Naufrage du El-Faro: le BEA mer américain estime que le capitaine a mis son navire et son équipage en danger et souligne de nombreuses insuffisances
Après l’USCG le 15 octobre 2017, le National Transport Safety Board, le BEA mer américain, a diffusé le 7 février 2018 les centaines de pages de son rapport final, adopté le 12 décembre, concernant le naufrage du navire américain El-Faro en octobre 2015. En décembre dernier, seul le résumé du rapport final était disponible ainsi que les 53 recommandations faites à l’administration du pavillon (US Coast Gard), à celle qui gère l’utilisation des fréquences radios, à celle chargée d’établir les prévisions météorologiques, à l’Association internationale des sociétés de classification, à l’ABS en particulier, sans oublier l’exploitant du navire sévèrement mis en cause. L’USCG, l’IACS et l’ABS ont dû particulièrement apprécier la recommandation n° 20: « évaluer et mettre en œuvre la formation des inspecteurs de la Garde côtière et celle des inspecteurs accrédités des sociétés de classification afin de s'assurer qu'ils sont suffisamment qualifiés et soutenus pour effectuer des inspections de navires efficaces, exactes et transparentes, conformément à toutes les exigences législatives et réglementaires ».
Le 1er octobre 2015, lors de l'ouragan Joaquin, le porte-conteneurs-roulier El-Faro (241 m; 14 971 tpl) coule à environ 40 milles au nord-est d'Acklins et de Crooked Island, aux Bahamas. Les 33 personnes présentes à bord disparaissent (28 navigants américains et 5 travailleurs polonais). Le navire appartenait à TOTE Maritime Puerto Rico et était exploité par TOTE Services, Inc. Les dommages causés par le naufrage ont été estimés à 36 M$. Avant cet accident majeur, le plus récent naufrage, comparable survenu aux Etats-Unis a été la disparition du vraquier américain Marine-Electric au large de la Virginie en février 1983; les 31 des 34 personnes présentes à bord ont péri.
L'enquête du NTSB a révélé les problèmes de sécurité suivants:
Actions du capitaine; utilisation d'informations météorologiques non actualisées; décision tardive de rassembler l'équipage; gestion inefficace des ressources de la passerelle; surveillance inadéquate de l'entreprise; système de gestion de la sécurité de l'entreprise; inondation dans les cales à cargaison ; perte de propulsion ; envahissement par les bouchons de ventilation ; nécessité d'un plan de contrôle des dommages ; manque d'engins de sauvetage adaptés.
Le rapport traite également d'autres questions, comme le système d'identification automatique, les enregistreurs de données de voyage et le programme de conformité alternative de l’US Coast Guard.
Constatations du NTSB
1. L'état mécanique ou le fonctionnement des chaudières, de l’appareil, de l'alimentation électrique et des machines d'El Faro n'ont pas eu de rôle dans l'accident.
2. Le travail effectué par l’équipe d’entretien constituée de travailleurs étrangers (polonais) n'a pas contribué au naufrage d'El Faro.
3. Ni le saisissage inadéquate des remorques et des conteneurs ni l'entretien insuffisant des dispositifs d'arrimage de la cargaison n'ont contribué à la gîte initiale du navire.
4. Le glissement de la cargaison n'était pas un facteur important dans la gîte initiale du navire.
5. L'état de santé de l'équipage et l'utilisation de médicaments prescrits par ordonnance par l'équipage n'ont vraisemblablement pas joué un rôle dans l'accident.
6. La décision du commandant de quitter Jacksonville était raisonnable compte tenu de la disponibilité d'options pour éviter la tempête tropicale et l'ouragan Joaquin.
7. Rien n'indique que le navire ait subi une rupture de coque ou une autre défaillance structurale importante, ce qui a joué un rôle dans l'accident.
8. Pas d’indice laissant penser à l’arrivée d’une vague scélérate (rogue wave).
9. La gîte initiale a été causée par un vent de plus en plus fort sur le bordé du navire, du fait de l'ouragan Joaquin.
10. La gîte bâbord, jumelée au mouvement du navire, a très probablement fait entrer de l'air dans la cloche du tuyau d'aspiration de la pompe de service d'huile lubrifiante, ce qui a entraîné une baisse de la pression d’huile et à la suite, l'arrêt du moteur principal.
11. Le niveau d'huile de lubrification dans le puisard de la machine principale n'était pas maintenu conformément au manuel d'exploitation du navire, ce qui a augmenté la vulnérabilité du système de propulsion à une baisse de la pression d'huile.
12. Si la compagnie avait fourni des informations aux ingénieurs relatives aux limites opérationnelles du moteur au-delà d’un certain angle la gîte, ainsi qu’au besoin d’augmenter, en prévision d’une mauvaise météo, le niveau d'huile de graissage dans le carter du moteur principal avant, la quantité supplémentaire d'huile dans le carter aurait été versée réduissant ainsi le risque d’un arrêt de la propulsion par défaut de lubrification
13. L'augmentation des exigences relatives à l'angle minimal d'inclinaison latérale dans des conditions statiques et dynamiques offrirait une marge de sécurité supplémentaire aux navires exposés à des vents violents et à de grands états de mer.
14. L'équipage n'était probablement pas au courant des limites opérationnelles de la machine principale résultant d'une gîte excessive et durable (1)
15. Si les officiers avaient connu l'angle maximal de la gîte statique permettant au moteur principal de fonctionner de façon nominale, ils auraient probablement tenté de réduire la gîte initiale plus tôt réduisant ainsi le risque d’une perte de propulsion.
16. Un écoutillon étanche à l'eau de la cale n° 3 du deuxième pont était ouvert, permettant à l'eau de pénétrer et compromettant l’étanchéïté du navire.
17. Si la trappe d'accès du deuxième pont (navette) avait été munie d'un indicateur d'ouverture/fermeture installé à la passerelle, l'équipage aurait su que cette trappe était ouverte.
18. Étant donné que le dispositif d'arrimage/saisissage des véhicules chargés à bord ne répondait pas aux exigences du manuel d'arrimage de la cargaison approuvé du navire, les automobiles étaient plus susceptibles de se désarrimer par gros temps.
19. L'introduction de l'eau dans la cale 3, combinée au mouvement du navire, a entraîné la défaillance de certains moyens d'arrimage de certaines automobiles.
20. Il est probable que la tuyauterie d'eau de mer située sous la ligne de flottaison jusqu'à la pompe d'incendie d'urgence du navire dans la cale 3 était insuffisamment protégée contre les chocs et qu'elle a été heurtée par une ou plusieurs voitures qui s'étaient désarrimées.
21. Les dommages subis par cette tyauterie ont très probablement entraîné une inondation dans la cale, ce qui a considérablement compromis la stabilité du navire.
22. La vitesse d'envahissement de la cale 3 a dépassé la capacité nominale des pompes d'assèchement. Ainsi le niveau d'eau dans la cale, malgré le pompage continu, n’a-t-il pas baissé.
23. Les membres d'équipage de la salle des machines ont très probablement été avertis de la présence d'eau dans la cale 3 par le système d'alarme d’envahissement installé dans la cale.
24. Les nouveaux navires de charge devraient être équipés d'alarmes de haut niveau d’eau dans toutes les cales à cargaison et les navires existants devraient être équipés d'alarmes de niveau d’eau qui transmettent des indications audibles et visibles à un endroit utile pour l’équipage.
25. Toutes les fermetures étanches du système de ventilation des cales de la cargaison sont très probablement demeurées ouvertes tout au long de la séquence de naufrage.
26. Aucun navire ne devrait pas avoir d'exigences opérationnelles maintenant ouvertes des fermetures supposées étanches lorsque celles-ci sont considérées comme devant être fermées lors de l'évaluation de la stabilité et de la ligne de charge du navire.
27. Si le livret de stabilité du navire ou le logiciel CargoMax avait identifié les points d'envahissement du navire, les officiers du navire auraient pu fermer les ouvertures de ventilation des cales.
28. Environ 40 minutes avant le naufrage, l'eau de mer a très probablement pénétré dans la conduite de ventilation de plusieurs cales de cargaison principales, ce qui a renforcé l'inondation déjà en cours dans la cale 3 et accéléré le naufrage.
29. Si un plan de contrôle des dommages avait été disponible et que l'équipage avait reçu une formation sur son utilisation, il aurait été mieux en mesure de planifier rapidement le scénario d'inondation et d' y faire face rapidement.
30. Les navires de charge existants devraient avoir les mêmes plans et livrets de contrôle des avaries que ceux qui sont exigés pour les navires nouvellement construits afin d'aider les équipages en cas de dommages et d'inondation.
31. L'approbation par une société de classification des plans et des carnets de contrôle des dommages fournirait un contrôle indépendant pour assurer l'uniformité et le respect des exigences.
32. Un plan de contrôle des dommages aurait aidé le capitaine à évaluer la situation des inondations.
33. Le module de stabilité des avaries du logiciel CargoMax installé à bord aurait pu fournir en temps opportun aux officiers des renseignements sur la stabilité du navire en fonction des conditions d'avarie du navire.
34. Au départ de Jacksonville, le plan de route initial conduisait directement sur la trajectoire prévue de la tempête.
35. Bien qu'il n'y ait aucune preuve directe que la compagnie ait exercé des pressions sur l'horaire du navire, les pressions inhérentes auraient pu influencer la décision du commandant de continuer malgré les conditions météorologiques.
36. Le navire recevait suffisamment d'informations météorologiques pour que le capitaine puisse prendre une décision éclairée concernant la route du navire.
37. Bien que des renseignements météorologiques à jour étaient disponibles sur le navire, le capitaine n'a pas utilisé les renseignements les plus récents pour prendre ses décisions.
38. Il aurait dû retourner à la passerelle après que les 2è et 3è lieutenants l'ont appelé pour mieux se rendre compte de l'évolution de la situation météorologique.
39. Il n'a pas pris les mesures nécessaires pour éviter l'ouragan Joaquin, mettant ainsi son navire et son équipage en danger.
40. En ne tenant pas suffisamment compte des suggestions émises par ses officiers lui demandant de changer de route et en omettant de modifier sa décision de poursuivre, le capitaine a mis le navire et son équipage en danger.
41. Les concepts de gestion des ressources à la passerelle n'ont pas été mis en œuvre à bord.
42. L'incapacité de la compagnie à assurer la mise en œuvre de la gestion des ressources à la passerelle a contribué au naufrage.
43. Le système de gestion de la sécurité de la compagnie était inadéquat et ne fournissait pas aux officiers et à l'équipage les procédures nécessaires pour assurer un passage sûr, l'étanchéité de la coque, une préparation en prévision d’un mauvais temps ou une intervention en cas d'urgence par mauvaise météo.
44. La compagnie ne disposait pas d'un processus efficace pour évaluer ses officiers.
45. La compagnie ne disposait pas d'un programme de formation efficace pour l'utilisation de l'instrument de stabilité CargoMax, y compris son module de stabilité en cas de dommages.
46. La formation aux opérations par gros temps, y compris la météorologie avancée et la manoeuvre en mer formée, dont le capitaine était exempté, aurait pu lui fournir des renseignements supplémentaires à prendre en considération lors de l'évaluation des options et aurait pu donner lieu à un plan d'action différent.
47. La compagnie ne disposait pas d'un programme efficace de formation des officiers pour l'utilisation du logiciel de suivi météo « Bon Voyage » disponible à bord.
48. La compagnie ne s'est pas assurée que le navire disposait d'un anémomètre fonctionnant correctement, ce qui a privé le capitaine d'un outil essentiel pour comprendre la position de son navire par rapport à la tempête.
49. La compagnie s'est abonnée à un service d'évaluation rapide des dommages, bien qu'il ne soit pas nécessaire, mais elle n'a pas formé l'équipage à son utilisation.
50. La compagnie n'a pas surveillé la position du El-Faro par rapport à la tempête et n'a pas fourni au commandant l'appui nécessaire pour éviter les tempêtes et se préparer aux conditions météorologiques violentes pendant le voyage.
51. La société n'a pas évalué le risque que faisait peser l'ouragan Joaquin sur le navire.
52. Le fait que la compagnie n'a pas surveillé les aspects critiques de la gestion de la sécurité, y compris les lacunes dans la formation des bords en cas de temps violent, dénotait une culture de la sécurité faible dans la compagnie et a contribué au naufrage du navire.
53. Le livret de stabilité du navire aurait dû contenir des informations sur les limites des angles de gîte pour sensibiliser les officiers aux vulnérabilités du navire aux envahissements.
54. Ni la Garde côtière ni la société de classification n'ont évalué de façon adéquate le livret de stabilité du navire pour s'assurer qu'il contenait des renseignements essentiels qui sont précisés dans les règlements et les directives de la Garde côtière.
55. La circulaire de navigation et d'inspection de la Garde côtière (NCIVC) 4-77 (glissement des cargaisons en situation d'urgence) devrait être révisée pour inclure des directives précises concernant les dangers des mesures correctives lorsque la marchandise chargée dans les ponts garage s’est déplacée ou que les ponts sont mouillés.
56. Le Programme de conformité alternative de la Garde côtière n'est pas efficace pour assurer que les navires respectent les normes de sécurité exigées par la réglementation, et de nombreux navires inscrits au programme sont susceptibles d'être exploités dans des conditions inférieures aux normes. (la version officielle était en maigre)
57. La conversion en 2005-2006 du navire pour le transport de conteneurs et l'augmentation de son tirant d'eau auraient dû être considérées comme une conversion majeure par la Garde côtière.
58. Pour tous les navires quel que soit leur type de navigation, le fait de soumettre leurs engins de sauvetage à un examen régulier pour vérifier leur conformité aux normes actuelles améliorerait la capacité de survie des équipages.
59. La décision du commandant de rassembler l'équipage et d'abandonner le navire était tardive et a peut-être réduit les chances de survie de l'équipage.
60. En raison des conditions météorologiques difficiles, combinées à la gîte du navire, il était peu probable d’arriver à mettre à l’eau correctement les embarcations de sauvetage et/ou de monter à leur bord.
61. Les embarcations de sauvetage ouvertes du navire n'auraient pas fourni une protection adéquate même si elles avaient été mises à l'eau.
62. Les chances de survie seraient augmentées si l'on remplaçait les embarcations de sauvetage ouvertes de tous les navires en service par des embarcations fermées conformes aux normes de sécurité les plus récentes.
63. La capacité de survie serait augmentée si les nouveaux navires de charge étaient équipés d'embarcations de sauvetage lancées à l'arrière en chute libre, là où c'est possible.
64. En raison du mauvais temps, combiné à la gîte, il était peu probable de mettre à l’eau manutellement radeaux de sauvetage manuellement et/ou de permettre l’embarquement des navigants.
65. Les efforts de recherche et de sauvetage ont été déployés le plus efficacement possible, compte tenu des conditions météorologiques extrêmes dans les jours qui ont suivi l'accident.
66. En raison des différences de formatage en latitude et en longitude entre Inmarsat-C et le système de planification optimale de recherche et sauvetage (SAROPS, search-and-rescue optimal planning system) de l’US Coast Guard, la dernière position connue du navire selon le SAROPS était à 23 milles marins de la position réelle.
67. Bien que ces erreurs de position n'aient pas affectés les résultats des recherches après le naufrage, une unification du référentiel de carte s’impose afin d'éliminer les erreurs semblables dans les accidents futurs.
68. L'utilisation d'anciennes radiobalises de localisation des sinistres (RLS), comme celles présentes à bord du El Faro, qui ne transmettent pas les positions GPS, réduit la précision de la position lors des opérations SAR
69. Le fait de fournir une balise de repérage individuelle à toute personne présente à bord d’un navires mer améliorerait les chances de survie.
70. La mauvaise qualité audio et le mauvais positionnement des microphones de l'enregistreur des données du voyage (VDR) à bord n'ont pas permis d'enregistrer de façon utile les conversations sur la passerelle, ce qui a nuit à la capacité des enquêteurs de transcrire l'enregistrement avec exactitude.
71. Les tests sur la position la plus efficace des micros du VDR devront être effectués quand le navire utilise son moteur principal (pas de précision sur le régime moteur requis lors des essais).
72. Le VDR du navire n'était pas configuré pour enregistrer la totalité d’une communication interne, ce qui a empêché les enquêteurs d'entendre les échanges entre les officiers mécaniciens et ceux de pont.
73. Afin d'assurer une qualité sonore optimale pour les enquêtes sur les accidents, il est essentiel que tous les échanges VHF résultant de l’exploitation du navire, soient enregistrés par des entrées individuelles sur le VDR du navire.
74. Le test annuel de fonctionnement du VDR présent à bord n'a pas été complet car que le technicien n'a pas remplacé la batterie de la balise de repérage alors même que celle-ci devait expirer avant la date du prochain test de fonctionnement.
75. La récupération du VDR du navire a été grandement entravée parce que la date d’utilisation de la batterie avait expiré depuis environ quatre mois avant le naufrage et que la balise était muette pendant les recherches.
76. La conception de l'équipement du système mondial de détresse et de sécurité en mer utilisé à bord permet d'envoyer des positions de navires erronées dans les alertes d'urgence.
77. L'accroissement des rapports et l'amélioration de la transmission des données météorologiques et océanographiques vers les navires amélioreraient considérablement la disponibilité d'informations essentielles pour accroître la sensibilisation aux conditions météorologiques, les prévisions météorologiques et les services consultatifs visant à améliorer la sécurité des navigants.
78. En raison de l'avantage considérable que le système d'identification automatique (AIS) pourrait procurer en améliorant la quantité de rapports météorologiques transmis aux navires à l'échelle mondiale, un projet de "validation de principe" est justifié pour établir sa viabilité.
79. Si le projet de " preuve de concept " recommandé dans le présent rapport, établit que l’AIS peut transmettre, en un seul message, (1) les données météorologiques et océanographiques générées directement par des instruments automatisés et par les bords, (2) la position du navire et l'heure d'observation, et (3) d'autres métadonnées importantes, par satellite et récepteurs terrestres, aux autorités météorologiques mondiales par l'intermédiaire du Système mondial de télécommunications avec un délai acceptable, l’AIS doit être immédiatement utilisé pour augmenter le nombre de rapports météo transmis aux navires
80. L'augmentation des capacités de transmission de messages de l’AIS pour fournir aux navigants un accès en temps réel à une variété d'informations sur la navigation, les conditions météorologiques et la sécurité maritime en établissant de nouveaux canaux pour le système d'échanges très fréquents de données est un effort international prudent.
81. Si les officiers de pont avaient exprimé « plus fermement leurs préoccupations », conformément aux principes d’une gestion efficace des ressources à la passerelle, la connaissance de la situation du commandant aurait pu être améliorée.
Probable cause: insuffisances
combinées à un style de commandant autocratique
Le NTSB estime que la cause « probable » du naufrage est « l'insuffisance des mesures prises par le commandant pour éviter l'ouragan Joaquin, son omission d'utiliser les renseignements météorologiques les plus récents et sa décision tardive de rassembler l'équipage. La gestion inefficace des ressources de la passerelle a contribué au naufrage, notamment le fait que le commandant n'a pas tenu compte des suggestions des officiers. L'insuffisance de la surveillance de TOTE et de son système de gestion de la sécurité a également contribué au naufrage. Les autres facteurs qui ont contribué à la perte du El-Faro ont été l'inondation d'une cale par suite de l'inondation d'une ventilation restée ouverte et d'une conduite d'eau de mer endommagée, la perte de propulsion causée par une faible pression d'huile de lubrification du moteur principal en raison d'une gîte prolongée et l'envahissement par le bas des cales au moyen de bouchons d'aération non sécurisés. L'absence d'un plan de contrôle des avaries approuvé qui aurait aidé l'équipage à reconnaître la gravité de l'état du navire et à intervenir en cas d'urgence a également contribué à la perte du navire. L'absence d'embarcations de sauvetage adaptées aux conditions météorologiques a contribué à la perte de 33 personnes ».
Les recommandations du BEAmer américain
A la suite de son enquête, le NTSB formule des recommandations à l'intention de la Garde côtière américaine, de la Federal Communications Commission, de la National Oceanographic and Atmospheric Administration, de l'International Association of Classification Societies, de l'American Bureau of Shipping, de Furuno Electric Company Ltd. et de TOTE Services, Inc.
A la Garde côtière américaine :
1. Réviser les règlements afin d'augmenter la puissance minimale de propulsion et l’angle de gîte maximal toléré par le moteur principal. Simultanément, les exigences relatives à l’angle maximal de mise à l'eau des embarcations de sauvetage devra être supérieur à celui de la gîte tolérée par le moteur afin d'offrir une marge de sécurité lors de l'abandon du navire après la perte de propulsion.
2. Proposer à l'Organisation maritime internationale (OMI) que les angles d'inclinaison maximums de fonctionnement des machines propulsives principales et d'autres équipements critiques de bord soient inclus dans les documents de contrôle des avaries, les instruments de stabilité et les livrets, ainsi que dans les systèmes de gestion de la sécurité de tous les navires applicables.
3. Proposer à l’OMI que toutes les portes étanches et les panneaux d'écoutille d'accès normalement fermés en mer soient munis d'indicateurs d'ouverture/fermeture présents à la fois à la passerelle et localement.
4. Proposer à l'OMI que, sur les navires neufs et existants, la tuyauterie d'alimentation en eau de mer passant sous la ligne de flottaison dans toutes les cales à cargaison, soit protégée contre les chocs.
5. Proposer à l'OMI d'exiger que toutes les cales des nouveaux navires de charge soient munies d'alarmes de niveau d’eau ; ces alarmes devant être audibles et visibles dans un endroit habité.
6. Proposer à l'OMI d'exiger que les navires de charge existants soient équipés des mêmes alarmes de cale.
7. Proposer à l'OMI que toute ouverture qui doit normalement être maintenue ouverte pour permettre l'exploitation efficace du navire, soit considérée comme un point d'envahissement par les hauts, tant dans les règlements sur la stabilité à l'état intact que dans ceux sur la stabilité après avarie et dans les règlements sur la ligne de charge en vertu de la Convention internationale sur les lignes de charge.
8. Exiger que l'information concernant les ouvertures susceptibles d'entraîner un envahissement par les hauts soit incluse dans les documents de contrôle des avaries, les instruments de stabilité et les livrets, ainsi que dans les systèmes de gestion de la sécurité des navires assujettis aux critères de stabilité intacts du titre 46 du Code of Federal Regulations 170.170, quel que soit la désignation ou le traitement de ces ouvertures dans les calculs de stabilité.
9. Proposer à l'OMI que les navires de charge existants qui sont soumis à la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) soient tenus d'avoir à bord des plans et des carnets de bord conformes aux normes en vigueur.
10. Proposer à l'OMI que les plans de contrôle des dommages et les livrets exigés par la SOLAS soient approuvés par classe.
11. Publier des directives à l'intention des écoles d’officiers de marine marchande qui proposent une formation à la gestion des ressources à la passerelle, visant à promouvoir une culture d’équipage soudé, à améliorer le processus de prise de décisions, en particulier en ce qui concerne la navigation pour mauvais temps.
12. Exiger que tous les officiers de pont reçoivent une formation continue en gestion des ressources à la passerelle lorsqu'ils renouvellent leurs brevets.
13. Exiger que tous les officiers de pont, tant au niveau des opérations qu'à celui de la gestion, suivent un cours de météorologie approuvé par la Garde côtière afin de combler l'écart pour les navigants ayant obtenu leur brevet avant 1998.
14. Publier des directives relatives au contenu des cours avancés de météorologie des écoles d’officiers de marine, exigeant que soient traités les sujets suivants: les caractéristiques des systèmes météorologiques, y compris les tempêtes tournantes tropicales; les concepts météorologiques avancés; l'importance d'envoyer des observations météorologiques; les manœuvres des navires par gros temps, à l'aide de simulateurs perfectionnés; les préparatifs du navire en prévision d’une mauvaise météo ; l'utilisation de la technologie pour transmettre et recevoir les prévisions météorologiques (comme le télex de navigation[NAVTEX] ou les prestataires de routage météo); les services de routage des navires (capacités et limites); et la mise à l'eau des embarcations de sauvetage.
15. Fournir aux écoles, des conseils stratégiques concernant le contenu de la formation opérationnelle en météorologie afin de s'assurer que le programme comprend les sujets suivants: caractéristiques des systèmes météorologiques, cartes et rapports météorologiques, importance d'envoyer des observations météorologiques, sources d'information météorologique et interprétation des produits de prévision météorologique.
16. Exiger que les navires de 500 tjb et plus soient équipés d'instruments météorologiques en bon état de fonctionnement, y compris des baromètres, des barographes et des anémomètres.
17. Réviser le titre 46 Code de la réglementation fédérale 170.110 (stabilité) pour exiger (1) des instructions, des directives ou des données sur la stabilité de la vitesse du vent utilisées pour calculer les prévisions météorologiques; (2) une liste des fermetures qui doivent être closes pour prévenir les inondations involontaires; (3) une liste des fermetures qui peuvent rester ouvertes sans être pour autant considérées comme des points d'envahissement bas; et (4) pour préciser l'angle auquel l'envahissement initial se produit (…).
18. Mettre à jour les directives de la circulaire de navigation et d'inspection 4-77 (déplacement des cargaisons pendant les situations d'urgence), en se fondant sur les circonstances de l'accident du El-Faro, y compris un avertissement indiquant que les mesures prises par l’équipage du navire pour corriger la gîte peuvent produire des résultats dangereux si la cargaison présente sur les ponts garage s’est désarrimée et si la présence d'eau a réduit les coefficients de frottement des cargaisons qui sont restés arrimées.
19. Procéder à un examen complet du Programme de conformité alternative afin d'évaluer la pertinence et l'efficacité du programme.
20. Examiner et mettre en œuvre la formation des inspecteurs de la Garde côtière et des inspecteurs accrédités des sociétés de classification afin de s'assurer qu'ils sont suffisamment qualifiés et soutenus pour effectuer des inspections de navires efficaces, exactes et transparentes, conformément à toutes les exigences législatives et réglementaires (la version d’origine est en maigre).
21. Examiner et de réviser les règles relatives aux principales transformations que peut subir un navire, afin que la ligne de flottaison à pleine charge soit considérée comme la dimension principale du navire.
22. À intervalles réguliers, au moins tous les 20 ans, vérifier que tous les engins de sauvetage présents à bord des navires qui sont assujettis au titre 46 du Code of Federal Regulations, partie 199, répondent aux normes les plus récentes.
23. Exiger que les embarcations de sauvetage ouvertes sur tous les navires soient remplacées par des embarcations de sauvetage fermées conformes aux normes réglementaires en vigueur et, dans la mesure du possible, par des embarcations de sauvetage à chute libre.
24. Afin d'éviter les erreurs futures dans la conversion des données de position, telles que celles qui se sont produites dans cet accident, travailler avec les fabricants d'équipement du Système mondial de détresse et de sécurité en mer (SMDSM), les fournisseurs de communications et les stations terriennes terrestres pour lever toute ambiguïté dans les rapports de position des alertes de détresse d'Inmarsat-C.
25. Exiger que chaque navigant, quel que soit le type de navigation dispose d’une balise de localisation personnelle pour améliorer ses chances de survie.
26. Modifier le contenu de la formation des inspecteurs maritimes afin qu’ils vérifient que :
- les tests annuels de fonctionnement de l'enregistreur des données du voyage (VDR) comprennent le remplacement des balises de localisation avant l'expiration ;
- et que le son utilisé pour évaluer la qualité sonore du VDR soit celui du moteur tel que perçu à la passerelle.
27. Proposer à l'OMI de modifier la résolution MSC. 333 (90) afin de préciser que les "opérations normales" sont définies comme étant celles qui se déroulent lorsqu'un navire utilise son moteur principal. Cette modification doit également prévoir d’évaluer les problèmes venant des VDR, comme le fait de ne pas enregistrer la totalité des conversations téléphoniques passant par le téléphone de la passerelle ni les communications VHF, puis de déterminer les solutions possibles.
28. Si les recommandations de sécurité faites à la National Oceanographic and Atmospheric Administration établissent que l’AIS est un moyen viable (dans un délai raisonnable) pour que les navires transmettent des données météos aux autorités météorologiques mondiales, proposer à l’OMI que tous les navires tenus d'utiliser l’AIS soient également équipés de capteurs météorologiques et océanographiques - y compris, au minimum, des capteurs de pression barométrique et de température de surface de la mer – afin qu’ils puissent transmettre, automatiquement et à intervalles très rapprochés, ces données.
29. Proposer à l'OMI que les navires soumis à la convention SOLAS qui ne diffusent pas déjà automatiquement des données météorologiques et océanographiques par d'autres moyens soient tenus de diffuser manuellement ces données en mer via l’AIS ou le programme des navires d'observation volontaire aux heures de 0000 UTC, 0600 UTC, 1200 UTC et 1800 UTC.
A la Commission fédérale des communications:
30. Exiger que tous les navires américains tenus d’être équipés d’une radiobalise de localisation des sinistres à 406 MHz cessent immédiatement d’utiliser celles qui ne sont pas compatibles avec le système de positionnement mondial (GPS).
31. Réserver les fréquences des messages spécifiques aux applications (ASM) désignées pour l'utilisation des systèmes d'échange de données VHF (VDES) dans les territoires des États-Unis, comme indiqué dans la recommandation UIT-R M. 2092-0 de l'Union internationale des télécommunications (UIT) et conformément aux efforts internationaux.
À la National Oceanic and Atmospheric Administration:
32. Coordonner avec le Service météorologique national, les exploitants de navires, les fournisseurs de services AIS et les fournisseurs de technologies embarquées pour réaliser un projet de " preuve de concept " afin d'établir si l’AIS, ou une autre solution de rechange convenable, peut pratiquement transmettre en un seul message (1) des données météorologiques et océanologiques obtenues directement à partir d'instruments automatisés et d'observations manuelles à bord des navires en mer, (2) la position du navire et l'heure d'observation, et (3) d'autres métadonnées importantes.
A l'Association internationale des sociétés de classification:
33. Recommandez à vos membres d'augmenter l'angle d'inclinaison maximal permettant le fonctionnement nomimal du moteur et des autres machines critique à bord. Simultanément, l’angle maximal de mise à l'eau des embarcations de sauvetage devra être supérieur à celui permettant le bon fonctionnement de la machine afin d'offrir une marge de sécurité pour l'abandon du navire après défaillance des machines.
34. Ces angles devront être précisés dans les documents de contrôle des avaries, les instruments de stabilité et les livrets, ainsi que dans les systèmes de gestion de la sécurité de tous les navires.
35. Recommandez à vos membres d'exiger que toutes les portes étanches et les panneaux d'écoutille d'accès normalement fermés en mer soient munis d'indicateurs d'ouverture/fermeture visibles depuis la passerelle et localement.
36. Recommandez à vos membres d'exiger que, sur les navires neufs et existants, la tuyauterie d'alimentation en eau de mer installée sous la ligne de flottaison et passant dans toutes les cales à cargaison, soit protégée contre les chocs.
37. Recommandez à vos membres d'exiger que les nouveaux navires de charge soient munis d'alarmes de haut niveau d’eau dans toutes les cales à cargaison ; alarmes devront être visibles et audibles depuis un espace normalement habité.
38. Recommandez à vos membres d'exiger que les navires de charge existants soient équipés de la même façon que précédemment.
39. Recommandez à vos membres que toute ouverture qui doit normalement rester ouverte pour l'exploitation efficace du navire doit également être considérée comme un point d'envahissement par les hauts, tant dans les règlements sur la stabilité à l'état intact que dans les règlements sur la stabilité en cas d'avarie et dans les règlements sur la ligne de charge en vertu de la Convention internationale sur les lignes de charge.
40. Recommandez à vos membres que les navires de charge existants soient tenus d'avoir à bord des plans et des carnets de contrôle des avaries conformes aux normes en vigueur.
41. Recommandez à vos membres d'exiger que les plans de contrôle des dommages et les livrets exigés par la convention SOLAS soient approuvés par classe.
À l'American Bureau of Shipping:
42. Améliorez la formation de vos inspecteurs afin de vous assurer qu'ils sont suffisamment qualifiés et soutenus pour effectuer des inspections de navires efficaces, exactes et transparentes, répondant à toutes les exigences légales et réglementaires. (le texte d’origine est en maigre).
A Furuno Electric Company Ltd:
43. Metter à jour votre logiciel du Système mondial de détresse et de sécurité en mer (SMDSM) pour détecter et corriger les erreurs de l'utilisateur lors de la saisie des positions des navires à l'aide du système de positionnement mondial (GPS).
A TOTE Services, Inc:
44. Établir des procédures d'exploitation prenant en compte, à la fois, des conditions météorologiques dégradées et les limites des machines critique pour assurer un fonctionnement continu.
45. Établir des procédures pour l'ouverture, la fermeture et la consignation de toutes les fermetures qui constituent l'enveloppe étanche du navire pendant que le navire est en mer.
46. Assurez-vous que les plans et les livrets de contrôle des avaries se trouvent à bord de tous vos navires de charge et que chaque navigant est formé à leur utilisation.
47. Exiger que les officiers supérieurs reçoivent une formation approuvée par le fabricant, pour chaque fonction présente sur le logiciel de stabilité installé à bord, y compris les modules de stabilité après avarie.
48. Révisez votre système de gestion de la sécurité et vos programmes de gestion des ressources à la passerelle pour y inclure des instructions, des procédures et des listes de vérification détaillées permettant de réduire les risques que peut présenter des mauvaises conditions de navigation pour vos navires.
49. Effectuer un audit externe, indépendant de votre organisation et/ou de votre société de classe, de l'ensemble de votre système de gestion de la sécurité afin de s’assurer du bon respect du code international de la gestion de la sécurité (ISM) et de corriger les éventuelles lacunes.
50. Exiger que vos navires soient équipés d'instruments météorologiques fonctionnant correctement, y compris des baromètres fonctionnels, des barographes et des anémomètres.
51. Instaurer un processus officiel pour assurer un routage météorologique indépendant, une aide à la planification de la route à suivre et la surveillance de la position des navires.
52. Fournir une formation officielle et périodique à vos officiers de pont sur les systèmes d'information météorologique publics et commerciaux fournis à bord de chaque navire afin de s'assurer qu’ils connaissent bien toutes les sources d'informations météorologiques mises à leur disposition et qu'ils comprennent les délais de transmission de l'information.
53.Former la direction de l’armement et les officiers supérieurs à l’évaluation rapide des dommages, et aux procédures d'exploitation normalisées. Des exercices annuels devront être rendus obligatoires ainsi que la présentation des conditions de stabilité au départ de chaque voyage.
On image sans peine ce que les avocats des ayant-droit des 33 disparus peuvent obtenir avec un pareil rapport technique. Le site internet du NTSB permet d’accéder à une multitude de documents relatifs à ce naufrage, y compris des vidéos prises à plus de 4000 m de profondeur.
L'actuel gouvernement français s'interroge sur son "core business". Les quelques fonctionnaires chargés des registres français d'immatriculation pourraient s'intéresser à l'évaluation américaine (USCG et NSTB) de la qualité de la formation des inspecteurs des sociétés de classification à qui sont déléguées des responsabilités régaliennes.
1 « Le désamorçage des pompes à huile au roulis, qui a provoqué l’arrêt du moteur, est dû à un maintien de niveau d’huile trop bas dans le ballast de retour d’huile (seulement 4 cm au-dessus de l’alarme de niveau bas), lequel constitue un facteur déterminant dans la perte de propulsion du navire, et par conséquent dans les évènements qui s’en sont suivis jusqu’à l’échouement » a écrit le BEAmer français à la suite de l’échouement, un jour de tempête, du roulier porte-conteneurs Rokia-Delmas (185 m ; 27 601 tpl) sur une plage du sud de l’Île de Ré, en octobre 2006. Fond sableux et faible hauteur d’eau ont évité le naufrage et permis l’évacuation de l’équipage ; le navire a été démantelé sur place.