Sans Adieu : Misère et dignité de paysans du Forez
Lucien Bourgeois, Académicien, commente le film documentaire de Christophe Agou, 4 Novembre 2017
Personne ne les regarde, personne ne vient leur rendre visite, ils passent inaperçus.
Il y a chez eux un amoncellement d’objets entassés en désordre. Il y a des animaux familiers envahissants, des poules qui caquettent et des vaches qui meuglent. ils ne comprennent pas ce que les différentes administrations leurs demandent même si celles ci semblent prendre le temps de leur répéter calmement comme savent le faire les services sociaux ou les services communication des firmes commerciales.
Vous l’aurez compris. Ce n’est pas un film militant. Il n’y a ni bons ni méchants. Il n’y a pas de victimes d’un système oppressif. Nul message syndical ou politique clair au premier degré.
Et pourtant, Christophe Agou nous montre une misère inhabituelle. Des intérieurs sombres et encombrés, une saleté surprenante … Bref des conditions de vie qu’on pensait reléguées dans un passé lointain ou dans des pays éloignés. En fait, cela se passe près de chez nous. On pourrait penser qu’il a fallu chercher une région de France abandonnée des dieux pour filmer une telle misère, en l’occurrence le Forez dans la Loire près de Saint Etienne.
C’est effectivement une région agricole pauvre mais est on bien sur que l’on aurait pas trouvé des cas de ce genre dans la plupart des régions et même dans les quartiers les plus riches de nos villes ?
Christophe Agou est natif du Forez. Il en est parti à 22 ans pour New York. Photographe de métier, il couvre ;)entre autres avec talent les attentats du World Trade center. Il revient souvent en vacances et parcourt sa région natale avec son Beau-père, facteur. Il fait alors une série de portraits sur les « personnages » qu’il découvre. Il en fait un livre à succès, Face au silence 2010 Actes Sud). Grâce à la connivence qu’il a su établir avec les personnes photographiées, il prend l’habitude de tourner quelques scènes avec sa petite caméra. Le film long métrage naitra de ces rushs. Destin tragique, Christophe mourra d’un cancer à 45 ans avant que le film ne soit bouclé.
En première vision, on y voit surtout la misère et on cherche ce qui provoque cette misère, qui en est responsable ? En fait, Christophe Agou nous montre aussi autre chose. Ses personnages ne demandent ni aumône, ni assistance ni subventions ! Ils ne comprennent pas bien ce qui leur arrive. Ils sont énervés qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire.
Le service des eaux explique à Claudette qu’elle n’a qu’à téléphoner à sa banque pour faire faire un virement. Elle a de l’argent sur son compte pour payer la facture de 476 € qui lui est réclamée. Mais elle ne veut pas de ce système. Elle veut que la Banque lui fasse parvenir son carnet de chèques pour pouvoir s’acquitter de sa facture.
Quand on vient chercher tout son troupeau de vaches parce que l’une d’entre elles a les symptômes de l’ESB, Jean-Clément demande la présence du représentant de l’administration qui a pris cette décision. Il n’est pas violent mais il demande de la dignité, de l’empathie par rapport au drame qu’on lui impose.
Les hommes souffrent plus du regard qu’on porte sur eux que des conditions de vie qu’ils subissent. Un beau film pour une belle leçon d’humanité.