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La sélection de l'actu juridique du mois


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[A la une] Pour une écologisation de l’état de nécessité et de la légitime défense




par Julien Lagoutte, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux | 33 minutes de lecture

[Résumé] Poursuivis pour des infractions écologistes, les militants adoptent souvent une stratégie consistant à invoquer l’état de nécessité mais qui, en l’état du droit positif, est vouée à l’échec. Une réforme s’impose donc en faveur d’une écologisation de l’état de nécessité mais aussi de la légitime défense, et ce, aux fins d’une mise en cohérence du droit pénal avec les enjeux de notre temps, d’une part, et pour sécuriser l’action militante des écologistes, d’autre part, compte tenu de l’anathème outrancière dont ils font l’objet aujourd’hui.

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[A la une] Le jury, « Dieu merci » ! Cinq propositions de QPC pour lutter contre les cours criminelles départementales


par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris 8 | 9 minutes de lecture

[Résumé] En essayant de faire juger que la complicité de tentative d’escroquerie au jugement par production d’un faux en écriture peut être commise de manière non intentionnelle, par imprudence ou inattention, quelques magistrats ont fait preuve d’une stupéfiante audace dont la raison demeurera un mystère, étant précisé par ailleurs que les mis en cause ont la qualité d’avocat.

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[A la une] Prévisibilité et gravité : de la distinction des critères à la combinaison des critères


par Julien Gasbaoui, Avocat au barreau de Paris | 16 minutes de lecture

La Cour de cassation confirme l’exercice d’un véritable contrôle sur la motivation d’une condamnation intervenant après sanction fiscale. Le cumul est donc possible, mais il doit répondre à un critère de gravité dont la définition se précise. Pareillement, et même si sur ce point la Cour de cassation n’exerce pas sa censure, ce cumul conditionné doit être raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise.

La question du cumul des sanctions constitue un enjeu majeur du droit pénal des affaires.

Si ce cumul est devenu impossible en matière boursière, possible en matière commerciale, la solution en matière fiscale est plus nuancée.

L’état actuel du droit résulte de la combinaison de la jurisprudence de la CJUE, du Conseil constitutionnel et de la Chambre criminelle, qui exigent une sanction proportionnée et prévisible, et des faits présentant une forme certaine de gravité.

L’arrêt sous commentaire rappelle ces principes.

En l’espèce, un expert-comptable était poursuivi pour avoir souscrit des déclarations mensuelles de taxe sur le chiffre d’affaires (TVA) et de revenus minorés (IR).

Les droits éludés s’élevaient à 82 597 euros au titre de la TVA et à 108 883 euros au titre de l’IR.

Condamné à douze mois d’emprisonnement ainsi qu’à la publication de la décision, le prévenu faisait valoir qu’ayant déjà subi une procédure de redressement fiscal et des pénalités à hauteur de 40 %, il ne pouvait être condamné à nouveau pour les mêmes faits.

L’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne était visé. Il faisait ainsi valoir que « la sévérité globale du système répressif s’agissant des faits qui lui sont reprochés dépasse ce qui est strictement nécessaire ».

La cour d’appel décidait d’aggraver la sanction et d’écarter la règle ne bis in idem en reprenant la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon qui :

« les dispositions des articles 1741 à 1743 du Code général des impôts prévoient la possibilité d’un cumul des sanctions pénales et des sanctions pénales aux termes d’une procédure pénale et d’une procédure administrative qui sont indépendantes l’une de l’autre, ayant des objets et des finalités différents » ;

[…]

« cette règle est conforme à l’article 50 de la Charte dès lors que le Conseil, dans deux décisions du 24 juin 2016, en a précisé la portée en prévoyant : qu’elle ne s’applique qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse des sommes soumises à l’impôt, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie et des circonstances de leur intervention ; et que le montant global des sanctions éventuelles prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues, en application du principe de proportionnalité ».

Le pourvoi faisait valoir que :

  • d’une part, les dispositions de l’article 1741 comme interprétées par le Conseil constitutionnel ne sont ni claires ni précises ;
  • d’autre part, les juges auraient dû s’assurer que la charge résultant de l’ensemble des sanctions prononcées à l’encontre du prévenu n’était pas excessive au regard de la gravité de l’infraction concernée.

C’est sur le fondement de ce dernier critère que la Cour de cassation a censuré les juges du fond.

Le critère de la prévisibilité (I.) est clair dans son interprétation ; celui de la gravité l’est moins (II.). La combinaison de l’ensemble devient nébuleuse (III.).

I. L’article 1741 du CGI à l’épreuve des principes de clarté et de précision

Selon la Chambre criminelle, « l’arrêt n’encourt pas la censure de ce chef. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que ce cumul était raisonnablement prévisible pour l’intéressé, dès lors qu’à la date des faits poursuivis, antérieure aux décisions du Conseil constitutionnel précitées (paragraphe 12), les dispositions des articles 1729 et 1741 du Code général des impôts permettaient le cumul de telles sanctions, quels que soient les faits en cause, la dissimulation excédant le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros ».

Sur ce point, l’arrêt n’étonne guère, puisque si les dispositions pénales doivent être claires et précises, il est bien évident que la jurisprudence occupe en cette matière une place déterminante et que le texte, à lui seul, est insuffisant.

Cependant, la CJUE considère que « la circonstance que la jurisprudence nationale se réfère, dans le cadre de son interprétation des dispositions législatives pertinentes, à des notions générales devant graduellement être clarifiées ne fait pas, en principe, obstacle à ce que la réglementation nationale puisse être considérée comme prévoyant des règles claires et précises permettant au justiciable de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale ». 

Ainsi, « il ressort de la jurisprudence relative au principe de légalité des délits et de peines que ce principe ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre ».

La solution présente évidemment une limite. La jurisprudence s’écrivant au gré des décisions, elle s’oppose par nature au texte, figé et écrit en amont. Pour tenter de maintenir la nécessité de prévoir, a donc été érigée une limite, ou plutôt un garde-fou : l’interprétation retenue par les juges doit être… prévisible ! « [L]e résultat [d]oit [être] raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause ».

Cette solution est reprise par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui n’hésite pas, en cas de revirement clair, à différer les effets de sa jurisprudence.

Ainsi, le 25 novembre 2020, les magistrats ont mis un terme à l’impossibilité d’imputer toute faute pénale à une société absorbante pour des agissements imputables à la société absorbée. Les effets dans le temps de cette solution, qui constituait alors un important revirement, étaient toutefois organisés par la Cour elle-même, qui a pris soin de préciser que seules les opérations réalisées après cette date, subiront le nouveau régime :

« Cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne s’appliquera qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au 25 novembre 2020, date de prononcé de l’arrêt, afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme » et ainsi en conformité avec la jurisprudence européenne selon laquelle l’application rétroactive d’un revirement imprévisible de jurisprudence in defavorem méconnaît le principe de légalité criminelle, y compris dans les pays de droit écrit ». 

La solution est satisfaisante dans son principe, mais encore faudrait-il savoir à quel moment revirement de jurisprudence il y a et qui en est juge.

Ainsi la Chambre criminelle a-t-elle consacré pour la première fois, en 2021, l’abus de confiance par détournement du temps de travail. Si le principe dégagé est discutable, son caractère innovant, et donc difficilement prévisible au regard du libellé du texte relatif à l’abus de confiance ne fait aucun doute. Il a pourtant été décidé que la solution pouvait s’appliquer à des cas antérieurs à 2021.

En l’espèce, et de façon très concrète, la complexité des sanctions fiscales et administratives laisse peu de place à une compréhension claire par le justiciable de sa situation et des risques encourus.

À cet égard, la CJUE a choisi une interprétation défavorable aux droits de la défense, en soulignant qu’il importe peu que le prévenu doive « recourir à l’assistance d’un conseil juridique pour évaluer les conséquences pouvant résulter des faits qui lui ont été reprochés au regard des conditions d’application du cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale prévues [aux] articles [1729 et 1741 du CGI], tels qu’interprétés par les juridictions nationales »

Pour intéressante qu’elle soit, la solution bute sur la combinaison avec le deuxième critère, à savoir celui de la gravité.

II. Le critère de gravité

Sur le terrain de la gravité, la solution dégagée ne surprend pas. Elle suit un courant établi et clair dans son principe. On sait, en effet, que le Conseil constitutionnel a, par deux décisions, érigé en principe la possibilité de cumuler les pénalités administratives à caractère répressif et les sanctions pénales, c’est-à-dire le cumul des articles 1729 puis 1728 du Code général des impôts d’une part, et 1741 du Code général des impôts d’autre part.

Toutefois, et la Cour de cassation suit cette logique, trois conditions ont été posées.

Lorsqu’un prévenu a déjà été sanctionné fiscalement, la qualification pénale de l’article 1741 du Code général des impôts ne peut s’appliquer qu’aux « cas les plus graves » de fraude. Ainsi les juges estiment-ils que « le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l’engagement de procédures conduisant à l’application de plusieurs sanctions afin d’assurer une répression effective des infractions. Ce principe impose néanmoins que les dispositions de l’article 1741 ne s’appliquent qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ».

La gravité dont il est question s’apprécie donc à l’aune de trois critères :

  • le « montant des droits éludés » ;
  • la « nature des agissements de la personne poursuivie » ;
  • ou « des circonstances de leur intervention ».

Selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation :

« Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l’article 1741 du Code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. À défaut d’une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation ». 

D’aucuns ont trop facilement relevé que le critère de la gravité est déjà pris en considération par la commission des infractions fiscales et le procureur de la République au stade des poursuites.

La Chambre criminelle a pris soin d’écarter une telle assimilation :

« Si la gravité des faits est prise en considération par l’administration fiscale lorsqu’elle dépose plainte après avis conforme de la commission des infractions fiscales puis par le ministère public lorsqu’il décide d’engager des poursuites, il incombe à la juridiction de jugement, devant laquelle un débat contradictoire peut s’engager, de s’assurer de cette gravité ».

Le défaut de gravité doit conduire à la relaxe et le défaut de motivation sur ce point conduit la Cour de cassation à censurer les juges du fond :

« Sans rechercher, préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors que le prévenu faisait valoir qu’il avait fait l’objet d’une pénalité fiscale sur le fondement de l’article 1729 du Code général des impôts, la cour d’appel a méconnu la portée de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel. » 

C’est par une formule proche que l’arrêt sous commentaire tranche, en reprenant ainsi les trois critères de la gravité.

Mais est-il à cet égard éclairant ?

Le Conseil avait relevé que répondent notamment au critère de gravité « les omissions portant sur des sommes très importantes » ou « des manquements répétés dans le temps ou relatifs à de nombreux impôts ».

Ce faisceau d’indices proposé par le Conseil constitutionnel doit donc conduire les juridictions à distinguer celui qui fait le choix d’ériger la fraude fiscale en système, de celui qui n’a été que passif, même si incontestablement coupable.

La Chambre criminelle ne dit pas davantage en l’espèce, et si la solution est satisfaisante, elle reste frustrante : comme par le passé, c’est une absence de motivation qui est censurée.

Les trois critères sont repris, mais ils ne sont pas explicités, de sorte que la jurisprudence reste à notre avis… imprévisible !

III. La combinaison des critères : retour sur la prévisibilité

La cause est entendue : la jurisprudence palliant le silence des textes, le contribuable sait qu’il pourra faire l’objet d’une sanction pénale après avoir subi une sanction fiscale.

Toutefois, cette double sanction n’a aucun caractère systématique. Au contraire, si l’on s’en tient à la formulation du Conseil constitutionnel comme celle de l’arrêt sous commentaire, elle ne s’applique « qu’aux cas les plus graves ». Une telle formule, qui renvoie à une comparaison entre cas, et non à un standard, devrait même permettre d’affirmer qu’il s’agit de cas exceptionnels, imposant une identification claire puis une motivation spéciale.

Or en l’état de la jurisprudence, notamment de celle des juges du fond, cette solution ne semble pas être ainsi comprise.

La fraude fiscale est le fait du petit commerçant comme de groupes importants ; elle tient tout aussi bien dans une simple abstention que dans un montage juridique complexe ; elle vise la structure dont l’activité est intégralement frauduleuse comme celle qui ne l’est que très marginalement.

Cette solution très générale se poursuit. Là où, à l’évidence, les termes « les cas les plus graves » auraient dû mettre à terme à des poursuites pénales à la suite d’une abstention déclarative sans aucun montage, au moins lorsque les montants de droits éludés ne sont pas importants, de telles poursuites continuent.

C’est le sens de la formule « les conditions de réalisation de l’infraction », comme celle de « la nature des agissements ». Pourtant, existe-t-il, sur ces questions, une interprétation cohérente ? Le critère chiffré, qui devrait être le plus objectif, ne l’est pas lui-même. Certaines fraudes se comptent en milliards ou en dizaines de millions. La jurisprudence comme les affaires médiatiques en cours en témoignent.

Comment, dans ces conditions, poursuivre des dirigeants de PME, à l’évidence en difficulté financière et personnelle, pour des montants de 100 000 ou 200 000 euros de droits éludés, alors que le recouvrement desdits droits, majorés, est déjà acquis ?

Une telle assertion est discutable, sans doute. Elle divise, sur un plan juridique, mâtiné parfois d’un certain regard politique.

C’est pourquoi il faut sans doute revenir au droit, et à travers le critère de la gravité, laisser ressurgir celui de la prévisibilité, en reprenant la formule de l’arrêt sous commentaire :

« Il résulte des considérations qui précèdent, en premier lieu, que, lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, d’une part, s’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier qu’il était raisonnablement prévisible, au moment où l’infraction a été commise, que celle-ci était susceptible de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale, le cas échéant en tenant compte de la profession du prévenu et des conseils juridiques auxquels il pouvait recourir ».

Au regard de la jurisprudence connue, et des trois arrêts de censure, existe-t-il un professionnel capable de se positionner clairement sur le sujet ? Non pas au regard de ce qui devrait être, mais au regard de ce qui est ?

La réponse nous semble négative, ce qui devrait appeler une sanction également sur le terrain de la prévisibilité et non pas seulement sur le terrain de la gravité.

Reste donc la nécessité pour les juges du fond de se saisir de cette question en en précisant le sens et à la Cour de cassation d’en tracer réellement les contours.

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