Mourir en démocratie (La fin de vie, une nouvelle loi ?)
FIN DE VIE — Soins palliatifs, suicide assisté, euthanasie, sédation, aide active à mourir, liberté.
Mourir en démocratie (La fin de vie, une nouvelle loi ?)
« Vous estes mort après la vie ; mais pendant la vie vous estes mourant, et la mort touche bien plus rudement le mourant que le mort, et plus vivement et essentiellement. » Montaigne, Essais, I, XX.
—> • Une question de principe ?
Les soins palliatifs, et donc la sédation, se sont récemment découvert des alliés. Ceux-ci ne jurent plus que par eux pour justifier l’inutilité d’une nouvelle loi sur la fin de vie et disent préférer leur développement. Assurément les soins palliatifs ont bien besoin d’être rendus accessibles à tous et manquent de moyens. Mais ils ne répondent pas aux problèmes particuliers qui conduisent à la demande du suicide assisté ou de l’euthanasie. Opposer les uns aux autres réduit les soins palliatifs à n'être que l’instrument d’une guerre préventive. C'est jouer avec le fait que beaucoup d’entre nous n'ont jamais regardé ces problèmes que de loin et n’ont jamais été au contact direct de ces situations particulières qui justifient qu'on ne s'arrête pas à eux. Parlant alors à la seule imagination, "suicide assisté" ou "euthanasie" peuvent facilement inquiéter.
Pour éviter cela, Mme Lombard disait il y a peu, très justement, que celles et ceux qui sont concernés doivent tous être écoutés [1]. Ce souci est d'abord celui, démocratique, que toute décision ne tombe pas que du ciel — même d'un ciel politique et républicain. Il est aussi de mettre au clair ce dont il s'agit, en confrontant à des personnes et des situations. Plus encore qu'écoutés, ils doivent être consultés, malades et soignants, celles et ceux demandant le droit à un suicide assisté ou à une euthanasie, et aussi l'entourage immédiat. Ne pas le faire, au mieux attribuer à ces gens le seul statut de témoins, “écoutés” avec la condescendance de spécialistes [2] ou de ceux qui s’attribuent une autorité, serait protéger un confort intellectuel et moral. Commodément, on s'interdirait la confrontation avec le vécu et l'expérience réfléchie, seuls à même de ne pas laisser s'épanouir des réactions souvent hantées par des craintes absurdes. On privilégierait la sécurité de principes préétablis, en eux-mêmes indifférents aux contextes et aux particularités, voire celle de dogmes convenus, quelle qu'en soit l'origine. En la matière, qui est toujours personnelle, il est forcément arbitraire de prétendre a priori avoir plus qu'un autre une autorité particulière sur la question. Cela l'est plus encore si c’est au nom d’un statut particulier qu'on accorde à ses croyances, par exemple une sacralité. La démocratie ne reconnaît d’ailleurs rien comme étant sacré que ce qu'elle établit comme tel et qui la fonde, selon le droit, les lois. Le sens donné à sacré est à établir, selon son exigence. Compte tenu de ce qui est en jeu, de la complexité de chaque situation, de la diversité des idées, des sentiments, des croyances, les positions a priori, préétablies, parfois comme fossilisées, ne sont qu'opinions, manières de penser ou de croire, qu'on doit prendre en considération, mais parmi d’autres et comme les autres (lesquelles, faut-il le rappeler, ne sont pas forcément religieuses).
Pour ce qui nous concerne ici, il n'y a là rien d'inquiétant pour la vérité et la liberté, cela dit relativement à une défiance à l’égard de la démocratie quand elle est vue et crainte en mère possible de toutes les démesures. La vérité est dans sa recherche. Elle se découvre dans la confrontation des idées et des sentiments. Si l'on peut s'y fier, s'il le faut bien, elle n'est pas certitude. Il en est ainsi de toute pensée, si réfléchie et raisonnée soit-elle, si évidente paraisse-t-elle. Notre cas, la fin de vie, est celui d'une expérience qui est toujours singulière. C'est là sa vérité, dont il faut prendre la mesure. Reste que, réflexion faite, il ne peut que revenir à chacun d'appréhender sa situation, seul, malgré tout. Si l'on peut et doit aider, entourer, tant bien que mal, on ne peut décider pour autrui. Cette décision est singulière parce qu'elle relève d'une vie, de sa particularité et d'une situation originale, unique, mourir. Quant à la liberté, outre qu'elle a besoin de la vérité, la démocratie a le mérite de n'interdire à personne, pour lui-même et sa vie privée, d’affirmer sacré ce qu'il reconnaît comme tel et d'agir en conséquence, dans les seules limites du droit. C'est prétendre imposer aux autres une croyance qui est inadmissible. Chacun le sait, et sait aussi qu'en ce cas, cette liberté d'une décision de mourir, personne ne serait contraint à rien qu'il ne voudrait pas.
L'existence de forts débats est tout à fait normale. La mauvaise foi ne l'est pas, encore moins qu'ordinairement. Elle témoigne d'une incapacité à sa propre liberté, vis-à-vis de soi-même, d'un manque de générosité, jusqu'à s'aveugler sur ce qui dérange, en privilégiant ses préjugés — ses incertitudes — et jusqu'à vouloir les imposer aux autres. Peut-être sans le vouloir, sans y penser, sinon de trop loin, cela revient à justifier, accepter, et pourquoi pas sanctifier, les extrêmes de la souffrance…
—> • L'impossible prétention d'interdire
Cette mauvaise foi — très “humaine”, en ce sens qu’elle a beaucoup de pratiquants — cette réalité que nous nous refusons de reconnaître, est particulièrement visible dans la volonté de vanter les seuls soins palliatifs par opposition à toute aide active à mourir. C'est donc admettre en toute sérénité la sédation[3]. Pourquoi pas, certes. Mais venant de gens qui refusent toute aide active à mourir, cela étonne. Sans doute peut-on le comprendre en appliquant ici, allusivement, une vieille réflexion sur les limites de notre sensibilité. En ce sens, ce qui étonne, c'est cette facilité avec laquelle certains estiment donc que la sédation est sans problème. Tant mieux, peut-être, mais qu'on reconnaisse alors que l'aide au mourant est d'ores et déjà, dans sa forme particulière, une aide active à mourir.
Le soin palliatif a l'avantage du mot soin et d'avoir l'apparence du soin. Il en est un, au fond, mais comme l'est, autrement, ce qui relève de l'aide active à mourir. L'avantage du soin palliatif, c'est qu'aux yeux de l'imagination [4], la distinction est rendue presque inexistante entre celui qui dort ou semble être comme dans un coma et celui qui est mort, entre le malade, le mourant et la mort. Si la sédation est plus facilement acceptée, cela tient, croyons-nous, à l’avantage (si l’on peut dire) de ne pas laisser apparaître aux yeux du profane une nette frontière entre la vie et la mort. Voilà qui laisse plus facilement la conscience tranquille et permet de se persuader qu’il s’agit plus ou moins de cette chose qui nous rassure et que nous aimons nommer mort “naturelle”, comme nous aimerions toujours pouvoir dire de quelqu'un qu'il est mort paisiblement, dans son sommeil.
Depuis l’existence des Ehpad ou des soins palliatifs jusqu’au fait de mourir, il y a en tout cela beaucoup d’un refus de penser l’état particulier de mourant et l’espoir secret d’être soulagé d’un problème. On pourrait le comprendre, mais pas si c'est au prix d’une indifférence coupable à l’égard des situations qui conduisent aux revendications évoquées ici. Sans doute, celles et ceux qui mettent en avant la légitimité de l’aide active à la mort gênent, dérangent un aveuglement commode, compréhensible en un sens, et pourtant inadmissible parce qu’irresponsable. Sans doute plus personne ne voudrait aujourd’hui qu’on cultive les vertus de telles souffrances en les considérant comme une offrande sacrificielle à la mort. Tant mieux, mais alors il faut agir en conséquence.
La sédation, par son apparence, contourne des scrupules motivés par des craintes imaginaires comme en produisent, malgré eux, le suicide assisté et l’euthanasie. Elle a ainsi l’avantage de ne pas exiger la cérémonie nécessaire à la préparation de la mort dans le suicide assisté, effet d’exigences légales (et légitimes). Avouons donc, sur ce point, un peu de mauvaise foi, dans cette préférence de certains pour la sédation alors qu'ils refusent le suicide assisté, et même, sur ce plan, l’euthanasie. Les motifs d’apprécier les uns et pas les autres se montrent ici très incertains.
En la matière rien n’est simple. La différence peut, par exemple, apparaître subtile entre sédation et euthanasie. Cela exige qu'on s'interdise les diatribes ou les anathèmes et qu'on privilégie la nuance, la générosité d’une intelligence, entendons d’une compréhension. Il devrait toujours en être ainsi.
Si l’on veut réfléchir, il faut, en tout cas, ne jamais oublier que nous parlons de ce qui interdit de vivre, de ce qui torture et désespère, de ce qui anéantit l’humanité. Il s’agit de souffrances morales et physiques insupportables et dégradantes, de vies qui n’en sont plus et dont on sait qu’elles sont sans issue, qu’elles ne laissent plus de place à aucune humanité, et en ce sens à aucune dignité.
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On jugerait cela cruel et monstrueux si l’on pensait que se voir infligé de telles souffrances relève d’une quelconque intention.
Tout cela, les incertitudes y compris, exige qu’on laisse le choix à chacun.
Aucune précaution n'impose ici qu'on continue d'interdire du fait d'hésitations qu'on prétendrait prudence. La prudence en ce cas, si elle tient de la crainte d'un mal, exige qu'on n'en reste pas à l'état actuel. On ne prendrait aucune précaution en prolongeant autant de souffrances morales et physiques.
Il faut bien sûr des conditions connues et reconnues, d’ailleurs nécessaires à toute liberté d’un choix. Mais en la matière, au nom de l’humanité et de la protection en chacun de la personne, aucun État, aucun gouvernement, aucun parlement, ne peut prétendre détenir une vérité absolue qui justifierait que continue un interdit complice d'un aveuglement.
—> • Épilogue
Disons-le autrement : devant de telles situations, qui pourrait prétendre pouvoir trancher entre bien et mal, à part la personne concernée ? Qui pourrait prétendre un instant pouvoir se mettre à sa place et conclure indépendamment de sa volonté ? Comment celui qui ne souffre pas de ce dont souffrent les personnes concernées, pourrait-il légitimement se prononcer en de tels cas ? Qui pourrait avoir l'assurance a priori de la justesse de sa décision, telle qu'il prétendrait la généraliser et l'inscrirait dans une loi, alors qu'il n'éprouve rien, au présent, de l'état d'esprit de quelqu'un face à l'incurable. Dans de telles situations, peut-on sérieusement se croire en état de décider par principe et pour tous qu’il faut simplement continuer d'interdire ? Ce serait s'arroger une autorité que l'on ne peut avoir car elle est sans critères assurés. S’il appartient au législateur de définir conditions et limites, interdire a priori d’aller au-delà des seuls soins palliatifs serait forcément arbitraire. Il ne peut en être autrement au regard de la diversité des situations concernées.
Soyons honnêtes : combien, parmi les gens qui prendraient une telle décision, continuer d'interdire, iraient regarder en face la personne qu’il condamne à rester vivante, contre sa volonté, cela dans les conditions propres à ce dont nous parlons ? Lequel d’entre eux blâmerait toute personne qu’il aime, d'aller en Suisse ou ailleurs, et de bénéficier des avantages de la richesse ?
Un dernier mot. Ne pas changer la loi revient à s’interdire a priori d’avoir la possibilité de tenir compte de la particularité de situations. Les conséquences pourraient être cruelles. Telle serait aujourd’hui l’injustice d’un statu quo qui reviendrait à refuser l’existence d’un droit à décider de sa mort.
Simon Perrier
[1] Elle répondait à France-Inter. Vous trouverez ici ses très utiles et très justes propos (9mn) : " L'aide active à mourir "n'est sûrement pas un permis de tuer", dit Martine Lombard, professeur de droit public. " Soulignons que ce qu'elle dit d'une nécessaire liberté de conscience pour les soignants nous paraît évident.
[2] Involontaire peut-être. Il en faut (ce qui est vrai aussi pour les principes — voir plus bas), mais leur pouvoir doit s’arrêter à leur savoir et leur savoir à ce qu’ils connaissent, authentiquement, rien de plus. La décision est d’une autre ampleur, n’est pas leur affaire.
[3] Précisons que ce qui suit n’est pas opposition à la sédation mais simplement volonté de montrer la superficialité de certains partis pris, l’insuffisance des a priori.
[4] du moins d'une imagination abandonnée à elle-même et subissant des préjugés
Par curiosité, en marge, on pourra trouver sur mon site, en bas de ce texte, le petit extrait d’un livre glorifiant l’épreuve de la douleur, certes en 1903
https://site-simonperrier.monsite-orange.fr/page-637a72b400d9e.html