NOTION DE RESIDENCE FISCALE AU REGARD DE LA CONVENTION FRANCO-CHINOISE DU 30 MAI 1984 : RETOUR À LA RAISON.
Le Conseil d’Etat vient de rendre un arrêt particulièrement important sur la définition de la résidence fiscale à l’étranger, et son opposabilité à l’Administration Fiscale.
Au cas particulier la question était de savoir si un contribuable, détaché en Chine par son employeur français pour reprendre la direction d’une usine et s’étant installé dans ce pays avec sa famille, était bien-fondé à revendiquer sa résidence fiscale en Chine alors qu’il n’était imposé sur place que sur ses seuls revenus de source locale suivant le système du régime des impatriés venant provisoirement s’établir en Chine.
De son côté l’Administration Fiscale lui refusait cette qualité au motif qu’il n’établissait pas être soumis à une obligation fiscale illimitée en Chine.
Ce faisant, l’Administration se prévalait d’un courant jurisprudentiel en la matière, défavorable au contribuable, tendant à dénier cette résidence lorsque ce dernier n’est pas en mesure de justifier d’être imposable sur ses revenus mondiaux dans ce pays.
Dans notre article du 20 janvier 2020, nous avions déjà souligné combien cette jurisprudence nous semblait curieuse et « dérivante » et nous appelions à un revirement de la position du Juge de l’Impôt sur ce sujet et a minima d’une clarification.
En premier lieu en effet cette nouvelle position, qui ne retrouvait pas dans toutes les décisions de la Haute Assemblée cependant, s’écartait selon nous d’une lecture orthodoxe des conventions internationales fiscales.
En second lieu, ces quelques décisions, très préoccupantes par conséquent, posaient réellement un sérieux problème aux contribuables, car dans les faits, aucune Administration Fiscale, du moins à notre connaissance, n’est en mesure, ou ne souhaite, établir une telle attestation, que l’Administration Fiscale française, ce faisant, a pris néanmoins l’habitude de réclamer dans les contentieux de cette nature.
Ce type de litige a concerné dans les dix dernières années la convention fiscale franco-britannique avec la particularité au Royaume Uni du régime de la « remittance basis », dans un contentieux où le contribuable a obtenu satisfaction, par la décision du Conseil d’Etat du 27 juillet 2012 reconnaissant que dans une telle situation le contribuable était bien fondé à se prévaloir de cette convention.
Le Juge a eu également à connaître sur ce sujet de la convention franco-algérienne, de la convention franco-espagnole, de la convention franco-allemande, de la convention franco-marocaine et plus récemment dans sa décision du 25 mai 2020, que nous avions commentée en juillet dernier, de la convention franco-russe.
Deux types d’interprétation et de lecture se sont opposés dans ce contentieux particulièrement nourri.
D’un côté le droit et de l’autre un pseudo bon sens revendiqué par l’Administration Fiscale, très souvent pour maintenir à tout prix une résidence fiscale en France, quand bien même l’intéressé et sa famille travaillent et vivent à l’étranger, comme c’était le cas en l’espèce, puisque de façon non contestable le contribuable avait bien dirigé pour le compte du groupe BIC à Shanghai son usine au cours des années 2013 et 2014 et dans ce cadre, sa famille l’avait suivi sur place.
En matière de droit fiscal international, le principe de l’imposition effective, combiné au principe de l’annualité de l’impôt, n’est pas un critère déterminant.
La qualification de la résidence suppose en réalité un lien personnel, analysé suivant des principes subjectifs, tout en suffisant pour la qualification de cette résidence que les revenus étrangers puissent être en théorie imposables dans ce pays de résidence.
A contrario, dans le cadre de ces grands principes de fiscalité internationale, le seul fait d’être assujetti à un impôt dans un État ne suffit pas à démontrer le lien personnel caractérisant la qualité de résident.
De son côté, l’Administration Fiscale met en avant un argument, apparemment de bon sens.
L’Administration considère en effet que lorsque le contribuable revendiquant une résidence à l’étranger n’est pas en mesure de démontrer qu’il a réellement supporté une imposition sur ses revenus de source mondiale, il ne peut y avoir par conséquent de double imposition, par rapport à la France.
Et dans ce cas, on ne peut appliquer les critères mécaniques d’une convention fiscale internationale, laquelle a précisément pour seul objet, d’éliminer les doubles impositions dans les situations particulières définies par chaque convention.
Cependant cet argument en apparence logique n’est pas recevable en droit.
Dans un tel conflit en effet, le contribuable n’a pas à établir pour justifier de sa résidence dans l’État qu’il revendique, une obligation fiscale illimitée dans cet État.
Seuls les critères susvisés subjectifs sont à prendre en compte et au cas d’espèce ils étaient parfaitement réunis.
Comme l’a effectivement considéré le rapporteur public Karine CIAVALDINI, la Cour d’Appel, en déduisant que le contribuable n’était pas résident de Chine du fait qu’il n’avait pas subi de double imposition, au cas d’espèce sur des dividendes, a commis une erreur de droit, car la question posée n’était pas celle de l’élimination d’une double imposition pour caractériser ou pas une résidence en Chine.
Au cas particulier, comme le soutenait à raison le contribuable, il était en réalité de par le fonctionnement même du système fiscal chinois soumis en droit à une obligation fiscale illimitée. Même si dans les faits le régime des impatriés alors en vigueur avait pour conséquence de limiter en Chine une partie de la taxation de ses revenus.
On notera d’ailleurs qu’en France il existe un système tout à fait identique réservé aux impatriés pendant les cinq premières années, lequel précisément limite en grande partie l’imposition de certains revenus de source étrangère, sans qu’il soit possible d’en tirer la conséquence, de ce seul fait, que leur résidence en France n’est pas une résidence fiscale au sens des dispositions conventionnelles habituelles.
Et donc comme le rappelait le rapporteur public Julien BOUCHER dans ses conclusions sur la décision du 24 janvier 2011, laquelle concernait la convention franco-allemande, ce qui importe pour déterminer en priorité la qualité de résident, ce n’est pas l’étendue de l’obligation fiscale, mais les raisons de l’assujettissement à l’impôt.
En d’autres termes, si dans un État la règle est la taxation limitée au seul revenu de source nationale, cela ne fait pas obstacle, a priori, à la reconnaissance de la qualité de résident dans cet État.
Dans cette hypothèse, « il faut alors rechercher, pour séparer les résidents des non-résidents, si la raison de leur imposition est l’existence d’un lien personnel avec l’État ou simplement la perception de revenus ayant leur source dans cet État indépendamment d’un tel lien. »
En conclusion, cette décision constitue un arrêt de principe qui très heureusement nous ramène aux règles de base en matière de fiscalité internationale, oubliées depuis quelques années.
Elle est d’ailleurs répertoriée à ce titre aux tables du recueil LEBON, remettant ainsi de l’ordre dans une matière complexe, que l’Administration Fiscale au cours de ces dernières années par ses prises de position erronées avait contribué à rendre totalement incompréhensible.
Carole BELOUIS et Bruno BELOUIS.
Founder Hermitage 1815 Family Office - Head of Wealth Planning - LLM Tax Geneva, Harvard - Spécialisé en Fiscalité Patrimoniale Suisse & Internationale
4 ansCommentaires très clairs. Merci !
Administrateur independant
4 ansFélicitations pour cette analyse limpide de la jurisprudence du CE Norbert