Monnaies fiduciaires VS Crypto-monnaies
Depuis un certain nombre d’années, la circulation fiduciaire engage une nouvelle donne dans nos sociétés contemporaines. Selon certains économistes, les billets de banque, notamment les grosses coupures, faciliteraient les économies souterraines et face à la conjoncture économique actuelle, elles seraient un obstacle à la politique monétaire des banques centrales qui pratiquent une politique de taux d’intérêt bas, voire négatifs. Au regard de la situation, les crypto-monnaies pourraient apporter certains éléments de réponse et de nouvelles perspectives dans le contexte actuel de nos économies.
Que représentent les monnaies fiduciaires, notamment en Europe ?
Parmi les sept coupures en euros que nous connaissons, les billets de valeur faible ou intermédiaire sont les plus fréquemment utilisés pour les paiements quotidiens. Le public les obtient le plus souvent par le biais des distributeurs automatiques, elles se définissent comme coupures de transaction. Les coupures de valeur élevée (100, 200 et 500 euros) permettent de détenir de fortes sommes en espèces, qui sont essentiellement utilisées comme réserve de valeur, mais aussi pour l’achat de biens onéreux. Elles se présentent également comme des coupures de thésaurisation. Début 2016, sur un total de plus de 1 083 milliards d’euros, les coupures de thésaurisation représentaient plus de la moitié, soit environ 52% du total en circulation. La ventilation des billets en circulation se répartit à hauteur de 28% (500 euros), 4% (200 euros), 20% (100 euros), 39% (50 euros), 6% (20 euros), 2% (10 euros), 1% (5 euros). Le billet de 500 euros représente donc près de 30% du total et pèse fortement dans le système de circulation fiduciaire.
Avec la volonté d’arrêter la mise en circulation des billets de 500 euros, la BCE souhaite réguler et réduire les flux des monnaies fiduciaires afin de juguler les économies souterraines et de promouvoir les transactions électroniques.
Le virage est clairement enclenché et cela signifie qu’une réelle mutation est en marche sur la manière de traiter nos échanges de valeurs et nos transactions financières.
Quelles vont être les conséquences sur nos usages et nos économies ?
Aujourd’hui, la Suède va probablement devenir le premier pays à se débarrasser de la monnaie fiduciaire et il faut savoir que le Danemark emboîte déjà le pas ainsi qu’une dizaine d’États, dont la France.
Cet abandon progressif de la monnaie physique présente certains avantages.
La circulation des moyens de paiement nécessite une infrastructure et une logistique lourde et onéreuse, en simplifiant la circulation par la dématérialisation de la monnaie, on pourrait ainsi effectuer des économies d’échelle importantes sur les coûts de nos infrastructures et in fine de nos transactions. Réduire la circulation permettrait aussi de lutter contre les économies souterraines et la criminalité qui restent toujours aussi friandes de grosses coupures.
À ces quelques avantages, on peut percevoir des inconvénients et des risques de dérives élevés.
En numérisant nos économies et nos transactions, nous devenons complètement tributaires des organes financiers et des banques qui centralisent facilement les données personnelles de nos vies respectives. La traçabilité, le contrôle et les décisions arbitraires de ces acteurs pourraient radicalement changer nos conditions d’usage et nos libertés individuelles.
Nous pourrions également être engager dans la perte accélérée de notre souveraineté. Frapper la monnaie reste avant tout l’expression de la souveraineté des États. En ce sens, les banques centrales sont représentées comme des organismes publics alors que les moyens de paiements numériques du moment sont rattachés à des banques privées et à des grands acteurs du numérique et de la FinTech.
Dans cette situation, nous assistons à un véritable transfert de souveraineté du domaine public vers le domaine privé ce qui potentiellement fragilise nos économies face à des crises financières incontrôlables et répétitives.
Le billet serait-il un obstacle aux politiques des banques centrales ?
Au-delà des arguments contre les grosses coupures, l’existence des billets serait une gêne pour les politiques des banques centrales.
Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du Fonds Monétaire International, a publié un article sur ce thème dans la presse internationale (Les Échos, «Inflation: la non-solution des 4%»). Et en France, Patrick Artus, chef économiste de Natixis, publiait le même jour une étude sous le titre encore plus explicite : «Il faut supprimer les billets».
La suppression des billets et leur remplacement par la monnaie électronique ferait disparaître la contrainte de positivité des taux d’intérêt, et rendrait les politiques monétaires beaucoup plus efficaces.
Généralement, l’usage des taux d’intérêt négatifs a pour effet de lutter contre une situation déflationniste. Cet effet de levier a pour objectif de soutenir l’activité de l’économie réelle. Par exemple, si vous disposez de liquidités, généralement vous les déposez sur un compte rémunéré à un taux d’intérêt plus ou moins élevé et, à moins que ce taux ne soit vraiment très bas, voire inférieur au rythme de hausse des prix, vous êtes incité à rentrer dans une logique d’épargnant. À contrario, avec un taux négatif, non seulement vous n’êtes pas rémunéré, mais vous perdez de l’argent, car votre banque prélève un certain pourcentage sur l’argent que vous avez déposé. Vous êtes donc incité à dépenser votre argent, à le faire tourner, et comme tout le monde est dans la même situation, l’argent se remet à circuler, l’activité est alors en capacité de redémarrer.
Cette mesure incitative fonctionne également avec les réseaux bancaires. Par l’application des taux négatifs, les banques centrales pourraient alors faire pression plus facilement sur les réseaux bancaires et augmenter la circulation des flux financiers.
Cette politique ne me semble pas forcément toujours efficace. Si on imprime de la monnaie, ce n’est pas la même chose que de produire des biens et services. Inciter les banques à prêter d’avantage peut engendrer des bulles financières dans différents domaines sectoriels. L’immobilier avec la crise des Subprimes est exemple encore douloureux aujourd’hui. Ces coups de butoir pour encourager la relance économique par la dépense et l’endettement peuvent fragiliser le système dans son ensemble. A mon sens, nous naviguons toujours en eaux troubles avec un moteur en panne et nous essayons de remettre de l’essence sans comprendre la cause de la panne.
Les crypto-monnaies, un remplacement naturel des monnaies fiduciaires et un sujet de préoccupation réel pour la politique des banques centrales.
L’essor des crypto-monnaies occupe à ce jour une place importante au sein de nos sociétés et dans le monde de la finance.
D’ailleurs, il faut savoir que de nombreux acteurs de la finance exploitent déjà ces nouvelles technologies et préparent le terrain de façon significative en termes d’investissement cf. article Les Echos 10/15 « Wall Street s’empare de la technologie du bitcoin». Nous assistons semble-t-il à une course contre la montre dans ce domaine. Compte tenu de la situation économique mondiale particulièrement complexe et difficile, les systèmes bancaires mondiaux anticipent l’exploitation de ces nouvelles technologies comme une alternative réelle et sérieuse à leurs modèles actuels. La compétition est rude et acharnée car de nouveaux acteurs « FinTech » occupent le terrain et ils souhaitent irrémédiablement suppléer les acteurs bancaires dits traditionnels. En septembre 2015, Mc Kinsey estime que dans cinq des métiers majeurs de la banque traditionnelle que sont le crédit à la consommation, les prêts aux particuliers et aux entreprises, la banque de détail et la gestion de patrimoine, que 10 à 40 % des revenus seront menacés d’ici 2025.
Selon International Business Times, en seulement 10 mois, Alibaba est devenu le quatrième plus gros détenteur de comptes bancaires du monde avec 90 milliards de dollars d’actifs.
Et en mars 2015, selon Goldman Sachs, 2 % des commerçants acceptent les paiements en Bitcoin, mais 23 % d’entre eux prévoient de l’utiliser dans les deux prochaines années.
L’usage des crypto-monnaies va donc se démocratiser et s’étendre par capillarité au sein de nos économies. Les nouvelles générations « d’utilisateurs-détenteurs » seront d’autant plus demandeur de ce genre de pratique et ils renforceront ainsi plus facilement le déploiement de ce nouveau modèle d’échange et de transaction.
Concernant la politique des banques centrales, il va de soi que la numérisation des transactions engendrera plus de lisibilité et de transparence au travers de l’usage de ces systèmes de crypto-monnaies. De nouveaux équilibres et rapports de force vont se mettre en place entre les acteurs financiers, les banques centrales et nous simple utilisateur-détenteur.
Par exemple, l’exploitation du système Bitcoin, par sa nature décentralisée et sécurisée, propose au monde de la finance un nouveau concept monétaire alternatif sous forme « d’argent valeur » en concurrence directe avec « l’argent dette » proposé par les banques centrales. En intégrant « l’argent valeur » dans la balance, les banques centrales se voient obligées de se responsabiliser face à une politique monétaire trop expansionniste. Si les banques centrales continuent à créer de la monnaie, donc de la dette, la crypto-monnaie prendra par conséquence de la valeur. Les devises se fragiliseront naturellement face à ce système alternatif dont la gouvernance passera par les utilisateurs-détenteurs et non plus par les banques centrales.
En somme, c’est une véritable redistribution des cartes qui s’engage. Reste à espérer que cette évolution ou révolution n’engendrera pas de perversions et de tentatives de contrôle à grande échelle de nos économies par de nouveaux acteurs de la finance ou de classes dirigeantes…