Manager le changement : Et si on passait de la contrainte à l’opportunité ?
Le terme de changement est le vocable sans doute le plus utilisé dans le monde de l’entreprise depuis le début des années 90. Il est devenu le passage obligé du discours stratégique, de la pratique managériale, du parfait CV, de l’offre de services RH, de la sociologie des organisations. On le manage, on le gère, on l’accompagne, on le conduit. Le changement est devenu une valeur en soi, une démarche si évidente qu’elle n’appelle plus le moindre questionnement sur sa légitimité, sur sa nécessité, sur la forme qu’il doit prendre, sur sa permanence, ou sur ce qu’on en attend même en définitive. Changer pour simplement avoir le sentiment s’être en mouvement.
Bien sûr la mondialisation a induit une accélération des processus de décision, une pression accrue de la concurrence, une incertitude financière, des cycles technologiques plus courts. L’acronyme américain VUCA (volatility, uncertainty, complexity and ambiguity) aujourd’hui largement répandu témoigne de cette réalité. Nul ne peut ainsi contester que ce monde bouge, plutôt vite d’ailleurs. Et si le discours sur la préservation des valeurs, de l’ADN, de l’héritage irrigue encore certaines entreprises, il serait vain de croire que le conservatisme, au sens anglo-saxon du terme, puisse désormais être d’un quelconque secours.
Mais cette situation est-elle nouvelle ? On peut ainsi s’interroger sur ce qu’ont été la révolution industrielle, la reconstruction ou les trente glorieuses en termes de changement pour les populations de l’époque : plus fort, moins fort que ce que nous vivons aujourd’hui ? Pourquoi la notion de changement, telle que nous la vivons, n’a-t-elle pas émergée plus largement à l’époque ?
Une des réponses possibles est que ce changement était peut-être à l’époque davantage impulsé que subi, que la finalité ou le bénéfice en étaient sans doute plus clairs pour les acteurs, que l’implication était sous-tendue par une vision, un espoir ou une ambition. A l’aune du challenge, de l’arbitrage personnel, de la tension sur les organisations, de l’engagement managérial, des transformations réelles, ces périodes n’avaient rien à envier à la nôtre. Mais point d’injonction à changer, point d’incantation à davantage d’agilité. Le changement était vécu plutôt que d’être dit.
Ce n’est ainsi pas tant la nécessité du changement qui doit être challengée, mais bien plutôt la manière dont nous l’abordons aujourd’hui, comme une contrainte ou comme une opportunité.
Le changement comme un sacrifice ?
J’ai toujours été surpris, en tant que DRH, par la force émotionnelle négative qui accompagne de nos jours la conduite du changement. Parfois librement inspirée de la psychanalyse (Cf La référence abusive à l’angoisse de mort décrite par Denis Vasse), l’approche du changement est souvent présentée comme celle d’une douloureuse mutation.
L’utilisation à outrance de la courbe de deuil d’Elisabeth Kûbler Ross est en l’archétype : Elaborée pour témoigner de la psychologie des enfants en fin de vie, elle a été transposée sur le plan managérial pour soutenir que la souffrance, le déni, la peur, l’évitement, la colère sont des passages obligés sur le chemin du changement. Comment s’étonner dès lors la professorale assurance de ceux qui assène le changement comme une mauvaise potion à avaler de gré ou de force. La peur, le mal-être sont ainsi légitimés comme une composante normale, « scientifique » du changement, posture d’autant plus paradoxale à l’heure de la prise en compte des risques psycho-sociaux. Plus encore, la réticence à avaler la potion amère serait le signe d’un refus de la modernité, de la prise de risque, d’un ringardisme évident. La sentence n’est pas loin : « Une entreprise qui ne change pas, meurt », entend-on souvent. Sans même relever que l’évitement du pire ne fait pas motivation.
La notion de résistance au changement est l’autre avatar de ce changement dans la douleur. Après la potion mortifère, arrive la pédagogie de combat, la lutte nécessaire, le bras-de-fer contre un corps social supposé rétif. La notion est devenue d’une telle évidence que l’on ne peut évoquer le changement en entreprise sans y associer dans la seconde même le terme de résistance au changement. Dans un monde où la notion de résistance se pare encore d’une sonorité positive, des engagements de Jean Moulin à ceux de Nelson Mandela, ce parti-pris a de quoi surprendre. La question se pose : La lutte contre la résistance au changement est-elle productive ? Canalise-t-elle les énergies dans le bon sens ?
Le monde se scinderait ainsi de manière rassurante entre les bons, les clairvoyants, ceux qui impulsent le changement, et les autres, les rétifs, les immobiles, la masse qu’il importe de sortir de son confort, de faire bouger. Comment s’étonner dès lors de la surenchère que nous entendons parfois sur le thème du changement qui n’irait pas encore assez loin, sur la nécessaire rupture/disruption (casser, briser au sens étymologique du terme) ou sur le « coup de pied dans la fourmilière » pour les adeptes du management subtil.
Enfin, comme s’il fallait que le corps social fut aussi éduqué malgré lui, la tentation est parfois forte de l’infantiliser jusqu’à la caricature pour lui faire toucher du doigt le bien-fondé du changement proposé : Du pingouin de John Kotter qui voit son iceberg rétrécir sous ses pieds ( « Alerte sur la banquise » J.Kotter) aux stratégies de lutins et souris pour trouver un fromage dans un labyrinthe, décrits par Spencer Johnson ( « Qui a piqué mon fromage » S.Johnson), en passant par la valorisation du dauphin agile face au requin obsessionnel ou à la carpe passive (« La stratégie du dauphin » D.Lynch/ PL.Kordis), la littérature managériale est pleine de ces raccourcis, de ces contes qui allient la peur du loup à la débrouillardise du petit poucet. Est-ce donc ainsi que nous considérons ceux qui travaillent avec nous ?
Le changement comme un moteur
Une question interroge : Pourquoi une population qui aspire sur le plan privé à la nouveauté, culturelle, relationnelle, sociétale, environnementale, politique, deviendrait-elle soudain rétive au moindre changement en entreprise ?
En réalité, mon expérience de DRH m’a davantage confronté à l’insatisfaction des salariés à la routine qu’au refus de s’en extraire. Et j’ai dans l’ensemble plutôt connu des équipes motivées par le changement dès lors qu’elles étaient sollicitées intelligemment, c’est-à-dire avec une vision partagée du but poursuivi et avec un bénéfice clair pour toutes les parties.
L’enthousiasme est certes rarement immédiat, les discussions peuvent être longues, les questions nombreuses, les doutes fréquents, les conflits d’intérêt inhérents, mais la curiosité l’emporte le plus souvent, et l’envie d’expérimenter aussi. Encore faut-il accepter la confrontation, avoir l’envie de convaincre, se mettre à la place de l’autre, agir avec respect, en un mot avoir le goût du management.
Les travaux issus de la Socio-dynamique, impulsés par Fauvet et Bossard dans les années 70, nuancent ainsi le caractère nuisible de la résistance au changement. Moins de 10% du corps social se situerait dans la frange des irréductibles opposants à un changement, population sur laquelle les auteurs recommandent d’ailleurs de ne pas trop épuiser son énergie. Car l’enjeu est ailleurs : les 90% perméables au changement si l’on s’en donne l’énergie et les moyens.
Ils font même de la critique, du doute, de la confrontation, les éléments moteurs d’un véritable changement, parlant même d’un triangle d’or qui inclue moins les convaincus de la première heure, les alignés ou béni-oui-oui, que ceux qui vont challenger le projet, le tester, voire le contester sous certains aspects, pour en définitive mieux permettre au corps social de se l’approprier.
L’enjeu de la socio-dynamique n’est ainsi pas dans la lutte « contre », mais bien dans la recherche d’un « avec » le plus large possible. Avec le but ultime d’agréger progressivement aussi bien les hésitants déclarés que certains opposants de la première heure.
Loin des positions martiales qui font du passé table rase et qui ne reconstruisent souvent pas grand-chose, c’est tout le travail dans cette zone grise qui rend l’approche de la socio-dynamique intéressante, parce qu’elle oblige à l’écoute, à la nuance, au pari qu’on fait sur les acteurs et sur l’intelligence collective.
En réalité, L’enjeu est moins l’acceptation du changement qui est à rechercher que la capacité de chacun à le digérer, à l’influer, à l’apprivoiser, à l’intégrer pour soi-même. Et c’est cette approche dynamique qui fait la force d’une organisation sur le plan individuel et collectif. Le rythme attendu, modification de nos organisations en temps réel, n’est en effet plus celui du plan quinquennal, mais celle de l’intra-six mois pour ne pas dire plus. Et dans ce cadre, la résilience du corps social est souvent plus forte qu’on ne le suppose.
La crise du COVID en est une illustration d’actualité. On louera l’agilité des grands groupes à s’adapter à l’imprévu. Mais on notera aussi la capacité de la plupart des salariés à s’adapter à un changement imprévisible, inconnu de tous, évolutif, polymorphe, anxiogène, durable, mais qui s’imposait à tous, sans injonction ou infantilisation. Les théoriciens de la résistance au changement ont été ringardisés en moins d’un an. Les adeptes de la récupération de la courbe de deuil de Kubler-Ross en sont encore à comptabiliser les effets du refus, du déni, de la colère, de la résignation du 1er confinement, que le corps social a déjà dépassé les étapes du port du masque, du télétravail, du management à distance, du dépistage, du couvre-feu ou de la vaccination.
Le management du changement n’est ainsi déjà plus celui qui vise à réduire la résistance au changement, mais celui qui vise à l’adaptation permanente. Et c’est en ce sens que la notion de transformation s’avère bien plus pertinente que celle de rupture.
Le changement par la preuve
Mes différentes expériences de DRH m’ont forgé une conviction : Plus un manager exige la rupture, plus il invoque l’urgence, les mesures radicales, le besoin de changer la culture, moins il a été lui-même capable d’anticiper les évènements, de comprendre le changement auquel il était confronté, et en définitive d’influer sur ce qui se présentait à lui.
A l’inverse, les dirigeants avec qui j’ai pu travailler et qui étaient les plus en pointe sur la transformation de leur entreprise étaient ceux qui faisaient le moins référence à la résistance au changement ou à l’impératif de changement de leur corps social. Ils étaient d’abord porteurs d’une vision, mus par une capacité d’entrainement et une envie de convaincre.
L’enjeu de la transformation des entreprises réside ainsi moins dans ceux qu’elle vise, que dans ceux qui l’impulsent. En un mot, le management du changement, c’est d’abord la capacité du manager à changer lui-même, de posture, de pratique ou de rapport aux autres.
Dans ce cadre, la notion d’équipe de direction est primordiale. Il faut pour cela savoir renoncer au Comité de direction traditionnel où chacun est le représentant de son métier, de ses effectifs, ou de son expertise. Une équipe de direction est celle où chacun est en droit de proposer des évolutions qui vont au-delà de son propre périmètre, de penser ensemble interface plutôt que frontière. En substituant au management hiérarchique, un management par projet à la tête de l’entreprise. Cette évolution est encore rare dans le management français où le chef de projet, le directeur de projet reste souvent subordonné au management hiérarchique. Elle est plus fréquente dans le management anglo-saxon où le steering committee a un poids prépondérant dans les phases de changement. Or ce n’est qu’à la condition où le changement est collectivement incarné à la tête de l’entreprise le discours sera aligné et la vision partagée par le corps social.
La seconde évolution tient à l’humilité nécessaire du cadre dirigeant. Le changement ne consiste pas à faire accepter ses certitudes à la base. Il consiste davantage à susciter le questionnement, à favoriser l’écoute, à faire émerger de nouvelles têtes pensantes, à s’accommoder du doute, à tenter l’expérimentation. D’autres pourront trouver des solutions, d’autres pourront innover, réussir ou se tromper. Dans le cadre de la conduite du changement, la principale mission du cadre dirigeant, la plus lourde, la seule qu’il ne pourra déléguer, est celle de porter le poids de l’incertitude, de la prise de risque, de l’intuition managériale.
Le troisième pilier est sans conteste celui de la proximité avec les équipes sur le terrain. Si le changement est une affaire d’organisation, de préparation, de cadre donné à l’initiative, il est aussi une question d’émotion, de confiance accordée et reçue, d’exemplarité, de partage au plus près des difficultés. Le changement se gagne sur le Pont d’Arcole davantage que dans les bureaux d’Etat-major.
C’est dans cette configuration que la conduite du changement devient une véritable opportunité, opportunité de révéler les nouveaux talents, d’évaluer l’implication de la ligne managériale, de fédérer les équipes, de développer l’innovation : En quelque sorte, une gestion en temps réel des hauts potentiels, des plans de succession et du sentiment d’appartenance.
Les exemples valant mieux que les mots, je me permettrais d’illustrer mon propos par 3 expériences concrètes de conduite du changement issues de ma pratique de DRH :
Cas n°1
Optimisation d’un Département Paie et administration du personnel dans une entreprise l’énergie, délégataire d’une mission de service public
Le contexte
Ce Groupe, soumis par sa tutelle à un besoin de contrôle de ses effectifs, souhaite réduire le poids de ses fonctions supports et notamment d’un Département Paie/administration du personnel pléthorique (1 agent pour 60 salariés). Ce souhait n’est pas nouveau, l’objectif de réduction des effectifs ayant été aussi souvent affiché que peu suivi d’effet dans les années précédentes. Ce pôle souffre donc d’une image d’inefficacité, d’opacité, voire de dilettantisme. Il s’est en outre fortement syndicalisé.
Le constat
Mes premières réunions avec les salariés de cette entité font apparaître une réalité plus nuancée. Si le caractère pléthorique de l’entité est sans conteste, je découvre au contraire des salariés très fortement impliqués dans leur métier et en réalité soumis à une pression très forte au quotidien pour répondre aux exigences des opérationnels. Les plus seniors en charge de la formation des plus jeunes sont au bord de la rupture. Il existe ainsi une déconnection totale entre la réalité organisationnelle et la réalité vécue de l’intérieur. Il s’avère que les processus de travail, hérités d’un grand Groupe public, ont peu évolué depuis 40 ans : Techniquement, la remise à plat a été jugée par beaucoup aussi ardue que peu valorisante, voire dangereuse à engager en raison du contexte social.
La conduite du changement
Le projet est abordé sous 5 angles complémentaires :
· Mobiliser les salariés sur un objectif positif : La référence anxiogène à la baisse des effectifs est laissée de côté au profit d’un objectif d’amélioration des règles, procédures, des processus, permettant d’alléger la charge de chacun au quotidien.
· Impliquer le corps social dans la démarche qui le concerne : 3 groupes projets thématiques sont constitués, impliquant 35% de l’effectif des 7 agences territoriales pendant une période de 5 mois. Pour la première fois, ces salariés sont autorisés à repenser par eux-mêmes des processus dont ils connaissent mieux que quiconque les atouts que les limites.
· Travailler l’image du département au sein du Groupe : L’aspect marketing interne a été essentiel dans le projet. Il a notamment consisté à produire une balanced score card, jamais réalisée jusque-là, mettant en avant les indicateurs de suivi de l’activité, des volumes traités ou prévisionnels, et l’avancement des projets. Les Directeurs opérationnels ont été physiquement associés aux premières restitutions, puis conclusions des groupes de travail. Et le Directeur Général a été invité à passer une demi-journée dans les locaux du pôle, pour la première fois de son mandat, afin de rencontrer sur place les salariés les plus impliqués dans le projet.
Les résultats
Une certaine assertivité a d’abord été nécessaire pour assoir le cadre du projet. La proximité et la pédagogie dans les réunions d’équipe, ont ensuite été clé pour lever les doutes, les appréhensions, les non-dits, et pour engager les équipes dans les groupes projets. Le dialogue et soutien à la Directrice de Département, femme formidable, et à ses adjoints leur ont enfin permis de gagner en assurance et en confiance dans la gestion au long cours de ce processus.
C’est au cours du second mois que le projet a pris son envol, de manière fluide, dépassant même nos objectifs de mobilisation des salariés.
L’action sur les processus, et notamment la suppression de deux tours de paie superflus, a permis de dégager 15% du temps de travail. La refonte des procédures d’archivage et de gestion automatisée des dossiers du personnel a allégé le temps de travail de 10%. Cette souplesse dégagée sur le temps de travail a permis d’engranger une baisse des effectifs (non-remplacement des départs) de 18% sur 2 ans, au lieu des 10% escomptés initialement.
Mais le bénéfice le plus palpable a été la remobilisation du corps social, l’amélioration interne de son image, et surtout une confiance retrouvée pour aborder le changement dans la durée.
Cas n°2
Implémenter une politique managériale innovante à destination du Top Management d’un grand Groupe verrier
Le contexte
Ce Groupe traverse une crise industrielle et financière inédite, nécessitant la mise en place d’un programme de Change Management pour restaurer ses marges et sa compétitivité. Il doit s’appuyer sur une pratique managériale plus moderne, moins strictement centrée sur la compétence technique. Le Top Management, exclusivement de profil ingénieur, est peu formé aux pratiques managériales. Il appréhenderait même pour une part avec méfiance le discours dit « psychologisant » ou » parisien ».
Le constat
Contrairement aux apparences, le Top Management est plus que curieux que réticent à parler de management. Les premiers échanges montre une attente en termes d’outils pour conduire le changement attendu, même si la crainte persiste d’être dépossédé d’une légitimité hiérarchique. La réticence vient également de la fonction RH elle-même qui vit le « la démarche managériale » comme une concurrence à son rôle auprès du management sur les missions régaliennes relevant du légal, du disciplinaire, du recrutement ou des rémunérations
La conduite du changement
Le projet est abordé à partir de 4 axes qui ont vocation à éviter une approche top-down sur un sujet sensible :
· Co-construire la formation managériale avec les opérationnels : Pour chacun des modules de formation managériale, le choix du prestataire fait l’objet d’une audition auprès d’un comité de sélection de 4 opérationnels et 2 RH. Cette approche vise autant à intégrer le Top Management dans la démarche qu’à générer un débat sur les thèmes abordés. 24 membres du Top Management deviennent ainsi dès le départ les prescripteurs des formations qui seront par la suite proposées à leurs pairs. En année 2, chacun des modules est co-animé par le prestataire et un membre du Top management opérationnel formé à cet effet. Enfin, en année 3, la plupart des formations managériales sont animées exclusivement par un membre du Top management.
· Favoriser l’appropriation des outils managériaux sur la base du volontariat et de manière itérative : Les entretiens de carrière avec la DRH sont d’abord proposés à un nombre restreint de Top Managers intéressés, de la même manière que les tests de personnalité ou les 360°. Ils en deviennent les prescripteurs en interne et ces outils seront progressivement déployés, mais uniquement à la demande.
· Transformer les Responsables RH en Business Partners : Plutôt que de spécialiser quelques RH Corporate sur les outils de développement RH (PAPI, 360°), le choix est fait de former la totalité de la fonction RH à l’utilisation de ces outils. Le rôle de chacun sur son périmètre est ainsi préservé. L’image du HRBP va passer peu à peu passer de celui d’un référent technique à celui de partenaire managérial.
· Inscrire l’évolution managériale dans les pratiques quotidiennes : A l’occasion de la création de Comités Carrières par métiers, chaque dossier de Manager sera enrichi de son test de personnalité, des résultats de son 360°, des critères constatés sur son mode de management. L’utilisation de ces outils, devient également usuelle, lors des Comités de rémunération. En année 2, le critère managérial figure en pratique dans la plupart des dossiers, alors même qu’aucune généralisation de ces outils n’aura jamais été décidée.
Les résultats
D’abord fortement réticente à voir sa charge de travail augmenter du fait des nouveaux outils, la communauté des HRBP découvre que leur nouvelle posture fluidifie en réalité la totalité de leurs relations avec les opérationnels sur le recrutement, la formation, la GPEC…
Uniquement sur la base du volontariat, 99% du Top Management aura demandé en année 2 à bénéficier d’un entretien annuel avec la DRH, 92% à passer un questionnaire de personnalité, 86% à se soumettre à un 360°. 100% se seront inscrit à au moins 4 modules de formation managériale sur les 6 proposés.
A défaut de devenir miraculeusement exemplaire, la notion de mangement devient un sujet de réflexion usuel, chacun étant désormais capable de caractériser et de faire évoluer son propre style de management.
D’un point de vue de la conduite du changement, mon propre intérêt aura été de voir apparaitre les points de bascule du corps social (Top management), avec une poignée de motivés au départ, puis une communauté de curieux, puis de sceptiques payant pour voir, jusqu’à une population pour laquelle il devient bientôt absurde de ne pas suivre le mouvement.
Cas n°3
Permettre l’évolution du business model d’une entreprise de répartition, filiale d’un grand groupe pharmaceutique international
Le contexte
Cette filiale française, qui approvisionne en médicaments les officines pharmaceutiques françaises, est confrontée, comme la concurrence, à une contraction de ses marges liée à l’encadrement du prix du médicament. Le Groupe qui innove, crée et distribue par ailleurs des gammes de produits en parapharmacie ou en cosmétique, souhaite que ces produits à plus forte marge soient distribués par ces mêmes canaux de distribution, afin de restaurer la rentabilité globale de la structure française.
Le constat
Cette approche commerciale a été couronnée de succès dans de nombreux pays où le Groupe est présent. Elle a néanmoins beaucoup de mal à s’implanter en France pour deux raisons :
- Contrairement à d’autres pays européens où la filialisation des pharmacies est possible, favorisant ainsi la distribution de ses produits phare, le réseau français est un réseau d’indépendants, pleinement libre de ses choix d’approvisionnement.
- Les commerciaux sont des pharmaciens qui tirent leur légitimité vis-à-vis de leurs pairs en officines du rapport au médicament. Une approche plus axée sur la parapharmacie ou la cosmétique est vécue qu’une dégradation de leur expertise et de leur statut.
La difficulté de la transformation tient donc autant à des facteurs structurels qu’à des facteurs purement psychologiques.
La conduite du changement
· Cartographier les alliés : Les entretiens menés avec les membres du réseau commercial et marketing vise moins à identifier les engagés et les opposants, qu’à comprendre les motivations réelles de chacun et surtout à cerner où sont les points d’allégeance au sein du réseau, qui sont les managers susceptibles de faire basculer le corps social a minima dans une démarche proactive. Certains départs sont négociés, mais la démarche est de préserver les managers influents dont la position est sincère et étayée.
· Changer la nature du pilotage stratégique : L’injonction hiérarchique du Groupe, puis du Comité de Direction de la filiale ayant montré ses limites, il est mis en place une organisation par projets autour des différents services et lignes de produits. Le Comité de Direction se mue pour quelques mois en steering committee uniquement centré sur le pilotage d’une dizaine de projets stratégiques. Chaque projet est sponsorisé par un membre du board qui n’est pas l’expert du domaine (DRH, DAF, Directeur Scientifique). Chaque groupe projet est lui-même constitué de membres des différentes directions, Opérations, Logistique, Marketing… Ce brassage va permettre de challenger le projet, les pratiques, les idées reçues, de réinstaurer un dialogue, d’ouvrir sur des approches nouvelles.
· Marquer la proximité plutôt que l’injonction : Chaque membre du Board, toutes fonctions confondues, consacre une demi-journée par semaine pour accompagner un commercial dans sa tournée auprès des pharmacies. Cette proximité renforce la communauté d’objectifs entre les différentes strates de l’entreprise. Elle permet de rapprocher les points de vue autour d’une expérience commune, de traiter ensemble les points de blocage, aussi bien que les bonnes pratiques.
· Impliquer les relais crédibles : Toutes les réunions d’information, points d’étape, restitutions hebdomadaires sont animées par des responsables de zone influents et initialement critiques au projet : Ce changement de posture d’abord subi, puis assumé, change la nature des échanges, permet de nuancer les points de vue, de restaurer un climat de confiance, d’instaurer une dynamique collective de recherche de solutions.
Les résultats
Les objectifs ambitieux de vente des nouveaux produits n’ont été que partiellement atteints à l’issue de la période de 5 mois. Néanmoins la tendance part à la hausse pour la première fois, marquant la fin d’une longue période atone sur certaines lignes de produits. Des clés marketing sont à nouveau identifiées pour améliorer les effets de cette campagne commerciale. Le réseau commercial est plus confiant dans sa capacité à se positionner sur les nouvelles gammes à forte marge.
Plus largement les facteurs de blocage sont levés d’un point de vue managérial, mettant fin aux projections de part et d’autre (objectifs irréalistes/réseau commercial inefficace) et restaurant une communauté d’entreprise autour de la chaine de valeur.
En guise de conclusion
Si je devais synthétiser ces exemples de conduite du changement sur des champs aussi variés que l’organisation, le managérial ou le business, je retiendrais trois enseignements :
· L’aspiration à changer du corps social est une constante, plus qu’une exception : La conduite du changement vise en premier lieu à activer ou à réactiver ces ressources enfouies.
· La dynamique de changement impacte, challenge, bouscule d’abord celui qui l’initie : Plus il est lui-même amené à se reconfigurer, à douter, à innover, plus il est en définitive en prise avec le mouvement qu’il engage.
· La conduite du changement est une affaire de préparation, mais elle ne se réalise que dans l’élan donné.
Directeur Administratif et Financier B2B | Business Partner | International | Transformation | Contrôle de gestion & KPI | Gestion du cash | Industrie | Pharmacie | Logistique . | SAP S4H
3 ansMerci Philippe pour ce partage sur le changement, la conduite du changement, la résistance au changement dans les entreprises. J’invite mon réseau à prendre le temps de lire l’article. Je retiens quelques extraits. Sur la crise du COVID (…) on notera aussi la capacité de la plupart des salariés à s’adapter à un changement imprévisible, (…) sans injonction ou infantilisation. Les théoriciens de la résistance au changement ont été ringardisés en moins d’un an. (…) La seconde évolution tient à l’humilité nécessaire du cadre dirigeant. Le changement ne consiste pas à faire accepter ses certitudes à la base. Il consiste davantage à susciter le questionnement, à favoriser l’écoute, à faire émerger de nouvelles têtes pensantes, à s’accommoder du doute, à tenter l’expérimentation. (…) Si le changement est une affaire d’organisation, de préparation, de cadre donné à l’initiative, il est aussi une question d’émotion, de confiance accordée et reçue, d’exemplarité, de partage au plus près des difficultés. Le changement se gagne sur le Pont d’Arcole davantage que dans les bureaux d’Etat-major.