FLORAISON ARCHITECTURALE
Les jalons de la restauration de la Maison des Palmiers
Par Patrice-Hans Perrier
Reprise d’un article composé pour le bimensuel Actualités Westmount, édition du 12 avril 2006
Une nouvelle tempête de neige vient de prendre d’assaut la métropole, alors que le printemps actuel se fait désirer … nous reproduisons un article portant sur l’histoire et une des phases de restauration des Serres de la petite municipalité de Westmount. En effet, ce magnifique petit complexe victorien a subi, il y a peu, une nouvelle cure de rajeunissement qui met en valeur cet espace enchanteur qui est sis en plein cœur de Montréal. Allons-y donc pour cette reprise nostalgique d’un article pour lequel nous avions consacré beaucoup d’énergie en termes de recherche et synthèse. Et, non des moindres, cet article faisait partie d’une série sur le Patrimoine de Westmount que j’avais conçue sur un mode intimiste.
La Ville de Westmount vient tout juste (nous étions au printemps 2006) d’inaugurer ses nouvelles « Floralies du printemps ». Cette exposition horticole fait la part belle à la renaissance de la « Maison des Palmiers », ces magnifiques serres qui témoignent de la vivacité d’un genre architectural qui a rendu l’âme avec la crise de 1929.
Le petit complexe a été enchâssé, tel un diamant, entre la Bibliothèque municipale et le Victoria Hall. Ultime représentant des étonnantes créations de la firme Lord & Burnham, cet édifice vaut le détour, ne serait-ce que pour admirer la finesse de ses courbes d’inspiration mauresque.
C’est un secret de Polichinelle : le monde anglo-saxon a toujours été séduit par l’univers des fleurs. C’est ainsi qu’un étonnant « Cristal Palace » vit le jour dans le cadre de l’Exposition Universelle de Londres, en 1851. Cette œuvre d’un ancien jardinier, reconverti à l’architecture d’exposition, Joseph Paxton, témoignait de la puissance et du rayonnement de l’Empire britannique à cette époque. Couvrant une surface équivalente à un million de pieds carrés, le « Cristal Palace » fut probablement le premier bâtiment d’importance entièrement préfabriqué. Au-delà de la prouesse technique, ce bâtiment historique allait créer un engouement sans pareil pour les constructions d’acier et de verre, alors que le monde occidental découvrait les plantes exotiques.
Nouvelles technologies paradoxales
L’ère victorienne porte en elle bien des paradoxes, puisque ses protagonistes allaient défendre des idéologies parfois diamétralement opposées. Les émules de l’historien d’art John Ruskin ou du grand designer William Morris mirent de l’avant une vision de l’architecture qui exaltait l’âge d’or de la période des cathédrales gothiques. Au même moment, les progrès de l’industrialisation permirent de remplacer graduellement la structure en bois des bâtiments par la fonte, dans un premier temps, puis par l’acier triomphant. Par ailleurs, l’influence des contrées exotiques se faisait sentir aux quatre coins de l’Empire : art persan, influences mauresques, japonisme, art amérindien. La vapeur et l’acier permirent au train de couvrir des étendues gigantesques, favorisant une immigration sans cesse renouvelée. Et, l’étude des plantes et de leurs propriétés chimiques et pharmaceutiques (pigments, substances médicamenteuses, drogues) occupait une place prépondérante au sein de la communauté scientifique. Les hommes et les femmes de cette époque voulaient s’émanciper du poids parfois exorbitant des traditions ancestrales.
Pourtant, l’industrialisation favorisa son lot d’exploitation, de dévastation et de spoliation, ce qui amena les intellectuels et les artistes à chercher refuge du côté d’une pensée nostalgique prônant le retour aux sources.
C’est alors que l’architecture allait s’allier aux forces de l’industrialisation afin de permettre à la lumière et, par extension, à la nature de pénétrer en profondeur au cœur des édifices de la cité.
La mode des expositions universelles et le développement rapide des forces industrielles poussèrent les barons d’industrie à se tourner vers une architecture favorisant une standardisation des procédés de fabrication et d’assemblage. La fonte fit son entrée en qualité d’élément structural, en raison de sa très grande résistance en mode de compression.
C’est ce qui amena les constructeurs à utiliser la fonte pour couler des piliers et des colonnes résistants, sans oublier ses étonnantes capacités de moulage qui permirent de créer une foule de petits éléments techniques de connexion. Toutefois, la fonte ne possédait pas une très grande capacité de flexion, ce qui fait que les poutres réalisées au moyen de ce matériau ne pouvaient pas supporter de très grandes charges et, qui plus est, la fonte se fendillait sous l’action du gel.
Voilà pourquoi la production d’acier permit aux bâtisseurs de l’époque d’inventer de nouvelles formes et de réaliser des assemblages qui pouvaient être « montés à sec » (c’est-à-dire en usine, avant d’être assemblés sur le chantier). Une nouvelle façon de construire était née et, avec elle, apparaissaient de nouvelles possibilités structurelles. Les ingénieurs pouvaient procéder à des calculs de résistance quasi scientifiques, ce qui permit d’étendre considérablement les portées architecturales. Il devenait donc possible d’ériger de puissantes structures comportant des arches – reposant sur rien – s’élançant dans les airs pour le plaisir des visiteurs.
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Des expositions universelles jusqu’aux serres horticoles
« Le dix-neuvième siècle fut l’ère des grandes performances d’ingénieur et des découvertes techniques » - Alfred Gotthold Meyer
Le génie de l’époque victorienne permit aux matériaux de s’émanciper de leurs fonctions d’origine et de vaincre, rien de moins, les lois de la pesanteur. Par-delà l’engouement vis-à-vis des expositions universelles, le développement des serres et des halles d’exposition dédiées à l’art horticole allait connaître son apogée vers la fin de l’époque victorienne.
Déjà, sous l’Empire romain, des serres de fortune firent leur apparition. On utilisait alors de fines feuilles de mica à moitié transparentes afin de permettre à la lumière de venir fortifier les plantes en captivité. Un peu plus tard, pendant le tout le Moyen-Âge, de nombreux monastères se firent un point d’honneur de cultiver les plantes et les herbes au sein de petits cloîtres traités sur le mode du jardin intérieur. Au beau milieu de la Renaissance, des orangeries firent leur apparition. Les orangeries du Palais de Versailles et des Tuileries furent célèbres alors qu’on y exposait des milliers d’orangers exhalant leur parfum exotique. La noblesse britannique reprit cette idée du hall d’exposition florale en créant des serres somptueuses, à l’instar des « Royal Botanic Gardens » de Kew.
La mode des serres d’exposition allait se répandre comme une trainée de poudre jusqu’en Amérique. La Ville de Philadelphie investit une fortune pour mettre sur pied un hall horticole fabuleux, construit en 1876 dans le cadre de l’exposition célébrant le centenaire de la Révolution américaine. Comme le soulignait l’auteure Anne S. Cunningham « la culture de cette époque favorisa l’émergence de lieux permettant au grand public de se rapprocher de la nature au sein même du tissu urbain (urban fabric) ».
Un bâtiment qui étend ses pétales
Cette passion pour les serres culmina avec la création du Jardin Botanique de Montréal, sous l’impulsion du Frère Marie-Victorin, en 1931. C’est à la même époque, précisément en 1927, que la « Maison des Palmiers » de Westmount vit le jour pour le plus grand bonheur des amateurs d’expositions horticoles. Il s’agit d’un petit complexe délicatement posé sur le devant du Parc Westmount, invitant les curieux à une promenade dans le temps. Bien avant son apparition, la municipalité utilisait déjà des serres de production horticole afin de préparer les expositions florales qui se tenaient dans le Victoria Hall. La « Maison des Palmiers » reproduisait la délicatesse des serres britanniques du XIXe siècle et comportait un toit en double cascade.
Il s’agit d’un des deux derniers représentants de cette forme architecturale au Canada. Un petit toit, qui se profile tel un bulbe sensuel, a été ajusté par-dessus la toiture principale du complexe. La structure du bâtiment comporte un appareillage de briques en guise d’assise. D’imposantes nervures d’acier ceinturent l’ensemble du bâtiment en permettant à des nervures secondaires en bois de supporter les bardeaux de verre. À l’origine, il s’agissait d’éléments provenant du cyprès jaune, une espèce menacée à l’heure actuelle.
La serre principale jouit d’un petit étang en son centre et son espace intérieur est traité de manière formelle, d’une façon très classique en définitive. Un petit bassin, situé dans une aile adjacente, dénommé « Fish Pond », permettait aux visiteurs de se reposer admirant les poissons rouges qui nageaient autour de la statue d’un jeune enfant jouant de la flûte (on pense à l’Opéra La Flûte enchantée de Mozart). Ce petit bassin a été entièrement restauré avec son dallage de fines tuiles de céramique et de marbre. Une délicate bordure en marbre délimite cet espace béni des dieux et l’ensemble nous transporte très loin, nous rappelant l’époque des palais vénitiens.
Les curieux et les amateurs d’art floral peuvent compter, désormais, sur un complexe qui vaut le détour. Ne serait-ce que pour venir y perdre la notion du temps et se laisser aller à d’heureuses méditations. La « Maison des Palmiers » témoigne, à elle seule, de la grandeur d’une architecture utilitaire qui sut transcender les styles et les habitudes de son époque.
Remerciements :
Mesdames Doreen Lindsay, de l’Association Historique de Westmount et Anne Moffat, de la Bibliothèque municipale de Westmount. Toutes nos considérations pour Monsieur Pierre Beaupré (artisan de cette phase de rénovations en 2006), Architecte, pour son aimable assistance.