The medium is the message
Reprise d'une critique d'exposition mise en ligne par l'auteur en 2011 et toujours d'actualité.
La maquette joue un rôle de premier plan en architecture. Plus qu’un médium de promotion, il s’agit d’un outil de conception qui guide les étapes préparatoires du projet architectural. À l’instar du squelette utilisé dans les cours d’anatomie, la maquette permet d’agencer les plans et les volumes qui composeront le bâtiment dans son intégralité. C’est durant la Renaissance que la maquette prend du galon, profitant de l’art de la dissection pour développer la notion de coupe ou d’écorché.
Une critique de l’exposition MODERNISME EN MINIATURE : POINTS DE VUE, une exposition présentée par le Centre Canadien d’Architecture.
Par Patrice-Hans Perrier
Au même moment que se développait l’art de la perspective – mise en relation de l’architecture avec le paysage –, l’art de la maquette se raffine à telle enseigne que certaines réalisations deviennent des objets de curiosité, des œuvres d’art à part entière. C’est ainsi que l’architecte Filippo Brunelleschi réalisera d’étonnantes maquettes dans le cadre de son projet pour l’immense coupole de la cathédrale Santa Maria del Fiore, à Milan. Idem pour la maquette de la célébrissime basilique Saint-Pierre de Rome. Exécuté par Antonio de Sangallo le Jeune, ce modèle réduit mesurait 7,8 mètres de longueur par 5,8 mètres de largeur et 4,6 de hauteur. Des dimensions qui se rapprochent de celles d’un appartement !
Toutefois, l’art de la perspective – sans oublier les travaux plus académiques des rendus de façade – s’imposera à travers cette culture humaniste qui mettait l’emphase sur la place publique plus que sur les bâtiments à proprement parler.
« Au Moyen Âge et pendant la Renaissance les places urbaines jouaient encore un rôle vital dans la vie publique et par conséquent il existait encore une relation fondamentale entre ces places et les édifices publics qui les bordaient, alors qu’aujourd’hui elles servent tout au plus au stationnement des voitures et tout lien artistique entre places et bâtiments a pratiquement disparu. »
– Camillo Sitte
C’est avec la montée en puissance de l’architecture moderne que la maquette retrouvera ses lettres de noblesse. Obsédés qu’ils sont par les capacités structurales des nouveaux matériaux et procédés de fabrication, les architectes de la modernité travailleront sur la notion de trame ou de métrique au point d’en faire un véritable apostolat. Ce ne sont plus les proportions héritées de l’antiquité – et reprises par les constructeurs de la Renaissance– qui donnent le ton, mais bien plutôt des unités de mesure qui semblent emprunter leur syntaxe au monde de la fabrication mécanique. La standardisation fait son apparition en pleine période victorienne alors qu’une multitude de composantes est proposée dans les catalogues des grandes firmes.
L’architecte français Le Corbusier tente de réconcilier la standardisation industrielle avec les mesures du corps humain. Son concept révolutionnaire de Modulor voit le jour en 1943. Visant à maximiser les relations unissant l’homme et son espace de vie, le Modulor était une sorte de gabarit – ou unité de mesure basique – destiné à guider les architectes dans leur travail de conception de la structure et de la taille d’unités d’habitation sensées améliorer la qualité de vie de leurs habitants. Cette approche est sans doute tributaire des travaux d’un Leon Battista Alberti sur le nombre d’or ou de ceux de Leonardo Da Vinci sur les proportions du corps humain.
Si ses intentions pouvaient être nobles, il n’en demeure pas moins que Le Corbusier finira par s’enfermer dans une vision systématique qui débouchera sur l’unité d’habitation vue comme une «machine à habiter» et sur la transposition des standards de l’industrie aéronautique sur les normes de la construction. Vision systématique, donc, qui débouchera sur le Plan Voisin, véritable délire des grandeurs. La maquette est justement utilisée comme un morceau de puzzle et, une fois que tous les morceaux sont en place, la représentation en 3D de ce fameux Plan Voisin fait penser à un assemblage linéaire de transistors ou aux circuits imprimés de la carte mère de votre portable.
L’objet et son image
Un note liminaire à l’entrée de l’exposition nous prévient que «le nouvel essor de la maquette au XXe siècle tient en grande partie au besoin de présenter efficacement des idées à des non-spécialistes». L’exposition qui est présentée dans la rotonde du Centre Canadien d’Architecture éclaire la relation dynamique entre maquette et photographie qui fera en sorte de catapulter l’architecture dans la galaxie des médias, toutes catégories confondues. Cinq thématiques y sont déployées afin de nous faire prendre conscience de l’évolution de ce tango entre un médium 3D (la maquette) et un autre 2D (la photographie). Curieusement, alors que la photographie permet de «mettre en scène» la maquette – en jouant sur les effets d’optique et en exploitant les subtilités du photomontage – on dirait que cette dernière devient le faire-valoir des magazines d’architecture qui inciteront la profession de Vitruve à joindre les rangs du show-business.
En fait, la maquette tient le rôle du modèle réduit dans ce processus de miniaturisation qui semble caractériser l’ensemble de la production des artefacts manufacturés. On ne s’étonnera point que les constructivistes russes, suivi par la première école allemande du Bauhaus, aient très tôt assimilé l’architecture et le design à un jeu de construction versatile. Et, qui dit production industrielle, fait allusion par voie de conséquence au prototypage, opération intermédiaire qui permet de tester les propositions générées par la conception. Un des commentaires de l’exposition souligne, à cet effet, que «si l’appareil photo sert à saisir une maquette sous différents angles, il permet également de capter les différentes étapes de sa construction et les ambiances qui évoluent au fil du temps. La photographie offre de nouveaux moyens de visualiser l’architecture en tant que processus».
The medium is the message
Le mouvement constructiviste russe produit un surgeon excentrique: le suprématisme du peintre Kazimir Malevich. Il s’agit d’une école de pensée puriste qui place le carré, le cercle et la croix au cœur de la démarche plastique du praticien de l’art. Le site Wikipédia met en lumière un aspect central de cette approche en soulignant que «le carré était la forme préférée de Malevich, puisque c’est une forme scientifique et non naturelle, basique, universelle et c’est à partir de cette forme qu’il élabore les autres». Tout est dit. Les hollandais du mouvement De Stijl prendront le relais au tournant des années 1920 pour faire de la ligne, du carré et du plan les ingrédients de base d’une plastique mécaniste qui semble avoir influencé la création des jeux de construction LEGO.
L’exposition présentée par le CCA ne développe pas assez cette relation qui unit l’art de la maquette avec le process de l’industrialisation du bâtiment. L’aspect séquentiel de la mise en œuvre du projet architecturale étant calqué sur les méthodes industrielles de fabrication des matériaux et des composantes. Outre les magazines d’époque mis en valeur sous la vitre des présentoirs, on aurait aimé pouvoir compter sur une mise en scène du processus de création – allant des plans préliminaires à la maquette finale, en passant par la coupe et ses dérivés au niveau des différents assemblages de maquettes de travail – afin de mettre de la vie dans cette présentation un peu trop académique. En fait, si les textes liminaires font état de cette relation entre la maquette et le processus créatif et ses dérivés promotionnels, les artefacts présentés sont plutôt décevants.
Le commissaire invité par le CCA, Davide Deriu, a pris la peine de répondre à nos questions par courriel et ses interventions semblent confirmer notre analyse. En effet, ce dernier souligne la relation dynamique unissant les modèles réduits et le mouvement moderniste. Et, de préciser que «l’arrivée de la photographie, et ses champs d’application à l’art de la maquette, fit en sorte de générer un nouveau mode de représentation tridimensionnel. L’exposition Modernisme en miniature explique comment ce mode de représentation (la maquette) devint populaire à partir des années 1920, à une époque où l’axonométrie s’impose à travers les travaux du groupe hollandais De Stijl». Rappelons que l’axonométrie est une méthode de représentation en 3D qui prend appui sur la projection orthogonale (géométrie plane) de plans tracés au moyen d’instruments de dessin technique.
L’univers de l’angle droit
De fait, cette nouvelle approche conceptuelle ne semble plus faire grand cas de la courbe et de ses manifestations dans l’univers des volumes architecturaux. Les photographies de maquette donnent à voir des ombres portées qui nous rappellent celles qui étaient dessinées à angle de 45 degrés sur les rendus de façade alors que le dessin technique (utilisant des instruments suppléant au travail de la main) s’impose dans le sillage d’un design industriel qui impose de plus en plus ses standards. Poursuivant le fil de ses réflexions, Davide Deriu estime que «Leon Battista Alberti insistait déjà sur le fait que les maquettes devraient être compactes et simples, ceci afin de faire saisir au spectateur l’importance des concepts derrière le design d’une œuvre architecturale. On peu parler d’une démarche se rapprochant de l’assertion «moins c’est plus» [Louis Sullivan] dans un certain sens».
Matrice et volonté de puissance
C’est entre les deux dernières guerres mondiales – alors que l’esthétique linéaire soviétique se confrontait à la volonté du National Socialisme allemand de renouer avec les canons antiques – que le design industriel prend son envol de façon définitive. Les éminences grises du Bauhaus de Dessau conçoivent l’architecture comme une des disciplines du design, lui-même au service de l’industrialisation des modes de production sous toutes leurs formes. On parle d’«art total», à une époque où les régimes totalitaires s’imposent d’est en ouest sur le territoire européen. Les grands conglomérats industriels et financiers mettent à exécution leur plan de match à tel point que la société IBM concevra certains programmes informatiques qui seront testés au niveau de l’administration des camps de concentration nazis.
David Deriu estime que «la renaissance de l’art de la maquette durant la période de l’entre-guerre avait partie liée avec le désir de contrôle et de manipulation de l’espace à toutes les échelles. Les photographies de maquettes ont permis aux architectes de générer des effets visuels à grand déploiement en cadrant leurs modèles réduits à l’intérieur d’un espace aux échelles limitées.» Tout compte fait, cette imagerie moderne aura servi à produire une sorte de distorsion perceptuelle contribuant à renforcer le prestige de la pratique du design.
Et, le commissaire de l’exposition de conclure que «ce n’est pas le fruit du hasard si les photographies de maquettes ont été de plus en plus utilisées par les architectes afin de persuader leurs clients et, dans certains cas, pour faire la propagande de certains plans d’aménagement à grand déploiement, à l’instar du fameux Plan Voisin de Le Corbusier pour la ville de Paris».
Nous serions, pour notre part, tentés de profiter de cette discussion pour préparer un autre article qui portera sur les manipulations médiatiques et formelles de l’architecture. L’architecture, pour reprendre les visées d’une Leni Reifenstahl ou d’un Rem Koolhaas, devenant l’art suprême de la propagande d’état et/ou des puissances d’argent. À une époque où la miniaturisation des transistors et des circuits intégrés atteint des sommets, Koolhaas se fait l’avocat d’une «architecture de l’immensité». Cette architecture qu’il nomme (de ses propres mots) «générique» rompt de façon catégorique avec les prédicats de l’humanisme de la Renaissance pour augurer la mise en forme d’espaces d’activités (productive et de détente) régulés par des matrices de croissance. C’est dans cet ordre d’idée que l’art de l’holographie (projections visuelles en 3D et en mouvement) sera, sous peu, appelé à remplacer celui de la maquette. Le modèle et ses représentations se confondant à travers un univers de distorsions idéologiques. Un débat à poursuivre, sans conteste.
Présentée du 22 septembre 2011 au 8 janvier 2012 au CCA, Modernisme ne miniature : points de vue explore les interactions entre la photographie et la maquette architecturale depuis les années 1920 jusqu’aux années 1960.
Centre Canadien d’Architecture
1920, rue Baile
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