Manifeste de La FABRIQUE - 28 Juin 2014
Comme toutes les générations qui nous ont précédées, nous vivons notre jeunesse avec la tête pleine de rêves et d’ambitions pour demain. Nous construisons notre propre expérience du monde avec l’envie d’avoir la confiance de nos aînés, les moyens d’expérimenter, de découvrir et d’être mobile. Nous revendiquons le droit à l’erreur et celui de l’échec pour pouvoir mieux recommencer.
Nous voulons assumer nos vies sans peur d’être jugés par avance du seul fait de notre âge ou parce que nos conduites ou nos aspirations seraient différentes.
Nous nous sentons vivants et nous croyons en notre propre avenir. Pourtant nous rencontrons de grandes difficultés au quotidien et avons bien du mal à nous projeter à plus de six mois.
Jeunes en ce début de XXIème siècle, nous n’avons jamais connu le plein emploi, nos parents non plus d’ailleurs. Nous multiplions les formations, les stages et les jobs afin d’atteindre le niveau d’expérience exigé pour des offres d’emplois juniors trop souvent en CDD renouvelables et payés à coup de lance pierre. L’âge moyen d’accès à l’emploi stable recule toujours plus. On nous demande le meilleur de nous même quitte à travailler tard le soir ou le weekend mais ensuite on ne nous fait pas confiance : internet censuré ou historiques de navigations passés à la loupe nous reprochant le moindre instant sur facebook. On nous demande d’être parfaitement honnête sur notre CV et d’être nous mêmes nous promettant que c’est le meilleur moyen de nous distinguer. Pourtant ce sont des robots informatiques qui font le premier tri dans nos candidatures à l’emploi pour en sortir des profils formatés.
Nous sommes la génération endettée avant même d’avoir vécu. Nous sommes appelés à cotiser pour financer un système de retraite que nous ne comprenons pas toujours et dont nous doutons fort de pouvoir bénéficier un jour. Nous voyons certains de nos grands parents qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts pendant que d’autres bénéficient de « retraites dorées ».
Jeunes en ce début de XXIème siècle nous rencontrons des difficultés impensables pour accéder à un logement. Nous y consacrons en moyenne 50% de nos ressources. Alors, pour trouver un propriétaire qui nous fasse confiance, il nous faut présenter plusieurs garants en plus des preuves de ressources. Dans ces difficultés prospèrent les arnaqueurs qui nous prennent pour cible en étant toujours plus ingénieux pour nous piéger. Et quand nous voulons faire une colocation avec d’autres jeunes pour diminuer les coûts nous semblons faire peur aux propriétaires qui n’hésitent pas à mentionner « pas d’étudiants » ou « pas de colocation » sur leurs annonces.
Quand au logement social il est impensable d’y accéder avant de nombreuses années si ce ne sont des résidences étudiantes dont le prix au m2 excède largement les montants du parc privé dans bien des villes universitaires.
Nous sommes une génération où le nombre de diplômés n’a jamais été aussi fort quand dans le même temps 20% des jeunes de 15 ans sont illettrés. L’école ne tient plus ses promesses d’avenir. Au contraire elle accroit les inégalités de naissance. Notre pays est celui d’Europe où le milieu social influe le plus sur le niveau scolaire. Au nom d’une conception dévoyée de l’égalité, notre système éducatif, depuis la plus petite classe jusqu’au plus haut niveau de diplôme, place le respect des programmes « à boucler » et des référentiels au-dessus des élèves. Tant pis pour ceux qui n’ont pas un cadre de vie propice à l’étude à la maison. Tant pis pour ceux qui n’ont pas les bons codes. Tant pis pour ceux qui, ne savent pas déjà, en somme.
On nous répète sans cesse « c’est la crise » ou encore « avant, c’était mieux ». C’est vrai qu’en quarante ans le monde a évolué et continué d’avancer. Notre monde n’est pas celui d’il y a quarante ans qui serait en crise mais bel et bien un nouveau monde avec ses propres réalités sociales.
Notre monde, c’est celui dans lequel nous avons grandi, celui dans lequel nous construirons nos carrières et fonderons nos familles. Nous savons que nous avons des efforts à faire et qu’il nous faudra nous battre pour notre avenir. Mais franchement, nous n’avons pas envie de le faire au nom du pâle souvenir d’une période glorieuse et faste que nous ne connaissons qu’au travers de nos livres d’Histoire.
Jeunes en ce début de XXIème siècle, il parait que nous sommes les générations Y et Z et devons entrer dans les cases pseudo sociologiques dans lesquelles « d’éminents spécialistes » voudraient nous enfermer : individualistes, attentistes, irresponsables, défaitistes, irrespectueux, prétentieux, sans idéal… Nous suscitons tantôt l’empathie, tantôt l’incompréhension. On a beau nous appeler « digital natives » nous savons bien que la toile n’est qu’un outil, un facilitateur. C’est dans la « vraie vie » que nous voulons être. C’est dans la vraie vie que nous voulons faire. Pragmatiques avant tout, nous ne voulons ni être plaints ni être craints.
Nous sommes convaincus que notre avenir se dessinera grâce à la confiance entre générations, au partage d’expériences et au travail que nous pourrons faire ensemble.
Comme beaucoup de citoyens de ce pays, l’image morose, violente et triste que nous percevons de la politique où personne ne fait confiance à personne ne nous satisfait pas et ne correspond pas à nos attentes.
Pour autant nous ne sommes pas résignés et le monde que nous vivons tel qu’il est nous le changeons au quotidien. Pour gagner notre autonomie nous sommes capables de cumuler petits jobs, études, stages et la moitié d’entre nous est engagée à différents niveaux dans des actions bénévoles.
Nous trouvons les moyens pour faire de chaque jour un pas de plus dans la conquête de notre avenir. Troc, covoiturage, colocation, système D, recyclage, Do It Yourself, récup’, débrouille… Solidarité et préservation de l’environnement constituent notre réalité et nous en sommes fiers. Nous n’attendons pas que les solutions nous tombent du ciel. Nous avançons chaque jour. Nous créons, inventons, innovons ensemble.
Nous rêvons d’une société plus juste et plus solidaire où les discours qui nous donnent espoir ne partent pas en fumée si tôt une élection gagnée mais fixent le cap vers de nouvelles réalisations.
Comme nos ainés, nous aspirons à un monde où la transparence, l’intégrité, la solidarité et le respect ne sont pas que des concepts vidés de leur sens par cynisme et à force d’être bafoué. Nous attendons de nos dirigeants qu’ils donnent l’exemple dans la vie politique et sociale.
Notre monde nous a enseigné que nous plaindre en criant très fort « tout va mal » était fort peu productif. Nous n’avons plus le temps de nous accorder le luxe de rêver demain sans agir dès aujourd’hui. Nous décidons de nous organiser pour répondre à notre besoin de partage et de lien social.
Nous le faisons par des actions de terrain utiles afin d’améliorer le quotidien et de poser des repères communs. Ces actions nous les construisons en partenariat avec les autres acteurs du monde dans lequel nous vivons : entreprises, syndicats, collectivités…
Nous croyons qu’agir ensemble et dialoguer constituent le chemin le plus efficace pour bousculer les conservatismes qui nous indignent et obtenir des résultats concrets.
Il y a 100 ans exactement, la jeunesse française n’a pas eu d’autre choix que celui de son sacrifice sur les champs de batailles. Nous avons la chance immense de ne pas être de ces générations sacrifiées. A toutes les époques, les jeunes ont eu des défis à relever pour leur avenir.
A notre tour d’agir, de prendre notre place, maintenant, demain.