Non, monsieur le Président, les destins de la France et de l'Afrique ne sont pas "indissociables"​
Un manifestant tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Nous voulons la Russie », à Ouagadougou le 19 février 2022. © Olympia de Maismont/AFP

Non, monsieur le Président, les destins de la France et de l'Afrique ne sont pas "indissociables"

Le 28 juillet 1885, Jules Ferry défendait devant les députés les bienfaits du colonialisme : « [la France] doit porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie ». Quelques années plus tard étaient créées l’Afrique occidentale française et l’Afrique équatoriale française, fédérations regroupant une douzaine de colonies qui ont acquis leur indépendance à l’aube de la V° République.

La République française est présente sur le continent africain depuis le XIX° siècle, où elle s’est imposée en colonisant de multiples peuples et ethnies. Des liens avérés ont été conservés à l’issue de l’indépendance des États du Sahel et d’Afrique sub-saharienne, mais le maintien de ceux-ci induisant une communauté d’avenir mérite d’être interrogé.

Les conséquences de la colonisation par la France restent prégnantes en termes d’organisation des États du Sahel et de l’Afrique sub-saharienne mais la perte d’influence vécue ces dernières années, renforcée par une présence active de puissances émergentes qui accompagnent un mouvement global de dénigrement de l’action de la France, augure d’un futur où l’avenir de ces pays se jouera indépendamment de celui des anciens colonisateurs.

Après l’inventaire des éléments permettant de dresser un constat positif des conséquences de la politique africaine de la France de la III° République, les conséquences de l’ingérence de trois puissances extérieures au continent se flattant de toute absence de passé colonisateur seront présentées, permettant de constater en dernière partie que la vision des populations concernées est très éloignée de celle décrite par les Présidents français.

La politique coloniale menée par la France entre 1880 et 1960 a permis d’influer sur le développement et la structuration d’une grande partie de l’Afrique sahélienne et sub-saharienne, pouvant donner l’impression que les liens établis durant cette période garantiraient un futur commun.

Les motivations réelles de la colonisation prônée par les gouvernements de la III° République ne peuvent être ni ignorées ni oubliées.

Le 31 juillet 1885, se référant à l’argumentaire développé trois jours auparavant par Jules Ferry, Georges Clemenceau raillait la thèse de son adversaire politique qui arguait du devoir de civilisation qu’auraient les races supérieures sur les races inférieures, autorisant le gouvernement français à aller « guerroyer contre elles et les [convertir] de force aux bienfaits de la civilisation ». Un tel débat ne saurait se tenir aujourd’hui à l’Assemblée nationale mais il est important de se souvenir des argumentaires présentés à l’époque.

La colonisation de l'Afrique par les États européens, qui n’avait d'autre motivation que politique car les richesses minières du continent sont alors méconnues, ne durera que six à huit décennies mais a débouché sur la constitution d'une cinquantaine d'États calqués sur le modèle européen. Du fait d'une natalité insuffisante, la France n’a pas cherché à peupler ses colonies comme l’ont fait les Britanniques au Kenya et dans les Rhodésies, préférant multiplier les infrastructures et offrir à ses entreprises des avantages commerciaux.

Le legs du passé est avéré et sert de caution aux discours prophétisant un avenir commun pour la France et ses anciennes colonies.

L’organisation administrative et juridique des États qui constituaient l’Afrique occidentale et l’Afrique équatoriale françaises a été copiée sur les systèmes métropolitains, facilitant une compréhension réciproque et garantissant la fluidité des échanges. Mais c’est une langue commune qui unit ces nations, le français unissant des dizaines de millions de locuteurs francophones en Afrique, où il constitue la langue officielle d’une vingtaine de pays se refusant de choisir entre de multiples dialectes.

Se référant à ces acquis incontestables, les différents Présidents français ont toujours évoqué le maintien de ces liens pourtant forgés par la colonisation, que Nicolas Sarkozy dénonce certes à Dakar le 26 juillet 2007, tout en se félicitant qu’elle ait été à l’origine de « l'embryon d'une destinée commune ». Le 27 août 2019, Emmanuel Macron reprend les mêmes idées pour affirmer devant les ambassadeurs et ambassadrices que le destin de la France est « indissociable de celui de l’Afrique ».

L’absence d’une réelle volonté de définir une politique d’affirmation de la présence française a conduit à une diminution progressive de l’influence de la France.

En octobre 2013, la commission sénatoriale des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’inquiétait déjà de la perte d’influence de la France, accusée de ne pas « savoir ce qu'elle veut et ce qu'elle peut sur ce continent qu'elle connaît pourtant bien ». Le rapport décrivait alors une nation « tétanisée par des procès d'intention liés à son passé colonial », une situation que les propos d’un candidat à l’élection présidentielle qualifiant cette colonisation de « crime contre l’humanité » quatre ans plus tard n’ont pas améliorée.

Au contraire, alors que l’indépendance acquise par l'Afrique sahélienne et subsaharienne, au bout d'à peine un demi-siècle de présence française, devait permettre la mise en valeur des bases de l'urbanisation et d'une économie moderne (infrastructures, administrations, écoles, hôpitaux...) héritées du passé colonial, l’échec d’une immense majorité des États africains a montré l'extrême fragilité de ces réalisations, les populations préférant rendre responsable l’ancien colonisateur plutôt que ses élites corrompues.

Les acquis de la colonisation étaient réels mais ont rarement survécu au transfert de pouvoir lors des indépendances, ce dont ont profité des puissances dispensées de gérer ce passé colonial et moins sourcilleuses en matière de droits de l'homme, qui ont mis à profit leur regard critique vis-à-vis de la France et de ses valeurs pour augmenter leur influence.

Alors que la France peine à définir une véritable politique vis-à-vis de ses anciennes colonies, l’ingérence active de puissances extérieures au continent, souvent opportunistes, a exacerbé le ressentiment qui pouvait exister à l’encontre de celle-ci, détournant les populations d’une vision franco-africaine de l’avenir.

La présence russe, recueillant les fruits de la politique anti-occidentale soviétique, est bien accueillie par des États très mesurés dans leurs réactions à l’invasion de l’Ukraine.

La Russie a su capitaliser auprès des États africains l'héritage de l’Union soviétique, permettant à Vladimir Poutine de rappeler le 3 juin 2022 à Macky Sall, Président en exercice de l'Union africaine, que son pays « a toujours soutenu l'Afrique dans sa lutte contre le colonialisme », son interlocuteur répondant que « le continent africain ne l'oubliera jamais ». Attribuant aux sanctions antirusses la pénurie de blé et d’engrais, il a rappelé que, « malgré de fortes pressions, de nombreux pays n'ont toujours pas dénoncé la position de la Russie ».

C'est vrai, Monsieur le sénateur, la France est victime d'une scandaleuse campagne de désinformation en Afrique, dans laquelle certains se laissent entraîner, et qui produit des effets. Nous prenons ce phénomène extrêmement au sérieux. Nous allons y répondre, mais nous n'allons pas y répondre en recourant aux instruments de ceux qui cherchent à nous nuire. Nous allons tout simplement dire et répéter la vérité.
Catherine Colonna

Certains ont même ouvert leurs portes à la société militaire privée Wagner, implantée au Mali après la Centrafrique. Le Burkina-Faso est désormais la nouvelle cible des mercenaires prédateurs d’Evgueni Prigojine, attirés par le potentiel minier d’un pays où le ressentiment contre la France est attisé par la propagation d’un discours anti-français et prorusse relayé par des organisations telles que la Coalition des Patriotes Africains Burkina Faso financée par des fonds russes et qui lutte « contre le néocolonialisme et l'impérialisme ».

La Chine est devenue en quelques années un partenaire incontournable des États africains, dont la dépendance au régime de Pékin progresse au fil des prêts financiers.

Le 29 novembre 2021, le président Xi Jinping a ouvert la huitième conférence du Forum dédié à la coopération sino-africaine en annonçant « un avenir commun », basé sur « une fraternité indéfectible dans leur lutte contre l'impérialisme et le colonialisme ». Cette politique volontariste a débuté par la « diplomatie du bâtiment public », visible à Addis-Abeba où la Chine avait pris en charge les frais de construction du nouveau siège de l'Union africaine, « don de la Chine à l'Afrique », un imposant immeuble de 20 étages achevé en décembre 2011.

Les nouvelles routes de la soie ont permis aux entreprises chinoises de s’implanter prioritairement dans les pays d’Afrique orientale, répondant à une politique dictée par la sécurisation des approvisionnements en matières premières induisant la construction d'infrastructures dans la lignée de la France de la III° République. Ces routes conduisent aujourd’hui à la Guinée équatoriale, où la Chine a financé un port en eaux profondes et les autoroutes menant au Gabon et au-delà, à l’Afrique centrale et à ses richesses minières.

La Turquie est également très présente sur le continent africain, où elle exploite la communauté de religion pour étendre l’ancienne sphère d’influence ottomane.

La tournée diplomatique effectuée par Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, entre le 6 et le 11 janvier 2013, avait été consacrée à l'Afrique de l'Ouest, avec trois pays visités : le Gabon, le Niger et le Sénégal, tous trois francophones. La dimension religieuse avait été particulièrement mise en valeur, la Turquie se positionnant en tant qu'héritière de l'Empire Ottoman pour utiliser son prestige auprès des musulmans d'Afrique et dénoncer le passé colonial de la France et ses lois « discriminant » la communauté musulmane.

Le 18 décembre 2021, à l’issue du 3ème sommet du partenariat turco-africain, le même Recep Erdoğan proclamait que « les relations entre la Turquie et l'Afrique n'ont cessé de s'intensifier depuis 2005 ». Dans une volonté de cibler les pays de l’ancienne sphère d’influence française, les organes officiels turcs ont développé une version française de leurs sites internet, permettant ainsi à la population francophone d’être réceptive aux discours glorifiant les activités humanitaires de la Turquie et dénonçant le passé colonial français.

Le « néo-colonialisme » dont pourraient être accusés la Russie, la Chine ou la Turquie ne réussit pas à franchir la barrière du champ médiatique, et ce sont au contraire ces pays qui exploitent intelligemment les nouveaux espaces de la lutte informationnelle pour répandre en Afrique mais également sur le territoire français un discours appelant à rompre définitivement les liens centenaires réunissant la France et ses anciennes colonies.

Dans un monde de plus en plus violent et incertain, les États qui constituaient jadis l’Afrique occidentale et l’Afrique équatoriale françaises sont animés par une forte volonté d’indépendance qui se concrétise par un rejet marqué de l’ancienne puissance colonisatrice accusée de tous les maux.

Cibles idéales des opérations de lutte informationnelle, les populations des États de la bande sahélo-saharienne dénoncent à l’envie la présence française sur leur sol.

Une histoire commune et une langue partagée ne suffisent plus à écrire un destin commun. Il suffit de parcourir la presse malienne, pourtant francophone, pour s’en rendre compte, au fil des articles tel celui décrivant le 1er juillet 2022 « les virus de la division, de la manipulation et de l’instrumentalisation [inscrits] dans l’ADN de l’impérialisme colonial et néocolonial français, ennemi éternel de la construction d’un Mali indépendant et de son fondement : l’unité africaine ».

Alors que l’évidence des crimes commis au Mali par les membres d’Ansar Dine a été confirmée par les réquisitoires de la Cour Pénale internationale, et que ce n’est que grâce à l’opération Serval que la chute de Bamako a été évitée, c’est pourtant la France qui s’est retrouvée mise en accusation à la Haye, l’avocate d’Abdoulaziz Al-Hassan, jugé pour torture, viols et esclavage sexuel, affirmant que « l’Etat du Mali était une fiction créée par les colonisateurs français, qui a existé sur le papier mais jamais en réalité ».

La perte de l’influence française s’illustre également dans des pays éloignés des zones de tension, qui n’hésitent plus à s’affranchir d’un partenaire très critiqué.

La prorogation du mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali a été marquée par l’intervention de la représentante du Gabon, qui a émis des réserves sur le projet de résolution porté par la France, selon elle trop axé sur les droits de l’homme, « ce qui ne sert pas la cause des Maliens » et « viole la souveraineté du Mali ». La teneur de ces commentaires, largement inspirés de ceux exprimés par la Chine et la Russie, dénote une indépendance de ton inhabituelle dans cette enceinte.

La décision de ce pays et du Togo d’officialiser leur adhésion au Commonwealth à l’occasion du 26ème sommet des chefs d’État et de gouvernements est une illustration plus inquiétante de la volonté de ces pays de rechercher d’autres partenariats et de s’éloigner de la France. Au point de presse du 23 juin 2022, le porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires n’a pas souhaité commenter ces « décisions souveraines », qui reflèteraient selon un journaliste « une perte d’influence de la France auprès de ses alliés en Afrique ».

La France est riche de millions de citoyens issus de l’immigration en provenance des pays d’Afrique, mais les dernières générations peinent à y trouver une identité commune.

Possiblement inquiet du futur « indissociable » de la France et de l’Afrique, le Président français a commandé à Achille Mbembé en février 2021 un rapport sur les « nouvelles relations Afrique-France » dans une démarche « de respect, de symétrie et de réciprocité ». Ce rapport a conduit au lancement d’une consultation sur « la Maison des mondes africains », dont les contributions démontrent que la maison des générations qui n’ont connues ni la colonisation, ni la phase d’indépendance sera plus africaine que française.

La France souhaite renouveler en profondeur sa relation à l'Afrique, en s'adressant davantage à la jeunesse et à la société civile, dans le droit fil du discours prononcé par le Président de la République à Ouagadougou en 2017 et du sommet Afrique-France de Montpellier en 2021. Nous avons déjà lancé deux chantiers concrets : une maison des mondes africains, qui sera un lieu de référence pour la création contemporaine, et un fonds d'innovation pour la démocratie afin de soutenir la recherche sur le continent (Catherine Colonna le 19 juillet 2022).

Le Président français s’est lui-même revendiqué le 28 novembre 2017 à l’université d’Ouagadougou d’appartenir à cette génération « qui n'a jamais connu l'Afrique comme un continent colonisé ». La transformation démographique de la France et la présence croissante de Français issus de parents étrangers provenant des anciennes colonies est réelle, mais ceux-ci, soumis à l’influence des réseaux sociaux et habilement manipulés par des puissances hostiles à la France, ne reconnaissent que leurs origines africaines.

La confiance des Présidents français envers l’avenir a toujours été affirmée, le Président François Mitterrand affichait ainsi à Dakar le 8 novembre 1994 son optimisme sur un couple France-Afrique qui « n'est pas près de se dissoudre ». Malheureusement, le nouveau contexte géopolitique et la remise en cause de l’ensemble des acquis positifs de la période coloniale ne permettent pas de partager cette vision onirique d’un futur qui verra très probablement diverger définitivement ce destin « indissociable ».

Les principes fondamentaux de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest consacrent « la promotion et la consolidation d’un système démocratique de gouvernement dans chaque État membre ». Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ont connu tour à tour des coups d’État, les putschistes remplaçant parfois d’autres putschistes, et la transition tchadienne a été repoussée de deux années. L’avenir même du système démocratique imposé par la France dans ses anciennes colonies est en jeu, démontrant l’impuissance de celle-ci à imposer son modèle.

François-Régis CLOUP-MANDAVIALLE

Directeur local de la session régionale de l'IHEDN à La Réunion

2 ans

Je suis étonné que tu t'étonnes ... On ne sait jamais qui sera le correcteur et quelle latitude peut-on donner à ses opinions pour éviter qu'elles choquent et fassent louper le concours. Alors, dans le doute, abstiens-toi. L'enjeu est trop important à leurs yeux et on le comprend !

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Alain Christienne

Autres pages consultées

Explorer les sujets