Nouailhac - French Tech, quel avenir en France ?

Nouailhac - French Tech, quel avenir en France ?

Les start-up technologiques peuvent-elles vraiment se développer en France, dont le "modèle" économique et social apparaît comme totalement inadapté ?

C'est la nouvelle folie du moment. La French Tech est à la une des journaux. 168 start-up françaises ont fait le voyage au Consumer Electronic Show de Las Vegas qui s'est terminé l'autre jour. Le ministre de l'Économie lui-même,Emmanuel Macron, est venu à Vegas supporter les petits génies français des nouvelles technologies : « Une véritable révolution culturelle est en cours dans notre pays », a déclaré le jeune ministre star dans un anglais parfait. Il est vrai que ce sont lui et son ministère qui ont financé une grande partie de l'opération, y compris les invitations aux nombreux journalistes et équipes télé qui ont fait le déplacement pour ensuite en faire la publicité.

Effectivement, il se passe quelque chose dans le bouillonnement actuel des start-up au niveau mondial et les Français, qui ont vraiment commencé plus tard que les Européens, et beaucoup plus tard que les Américains, s'efforcent de se mettre à niveau. Mais ça va être très compliqué. Nous dépassons à peine 500 millions d'euros par an d'investissements dans la high-tech quand les Britanniques annoncent 4 milliards, et les Américains 50 milliards de dollars. En vérité, nos moyens sont limités, car nous devons compter avec un modèle économique et social aussi figé qu'une statue.

Système momifié des 35 heures

Tant que rien de sérieux ne changera dans notre système momifié des 35 heures, que notre catéchisme restera le Code du travail et que nos syndicats sclérosés continueront à donner le tempo, il y a peu de chances que nous arrivions à faire émerger en France des entreprises de pointe, qui ont par nature besoin de nombreux salariés pour se développer. Ou alors, ce sera ailleurs qu'en France. Il faut savoir qu'en Grande-Bretagne, sur la période 2014-2015, un million de postes de travail ont été créés par des entreprises nées il y a moins d'un an, parmi lesquelles un très grand nombre de start-up et particulièrement de Fin Tech – c'est de la finance –, dont les British sont les numéros un mondiaux. Et même si cela arrivait chez nous, il faudrait passer ensuite sous les fourches caudines d'une administration sociale et fiscale égocentrique et spoliatrice.

Et pourtant, en matière de start-up, la France a eu sa chance, mais il y a déjà longtemps. Grâce à quoi, nous avons au moins deux leaders mondiaux dans deux niches de technologies de pointe, Dassault Systèmes et Eurofins Scientific, créées toutes les deux dans les années 1980. Dassault Systèmes a démarré comme une start-up, avec une vingtaine d'ingénieurs. C'est aujourd'hui un champion mondial dans l'édition de logiciels 3D. Une florissante entreprise de 15 000 salariés dans le monde avec un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros. Cette perle française, contrôlée par la famille Dassault, malgré un statut juridique de société de droit européen, a toujours son siège à Villacoublay, près de Paris, mais continue de fonctionner dans un esprit start-up.

Une entreprise d'une valeur de 5 milliards d'euros

Eurofins Scientific, beaucoup moins connue, est comparable avec 17 000 salariés dans 35 pays, et 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2015, mais avec un vécu totalement différent. Leader mondial de la bio-analyse, c'est une entreprise qui est née en 1988 dans un laboratoire nantais. Son fondateur, Gilles Martin, alors âgé de 25 ans, docteur en sciences, statistiques et mathématiques, diplômé de Centrale, développe avec une douzaine d'employés un savoir-faire mis au point par ses parents, chimistes à l'université de Nantes : la détection des sucres ajoutés dans les vins grâce à une méthode basée sur la résonance magnétique nucléaire, puis y ajoute l'authentification des aliments.

Dix ans plus tard, aidé de son frère Yves-Loïc, il se lance à la conquête du monde des bio-analyses agroalimentaires, et rachète à tour de bras des laboratoires spécialisés. Encore dix ans de plus et la société holding du groupe Eurofins Scientific, en 2007, dont le siège social est à Nantes, se transforme en société européenne. Contrôlant aujourd'hui un réseau international de près de 200 laboratoires, Gilles Martin vient de lancer, dans la foulée de sa croissance fulgurante, une augmentation de capital sur la base d'une valeur de son entreprise de 5 milliards d'euros. Sa nouvelle proie : racheter un concurrent britannique qui vaut un milliard !

Délocalisation personnelle et professionnelle

Comment cela est-il possible ? Comment un jeune et brillant matheux nantais sans fortune a-t-il pu se retrouver au même niveau que Dassault Systèmes, qui appartient à une famille richissime disposant d'ingénieurs top niveau et de fonds illimités ? Quand on sait qu'il est quasiment impossible en France d'arriver à une taille mondiale, tellement les pesanteurs sociologiques, économiques et fiscales y sont lourdes à porter et à supporter, il faut qu'il y ait eu une bonne raison qui soit venue s'ajouter au talent et à l'énergie des entrepreneurs.

Cette bonne raison, hélas pour la France, la voici : les frères Martin se sont délocalisés pendant l'hiver 2011-2012. Ils ont quitté l'Hexagone avec armes et bagages, familles et bureaux, pour s'installer en Belgique à titre personnel et au Luxembourg à titre professionnel, y installant leur nouveau siège social mondial. Leurs activités françaises sont restées à Nantes, où elles emploient 500 personnes dans un laboratoire de 12 000 mètres carrés, considéré comme le plus grand labo de bio-analyses au monde, mais il est clair que si le groupe Eurofins Scientific était resté à Nantes, il ne serait jamais devenu ce qu'il est aujourd'hui.

Réduction des coûts

Travailler depuis le Luxembourg donne aux dirigeants une plus grande liberté d'action quand ils sont actionnaires majoritaires, car toutes les procédures y sont simplifiées. De plus, ils y bénéficient d'une très forte réduction de coûts administratifs, juridiques et fiscaux. C'est encore plus vrai face à l'instabilité fiscale, cette maladie française chronique, avec des instructions de plusieurs centaines de pages chaque fois qu'une nouvelle mesure est mise en place par les technocrates de Bercy, ce qui arrive souvent et qu'il est très coûteux de maîtriser quand on est une ETI (entreprise de taille intermédiaire) en très forte croissance.

Gilles Martin qui est un acharné de l'international – près de 90 % de son chiffre d'affaires – considère qu'il a besoin de la plus grande souplesse possible s'il doit rester en Europe. Son entreprise, qui sera sans doute demain l'une des plus belles réussites du génie technologique français dans le monde, a quitté son pays d'origine parce qu'il était incapable de lui fournir le terreau nécessaire à son développement fulgurant. Xavier Fontanet, dans sa dernière chronique des Échos, nous cite les malheurs d'une des ruches parisiennes les plus fécondes : sur ses 50 premières start-up, 45 ont déjà quitté Paris pour Londres, et pas seulement pour y apprendre l'anglais ! La French Tech, c'est mieux que rien, mais ça risque d'être vraiment très compliqué…

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