Medconnect 2019 - Comment le numérique va t-il impacter la santé?
Orchestré avec brio par Céline Delalande et Eudes Ménager le 2e Congrès Medconnect 2019 s’est tenu au Cadran d’Évreux où du beau monde était attendu. Oky Doky a eu le privilège d’assister à la table ronde autour du sujet : « Comment le numérique va-t-il impacter la santé ? ». Pour cette première discussion de la journée, Eudes Ménager a réuni cinq professionnels de la santé pour discuter de la situation actuelle et des véritables enjeux de demain : Ronan Le Quéré, directeur général de Interaction Healthcare, Sophie Sergent-Decherf, docteure en pharmacie et présidente de la commission pharmacie clinique, Marie-Pascale Chague, directrice de l’innovation Groupe chez Vivalto Santé, Olivier Angot, directeur de Normand’e-santé et Guy Lefrand, vice-président de la région Normandie et président de Évreux Portes de Normandie.
Le numérique au service du patient
Pour la plupart des intervenants présents, le développement du numérique dans le domaine de la santé nécessite d’entreprendre une réflexion en interne et en externe pour intégrer le patient au cœur même du système. Mais ce changement nécessite une vision d’ensemble et une révision organisationnelle pour que le patient devienne acteur de sa prise en charge et qu’il n’assume plus seul la coordination des acteurs de santé comme c’est le cas actuellement. Le numérique doit servir le patient et conduire à une prise en charge personnalisée qui tient compte de ses besoins et de ses attentes.
Interrogé sur l’état de la santé numérique et sur les améliorations à envisager pour une meilleure interaction entre les différents acteurs, Ronan Le Quéré souhaite qu’il y ait des « partenariats de proximité beaucoup plus forts entre les acteurs du soin, les start-ups et les industriels ». Il évoque notamment la possibilité d’implanter les start-up au sein même des CHU pour tisser des liens directement avec l’ensemble du personnel soignant.
Le déploiement du numérique sera confronté à un problème majeur de financement, sachant qu’actuellement la plupart des structures publiques et des institutions de soins ne disposent pas de moyens financiers suffisants. Tandis que de nombreuses start-up foisonnent d’idées et d’initiatives, leur taux de survie n’atteint que 4 % après 10 ans d’existence.
L’une des principales difficultés pour mettre en place de nouvelles collaborations entre toutes les structures et les professionnels est l’absence de modèle de référence. Contrairement aux États-Unis, pour la plupart des gens en France, la santé est gratuite. Cette réalité est à la fois une chance et un écueil au développement des innovations, car aucun des acteurs de la santé n’a aujourd’hui les moyens de financer de nouveaux modèles sans la contribution de partenaires privés, de sociétés mutualistes ou d’industriels pharmaceutiques. Au-delà de la problématique de confiance qu’implique le partage des données médicales avec des acteurs du privé, pour Ronan Le Quéré, toute innovation ou amélioration se doit d’avoir « un objectif thérapeutique visant notamment à améliorer la qualité de vie du patient», tout en s’inscrivant dans l’usage des professionnels de santé.
Une feuille de route gouvernementale à l’étude
Une doctrine est en cours de consultation pour fixer un ensemble de règles communes afin d’aborder le virage numérique. Il s’agit notamment de mettre en place des briques socles sur lesquelles l’ensemble des acteurs pourra s’appuyer afin de construire ensemble et de façon cohérente de nouvelles collaborations. Dans cette feuille de route en réflexion, pour M. Angot, l’aspect le plus important réside dans le « cadre d’interopérabilité qui va devenir opposable ». Chaque acteur, quel qu’il soit (profession libérale, structure de mutualisation ou établissement de santé) a son propre cahier des charges et ses priorités, et ces données doivent être prises en considération par l’ensemble des structures pour que des liens se créent entre chaque acteur et que les différents outils communiquent efficacement.
Si ce cadre est difficile à mettre en place, Olivier Angot regrette avant tout que les nombreuses solutions qui arrivent sur le marché et qui sont destinées à décloisonner les parcours deviennent des outils qui « eux-mêmes sont en train de cloisonner à nouveau ». Pour les structures régionales, l’enjeu est donc de réussir à maintenir une cohérence pour ne pas créer de nouveaux freins. Sur le plan régional, la Normandie a décidé de se projeter et de mettre en place des outils dans une démarche globalisée pour que demain, le travail réalisé serve de « porte d’entrée nationale ».
Des obstacles récurrents aux évolutions
La demande d’interopérabilité s’exprime depuis plus de 10 ans sans que le sujet ait réellement avancé. Selon Sophie Sergent-Decherf, il est tout à fait possible « d’imaginer un socle parfaitement sécurisé, répondant aux exigences en matière de protection des données de santé et qu’à l’intérieur même de ce socle, les différentes sociétés publiques et privées de téléconsultation puissent travailler (…) et que cette économie puisse se développer en France ». Actuellement, il y a une volonté de développer la téléconsultation et plus généralement la télémédecine pour créer un axe de coordination.
Pour Sophie Sergent-Decherf, si « Ma Santé 2022 », loi adoptée par le parlement en juillet 2019, est « formidable en termes d’innovations », elle doit être précédée par une grande concertation et la « création de groupes de travail sur les statuts des CPTS ».
Cette interopérabilité opposable étant inéluctable et une « condition sine qua non », avant de légiférer par ordonnances, les institutions doivent écouter les principaux acteurs et recueillir leurs propositions et leurs freins. Dans certaines régions, des initiatives ont déjà été prises pour développer l’interopérabilité. Dans la région Hauts-de-France, une mission complémentaire d’accompagnement des étudiants est mise en œuvre dans les CPTS : les pharmaciens accueillent des internes en médecine et les médecins des internes en pharmacie. Des financements sont alloués de manière conventionnelle pour entreprendre ces projets qui, grâce à la transversalité, permettent de mieux comprendre les compétences des uns et des autres et de lever des freins.
Si la téléconsultation est une vraie avancée, elle pose la question du financement des évolutions numériques. C’est après plusieurs années et le refus d’une proposition d’amendement en 2011 que la tarification des actes de téléconsultation a finalement été validée en 2018. Alors que l’accompagnement de la santé relève d’une fonction régalienne, la plupart des projets d’aujourd’hui font l’objet de financements privés. Le temps consacré à lever des fonds freine la recherche et de nouvelles avancées.
Anticiper la transformation pour accélérer le changement
Pour Marie-Pascale Chague, l’un des enjeux majeurs de la transformation est de trouver à la fois des moyens humains et financiers pour que les projets s’inscrivent dans la durée.
L’une des grandes difficultés actuelles est de « porter des projets de médecine qui ont dû patienter 2 ans avant de recevoir une autorisation de la CNIL, alors que l’ensemble des usagers et des partenaires étaient prêts ». Aujourd’hui encore, les mêmes entraves s’opposent aux avancées. Après un délai de 3 à 4 ans pour la télémédecine, c’est au tour du parcours de santé d’attendre une tarification. Malgré l’absence de financement, certains parcours ont été mis en place afin de répondre aux besoins des patients et de prendre de l’avance sur le temps de la transformation.
Les problèmes rencontrés quotidiennement sont notamment liés à la diversité des normes, spécifiques à chaque industriel, et qui empêchent toute intercommunication entre les différents outils. Pour améliorer le parcours du patient, il est important de mener des évaluations à chaque étape afin de détecter tout dysfonctionnement. Sans phase de test, un grand nombre de professionnels de la santé n’arrive pas à se projeter sur les nouvelles fonctionnalités offertes par le numérique, souligne Olivier Angot. « Il y a donc tout un travail “d’évangélisation” et de sensibilisation » à faire pour que chacun puisse s’approprier les nouveaux outils et ainsi entrevoir les améliorations possibles au niveau de la pratique, du diagnostic et du process général. De fait, cela sous-entend que les professionnels aient des temps de disponibilités, une réalité qui ne peut être occultée si l’on veut que les usages aient une chance de se déployer. C’est après une garde de 24 heures durant laquelle « 96 patients ont été consultés » soit « un patient toutes les dix minutes » que Dr Guy Legrand a pu rejoindre la table ronde avec un léger retard.
Questionné en préambule du colloque sur sa vision de la santé de demain et le numérique, Olivier Angot s’étonne de voir le décalage entre les échanges sur la notion d’interopérabilité et sa propre perception du monde médical dans dix ans. Les colloques forment une source de connaissances précieuses, mais aboutissent la plupart du temps sur un même constat de blocage lié notamment au manque de modèle existant, de ressources humaines et de coordination sur le territoire.
« Le temps du numérique n’est pas celui de la transformation », rappelle Sophie Sergent-Decherf et il est temps de faire évoluer les métiers pour qu’il y ait une réelle avancée.
Aux termes de la table ronde, chaque intervenant souligne l’importance d’une « co-reconstruction au-delà des frontières artificielles ». Ce travail de coordination et de coopération nécessite un minimum de formation. Pour Guy Lefrand, il devient urgent de travailler sur une « éthique pour s’assurer de la protection des données médicales », une vision partagée par Sophie Sergent-Decherf, pour qui « le déploiement de la technicité ne doit pas bafouer la frontière de l’éthique », cette dernière devant être « renforcée au bénéfice du patient ». En écoutant le « patient ressource », il sera possible « d’orienter les professionnels de santé vers le développement d’une technicité plutôt qu’une autre » et d’adapter les pratiques. Pour la France, il est encore temps de rattraper son retard et de se positionner dans le domaine de la santé numérique, à condition qu’une véritable logique soit insufflée par les pouvoirs publics pour ne pas laisser les innovations partir aux États-Unis.
Medconnect a été créé à l’initiative des Drs Arnaud Depil-Duval, Nicolas Peschanski et Arnaud Proust des Urgences et de Céline Delalande, coordinatrice du CIRCE en partenariat avec le Collège normand de Médecine d’Urgence ainsi que les collectivités locales et territoriales
Valérian Ponsinet Philippe Besset
Responsable pédagogique Management / RH / QSE
5 ansÉvreux Portes de Normandie Caroline PORTHEAULT Claire Grelle
Couteau suisse numérique 🔪🛠🪚
5 ansMerci pour la mention Hasni Khabeb 🙂