Netflix est devenu un mauvais cliché
Netflix est-il en train de devenir le nouveau Blockbuster? Ce serait ironique. Et pourtant.
Pour les plus jeunes d’entre nous, Blockbuster, c’était le géant des vidéoclubs, à l’époque où justement la VOD n’existait pas comme aujourd’hui. Quand on voulait regarder un film, on se déplaçait, on cherchait l’Elu dans les rayons, on le louait, et on le ramenait quelques jours plus tard. Un des piliers du business model de Blockbuster se jouait justement sur ce délai de rendu des films. En 2000, 16% des revenus de Blockbuster provenait des late fees, les pénalités en cas de retard dans le rendu de votre VHS/DVD.
Pourtant 10 ans plus tard, en septembre 2010, Blockbuster déclare faillite. Le géant n’avait pas pris en compte la concurrence nouvelle et les changements des habitudes de ses consommateurs.
Parmi cette concurrence : Netflix. A sa création en 1997, Netflix n’est pas une plateforme de streaming, c’est un site internet qui vous permet de choisir vos films à louer depuis votre canapé, et de les recevoir par la Poste quelques jours plus tard avant de les renvoyer par le même biais une fois que vous les aviez vus. Et chez Netflix, pas de late fees : vous renvoyez le DVD quand vous avez vu le film. Pour résumer : vous choisissez vos films de chez vous, vous les recevez chez vous, et vous avez tout le temps du monde pour les regarder tranquillement avant de les renvoyer, de chez vous.
Avec l’avènement d’internet et le confort offert par des acteurs tels que Netflix, Blockbuster a été lent à s’adapter. Trop lent. Pendant ce temps, Netflix lance sa plateforme de streaming et devient le roi du pétrole (enfin, de la vidéo à la demande).
En ce début d’année 2023, Netflix a nettement moins la côte qu’il y a quelques années. Les annulations fréquentes de séries, l’augmentation des tarifs sans augmentation visible du service rendu font grincer des dents. Plus récemment, la plateforme a lancé une nouvelle politique tarifaire dans plusieurs pays, qui a priori a vocation à être étendue au reste du marché : l’interdiction de partager son compte avec des personnes qui ne vivent pas sous le même toit que vous. Je suis de ces futurs criminels du partage de compte, puisque le compte Netflix familial se divise entre moi (à Lyon), mes parents (en région lilloise) et mon frère (dans le Pas-de-Calais). Avec cette nouvelle politique, un surcoût (de 3 à 6 euros par profil) s’appliquerait, et l’abonnement Netflix des Bunnens s’élèverait donc à plus ou moins 20 euros par mois.
20 euros donc, pour regarder des séries (75% des visionnages concernent les séries) dont une partie non-négligeable a une chance significative de ne jamais connaître une fin digne de ce nom (plutôt qu'un arrêt brutal en plein milieu, comme Legends of Tomorrow, Another Life, First Kill, 1899, Sense8, Warrior Nun, la liste est longue).
Recommandé par LinkedIn
A côté, les concurrents ne manquent pas. Si l’on considère les deux principaux, Prime Video coûte 70€ par an (soit moins de 6€ par mois), Disney+ 9€ par mois, pour un catalogue qui n'a pas à rougir et une bien meilleure réputation en ce qui concerne les arrêts brutaux de programmes.
Netflix est-il en train de perdre pied ?
Netflix s’est créé sur le modèle de la longue traîne. Contrairement à la télévision, un modèle de longue traine ne cherche pas à diffuser un programme unique plaisant au plus de monde possible - il propose une multitude de contenus divers afin que chacun puisse trouver son contenu, y compris de niche.
Mais avec le temps, Netflix a évolué vers un business model de producteur/exploitant de contenus, en produisant de plus en plus de séries originales : House of Cards, Stranger Things, Le Jeu de la Dame, etc. Ce modèle est a priori en opposition avec le modèle de longue traine : lorsqu’on investit de l’argent dans contenu, il faut rentabiliser cet investissement avec des audiences et des abonnements. Il semble qu’aujourd’hui Netflix ne cherche plus à ce que chacun trouve son contenu : si les audiences ne sont pas au rendez-vous, la série est annulée sans plus de cérémonie. Croyez-moi, j’ai encore le gâchis de Sense8 en travers de la gorge. Regardez Sense8 quand même, ça vaut la peine.
Au final, plus le temps avance, plus Netflix est en train de devenir tout ce qu'il a participé à ringardiser. Comble de l’ironie, la plateforme a même sorti un abonnement "petit prix" si le consommateur consent à visionner de la publicité pendant ses programmes…Quelque part en cours de route, le géant a oublié que son impact principal, c’est de simplifier la vie des amateurs de contenus audiovisuels, de leur permettre l'expérience d'immersion sans effort. L’innovateur d’hier est devenu un dinosaure dépassé par les attentes de son environnement.
Et si pour l’instant ses concurrents semblent en meilleure posture, peut-être n’est-ce qu’une question de temps. Au final, le modèle de streaming tel que nous le connaissons est-il voué à l’échec à long terme? Quel serait le business design optimal de la vidéo à la demande en 2023? Comment pourrions-nous faire retrouver à Netflix sa place de roi?
Je suis très preneuse de vos avis et idées en commentaires, j’ai les miennes évidemment. En attendant, si quelqu'un a l'url actuelle de The Pirate Bay...
Ces réflexions sur le business design sont de celles que nous menons tous les jours chez Dynergie. Si vous êtes intéressé-e pour que l’on discute du vôtre, contactez-moi !
J'aligne vision et exécution ! CDO | COO | COS | Alignement stratégique & transformation digitale | Accompagnement au changement | Expérience client & expérience collaborateur | Mentor
1 ansIntéressant ! Merci Léa.
Piloter l’innovation dans l’industrie 4.0 | Accélérer l’innovation par la connectivité, le jumeau numérique et l’IA | Combiner le monde réel et le digital
1 ansMerci pour cet article intéressant qui met en lumière le mécanisme de la longue traîne, ô combien important dans le digital. Je me permets de vous partager un phénomène typique pour un disrupteur qui je pense est aussi à l’œuvre dans ce que vit Netflix : la discontinuité de marché. Une discontinuité de marché apparaît lorsque le modèle économique d’un acteur qui lui permet de se positionner favorablement sur un segment de marché ne lui permet pas d’accéder au segment supérieur. Pour y parvenir, il doit adopter le même business model que les acteurs en place. Et là, ça se complique car il perd les avantages de son business model. Netflix a évolué vers un business model de producteur de contenus pour justement éclater ce plafond de verre et continuer de croître sur la majorité précoce / tardive du marché. Ce mouvement est rendu d’autant plus compliqué que le modèle de Netflix s’est toujours appuyé sur des sources de financement facilement accessible à l’époque pour financer la production de contenus, ce qui est de moins en moins le cas. Autre grande faiblesse du Business Model de Netflix : l'absence de boucle rétroactive positive dans son modèle (flywheel effect) qui rend la lutte encore plus difficile contre Amazon Prime.
accélère, déploie et finance l'innovation - experte médias - Coach de Start-up sur la vente - j'encourage la parité, l'équité et la parentalité dans mes équipes - Bénévole chez SISTA
1 ansUn grand merci pour cet article Léa Bunnens, PhD qui démontre le cycle de l'innovation et le processus de "destruction créatrice" dans les medias traditionnels. Etonnament, Netflix au delà d'essayer d'adapter son modèle économique pour le rendre viable, revient même aux fondamentaux de ce qu'il a déconstruit : La publicité! Et même si le lancement de l'offre pub a été un succès du point de vue des inventaires vendus, on ne sait pas si les performances sont au rendez vous et si les annonceurs s'y retrouveront dans la durée. Au delà de Netflix, les autres plateformes vont chercher les codes de la télé pour sortir du lot : i) La linéraisation des contenus ( 1 épisode par semaine) ii) les émissions de divertissements ( la téléralité, l'immobilier) et iii) ils entrent également dans la course du graal les droits sportifs et pour du contenu en Live , sacro sainte promesse d'audiences records (Amazon avec la ligue 1, Netflix avec des standup de Chris Rock, Apple avec la Premier League). On reprend les les codes de la télé traditionnelle qui s'est alignée en parallèle avec des offres de replay de + en + complètes.
Directeur Innovation @Dynergie : Financement / Conseil / Renfo. RH / Veille Strat.
1 ansSuper passage : "Netflix s’est créé sur le modèle de la longue traîne. Contrairement à la télévision, un modèle de longue traine ne cherche pas à diffuser un programme unique plaisant au plus de monde possible - il propose une multitude de contenus divers afin que chacun puisse trouver son contenu, y compris de niche. Mais avec le temps, Netflix a évolué vers un business model de producteur/exploitant de contenus, en produisant de plus en plus de séries originales : House of Cards, Stranger Things, Le Jeu de la Dame, etc. Ce modèle est a priori en opposition avec le modèle de longue traine : lorsqu’on investit de l’argent dans contenu, il faut rentabiliser cet investissement avec des audiences et des abonnements. Il semble qu’aujourd’hui Netflix ne cherche plus à ce que chacun trouve son contenu : si les audiences ne sont pas au rendez-vous, la série est annulée sans plus de cérémonie" Merci pour cette analyse hyper quali as usual ! Perso, mon meilleur investissement video c'est mon Youtube Premium.
Accélérez votre activité par l'IA ! | Conférencier 🎤 | Auteur IMPACT MODEL 📖 & VIRAL MODEL 🧬 | Techno-optimiste du climat 🌏
1 ansTout comme Google a raté ChatGPT, un comble! Le dilemme de l'innovateur frappe à nouveau!