entreprise est en train de se concrétiser par une transformation dans l’organisation du travail, dans les relations hiérarchiques, et donc dans le management. De nouvelles formes d’organisation du travail sont en train d’émerger autour des notions de virtualisation des relations interpersonnelles, permettant un travail ubique.

Remarque : Cet adjectif a été construit à partir de la racine latine « ubique » signifiant partout, qui a donné le concept d’ubiquité et qui traduit aussi la notion de réparti et du diffus, presque dématérialisé) et collaboratif [22].

Désormais, les jeunes générations ont des « aspirations nouvelles, délaissant la stabilité de leur vie professionnelle avec des plans de carrière construits et prévisibles et des revendications d’améliorations quantitatives pour au contraire rechercher l’aventure et le changement, un certain goût du risque et une attention portée à l’ambiance de travail, à la convivialité, au bien-être, et au sens de la mission et de nouvelles solidarités »[23].

L’individu est donc au centre des nouvelles formes d’organisation du travail. En effet, les relations interpersonnelles sont ancrées sur un respect et une écoute mutuelle car ces nouveaux modes de management sont basés sur les principes de confiance et de bienveillance. C’est à partir de cela que s’élaborent de nouveaux modes de décisions qui se développent sur les notions de responsabilité et d’autonomie. Désormais, un manager d’activité qui accepte de prendre en compte les parts de savoirs de chaque salarié pour les assembler et développer l’intelligence collective doit mettre en place de nouvelles pratiques :

  • avoir du temps libéré afin que les personnes puissent se réguler et s’ajuster ;
  • développer une culture différenciant bien la conversation générant de la convivialité et la discussion structurée par une capacité à structurer ses argumentations, pour avoir (et créer) des liens de confiance entre ses membres ;
  • utiliser des outils numériques pour déployer des activités virtuelles de travail à distance, ce qui va nécessiter un accompagnement des managers ;
  • créer des communautés dans deux dimensions :
  1. virtuelles (Réseaux sociaux) sur des thématiques professionnelles liées aux activités de l’entreprise, en veillant à une bonne implication des personnes ayant des compétences diverses pour favoriser le métissage ;
  2. d’apprentissages : afin que les personnes puissent partager entre elles sur leurs pratiques.

Le collaborateur n’est plus une ressource, mais un potentiel de création à développer continûment dans le contact avec autrui et son environnement. Il n’habite sa fonction que dans le regard de ses collègues, de son management et des clients.

Le monde professionnel doit lutter contre la vision spontanée selon laquelle les autres ne sont là que comme concurrents et en situation de s’approprier les biens d’autrui. L’homme redevient une personne qui a besoin de s’inscrire dans un collectif pour vivre, satisfaire ses besoins, ses désirs et se réaliser. Le monde économique n’est pas une multiplicité d’agents isoles aux intérêts disjoints, mais un ensemble de communautés humaines appelées à viser le bien commun. Il faut alors s’interroger :

Qu’est-ce qui peut être partagé au travail ?
La stratégie de l’entreprise et les décisions prises au départ ?
Les résultats du travail à l’arrivée ?
L’activité laborieuse elle-même par des outils partagés et des pratiques collaboratives ?
Quelle est la place de la solidarité, du don et de l’échange non marchand entre les travailleurs ?

La durée du travail était un outil pratique lorsque le salarié était rémunéré uniquement pour des compétences contenues dans ses gestes, ses aptitudes manuelles et son respect des procédures. Il faut désormais prendre en compte les comportements, l’intelligence déployée, la réactivité et la qualité relationnelle dans l’attribution des augmentations individuelles[24].

Frédéric HINGRAY

Consultant en transformation numérique et managériale

mail@frederichingray.com


[1]CDRH, n° 263, avr.2019.

[2]Silva, François, « Nouveaux types d’organisation du travail à l’ère du numérique : Émergence de Communautés Postmanagement », 2017.

[3]Solis, Brian, « The 6 stages of Digital Transformation », 2017

[4]Saint-Exupéry, Antoine de, « Citadelle », 1965.

[5]Jourdan, Rémy, « Petite histoire des grandes théories du management, 2016.

[6]McGregor, Douglas, « The human side of enterprise », 1960.

[7]Watzlawick, Paul, « Comment réussir à échouer », 1988.

[8]Henric-Coll, Michel, « L’Organisation Fractale », 2013.

[9]Michel Hervé est un entrepreneur et homme politique, fondateur du groupe Hervé et de l’intergroupe Tibet du parlement européen. Ses propos ont été tenus au cours d’une conférence organisée par l’association des administrateurs territoriaux français.

[10]Pour en comprendre les principes tels qu’énoncés par François Silva, il faut faire appel aux travaux développés par Étienne Wenger (« Communities of Practice : Learning, Meaning and Identity », 1998, 2005) sur les Communautés de Pratique (CoP), ceux de Jean Daniel Reynaud (« Les règles du jeu : l’action collective et la régulation sociale », 1993) sur la Théorie de la Régulation Sociale (TRS), ceux du MAUSS sur le don et le contre don (Caillé, Alain, « Anthropologie du don : le tiers paradigme », 2007), et sur les travaux d’Elinor Ostrom sur les biens communs, leur gouvernance et leur gestion (« Gouvernance des biens communs : The Evolution of Institutions for Collective Action », 2010).

[11]Padioleau, Jean, « Arts Pratiques de l’action publique Ultra-Moderne », 2004.

[12]Damasio, Antonio, « Descartes’Error : Emotion, Reason, and the Human Brain », 1994, et « Spinoza avait raison », 2003.

[13]Maffesoli, Michel, « Notes sur la postmodernité : le lieu fait lien », 2003.

[14]Reynaud, Jean-Daniel, « Les règles du jeu : l’action collective et la régulation sociale », 1993.

[15]Silva, François, « Nouveaux types d’organisation du travail à l’ère du numérique : Émergence de Communautés Postmanagement », 2017.

[16] Id., 2017.

[17]Deluzet, Marc, « La transformation numérique, emblème de la crise globale », 2017.

[18]Giorgini, Pierre, « La transition fulgurante : vers un bouleversement systémique du monde ? », 2014.

[19]Payette, Adrien et Champagne, Claude, « Le groupe de codéveloppement professionnel», 1997.

[20]Deluzet, Marc, « La transformation numérique, emblème de la crise globale », 2017.

[21]Wenger, Étienne, « Communities of Practice : Learning, Meaning, and Identity », 1998.

[22]Charpentier, Pascal, « Management et gestion des organisations », 2007.

[23]Silva, François, « Nouveaux types d’organisation du travail à l’ère du numérique : Émergence de CommunautésPostmanagement », 2017.

[24]Deluzet, Marc, « La transformation numérique, emblème de la crise globale », 2017.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets