Mauvais souffle
J’ai quand même bien du mérite. Oui, je sais vous allez encore dire que je me jette des fleurs et que ma modestie n’est qu’une question de calendrier – pour ceux qui ne le savent pas encore, mon anniversaire correspond à la Saint Modeste. D’accord. Mais quand même. À l’instant où j’essaye de composer ce texte, une armée de nettoyeurs de jardins déploie un tir de barrage nourri sur des régiments de feuilles mortes. À coups de souffleurs. Il y a peu de bruits qui soient plus désagréables que ceux de ces engins. Et pourtant je fais partie de cette catégorie souvent incomprise d’amateurs de sons mécaniques. Le glouglou d’un V8 ou la sirène d’un V12 sont à mes oreilles aussi mélodieux qu’un grand orgue ou qu’une Fender Stratocaster. Mais la scie grêle et répétitive du minuscule monocylindre doublée du sifflement du tuyau est une torture auditive. Je suis sûr que s’il y a un orchestre pour accueillir les damnés aux portes de l’enfer, il est composé d’une section souffleur accompagnée d’un soliste à la tronçonneuse. Oh, je ne jette pas la pierre et encore moins la feuille. Je comprends cependant la tentation de la machine. J’y ai moi-même cédé un temps, croyant que je gagnerais ainsi la bataille dont je vous ai déjà décrit ici l’impossible victoire. Mais je me suis rapidement aperçu que souffler sur ces masses végétales n’était qu’une illusion et que j’y consacrais presque autant de temps qu’avec un râteau dont le raclement n’est certes pas des plus harmonieux mais nettement plus supportable pour l’environnement, dans tous les sens du terme. Et pourtant, vous me connaissez, je ne suis pas ennemi du progrès. Je comprends qu’il faille avoir recours aux grands moyens pour entretenir des surfaces conséquentes comme celles de certains de mes voisins et plus encore celles dont s’occupent les employés municipaux. À ce propos je me demande comment sont ratissés les somptueux parcs et jardins des palais de la République. Si le chant des souffleurs accompagne les réflexions des plus hautes sphères du pouvoir, cela peut expliquer certaines décisions de nos gouvernants. Pourvu qu’elles ne lèvent pas un vent mauvais.