Non aux gabelous et abbés commendataires de la copie privée !
Alors que la redevance pour copie privée a perdu toute pertinence à l'heure du streaming, et que le monde de la culture a reçu des milliards d’argent public en 2020, il faut refuser cette prétention indécente d’étendre cette redevance aux produits reconditionnés pour capter quelques millions de plus.
Le 10 juin, l’Assemblée Nationale devra décider d’appliquer ou non aux produits reconditionnés la redevance sur la copie privée. En effet, depuis bientôt 40 ans, les acheteurs de cassettes, CD-Roms, carte mémoires et autres téléphones ou ordinateurs paient une contribution en échange du droit de pouvoir y copier légalement des films ou des musiques. Cette taxe ne s’appliquant qu’à la fabrication ou à l’importation de ces produits (pas à la vente), le reconditionnement en était par définition exclu.
Scandale, hurlent les artistes et les producteurs, qui bénéficient de cette taxe via leurs sociétés d’ayant droits. On pourrait penser qu’il faut absolument favoriser le reconditionnement des produits électroniques très polluants, et qu’un produit reconditionné a déjà été taxé. Mais l’occasion était trop belle pour ne pas essayer d’en profiter une deuxième fois. 1661 artistes ont donc signé une tribune émouvante dans le JDD, appelant à « ne pas opposer culture et écologie ». Bref, pas touche au grisbi !
On peut légitimement être surpris du raisonnement : « ne pas opposer culture et écologie » aboutirait à faire primer sans nuance les redevances des producteurs sur le recyclage et le pouvoir d’achat des Français modestes – ce ne sont pas les riches qui achètent des produits reconditionnés. Au moins ces « grandes personnalités » ne nous ont pas expliqué qu’il fallait remédier à une concurrence déloyale qui appauvrirait les mineurs de terres rares des pays pauvres. Ils n’ont pas osé le tiers-mondisme.
Un modèle économique à bout de souffle
Vouloir étendre cette redevance est d’autant plus choquant que sa pertinence initiale est de plus en plus douteuse. Elle est censée être la contrepartie d’un droit à la copie privée, mais qui l’utilise encore ? Ecouter de la musique sur Spotify ou YouTube, ou regarder un film sur Netflix, ce n’est pas de la copie privée. Et pourtant les commissions en charge de la copie privée (dominées par les ayants droits) continuent d’imposer des barèmes sans rapport avec l’usage réel, sur la base d’études contestables.
Certes les artistes ont l’impression de voir leurs œuvres pillées par les géants du numérique ; mais ce n’est pas une raison pour se rattraper sur la copie privée, voire pour taxer les connexions internet. En fait, cette pétition des artistes ressemble furieusement à la « Pétition des fabricants de chandelles » écrite par Frédéric Bastiat en 1845 : il les imaginait se plaignant aux députés de la concurrence déloyale de leur ennemi, le soleil. Ces fabricants demandaient donc de supprimer (ou de taxer) les fenêtres.
Ce que la technologie permet un jour, elle peut le supprimer ensuite. Mozart n’a jamais touché de royalties sur sa musique. L’âge d’or des artistes fut lorsque les platines, cassettes et CD-Roms furent des objets de grande consommation sans pour autant être copiés. Ce qui permit, temporairement, de rendre monnayable un bien intellectuel donc non-rival. Mais une fois que la technologie change et permet des copies faciles – voire d’écouter ou de visionner sans jamais copier – le modèle est dépassé.
Cela ne sert à rien de combattre des moulins à vent. Les éditeurs de dictionnaires ou de livres de cuisine ont beaucoup perdu avec internet, mais nul n’envisagerait de leur attribuer une redevance sur les abonnements internet. Que les artistes et musiciens ne pleurent pas trop : ils continuent de recevoir bien plus en parataxes (CNC, copie privée) et en subventions publiques (notamment le régime des intermittents du spectacle, et son déficit) que tout l’argent virtuel dont ils s’estiment spoliés.
Ne pleurons pas non plus sur le sort des petits artistes. L'essentiel de cette redevance va aux gros artistes et aux gros producteurs, un quart seulement servant à subventionner la culture vivante (voire à financer des procès). Sous l'Ancien Régime aussi, la dîme était censée financer les petits curés, les écoles et les hospices ; mais souvent les deux tiers revenaient aux évêques et aux abbés commendataires, qui touchaient leurs revenus à la Cour sans s'occuper de leur diocèse ou abbaye.
Une cupidité digne des Fermiers Généraux
L’attitude des artistes et producteurs rappelle celle des Fermiers Généraux d’Ancien Régime. L’Etat avait privatisé la collecte de la gabelle (un impôt sur le sel) et d’autres impôts indirects. Les Fermiers Généraux, des grands financiers à la Cour, avançaient au Roi les recettes de l’année, charge à eux de se rembourser sur la population. Avec de substantiels profits, qui compensaient largement le coût de son administration, et des perquisitions par les gabelous, une police parallèle extrêmement brutale.
Les Fermiers Généraux et leurs gabelous ne reculaient devant aucune violence et aucune mesquinerie pour lutter contre la fraude et la contrebande. En 1784, ils firent même construire un mur autour de Paris dans le seul but de pouvoir mieux contrôler et taxer les marchandises qui y entraient. La populace parisienne s’en vengea quelque peu sous la Terreur : de nombreux Fermiers – et parmi eux le chimiste Lavoisier qui en avait eu l’idée – finirent sur l’échafaud.
En 1962, Philippe de Broca signait le film Cartouche avec Jean-Paul Belmondo et Claudia Cardinale, à la gloire du bandit éponyme, ennemi de la police et des gabelous sous la Régence. Peut-être que le monde de la culture et du spectacle nous prépare un grand biopic à la gloire du shérif de Nottingham ?