Nous sommes plus que des victimes

Je ne vais pas y aller par quatre chemins: j'ai déjà vécu des violences du fait de mon sexe. Comme beaucoup, comme vous probablement, qui êtes en train de me lire. Je ne suis ni un modèle ni une donneuse de leçon, chacun tente de se relever à sa façon. Pour moi, ces violences ont commencé à l'âge de 16 ans, puis se sont déroulées pendant plusieurs années, au sein de relations sentimentales toxiques qui heureusement sont derrière moi. Elles ont fait partie de ma vie, ont contribué à faire de moi la personne que je suis, et me permettent de me rappeler au quotidien quelle type de personne je veux être pour les autres.

En premier lieu pour mon fils bien sûr. Pour qu'il soit outillé pour ne jamais reproduire ces violences. Pour qu'il voit en sa mère quelqu'un qui ne s'écrase pas parce qu'un homme lui dit de le faire. Pour qu'il grandisse entouré de femmes qui seront ses modèles, et je pense ici à mes amies proches, engagées, prêtes à sacrifier tant pour ce en quoi elles croient.

Mais aussi pour les personnes avec qui je travaille au quotidien au sein de SINGA. Monter une organisation internationale autour de la question de la migration aurait pu aller dans un sens dans lequel les valeurs féministes que je porte seraient passés après mon emploi de directrice. Cela n'en a rien été. Bien sûr, il y'a eu quelques résistances, au début, parler de zone "safe", non mixtes, au sein des équipes, cela a posé question au fil des années. Evoquer les inégalités salariales, ou de recrutement favorisé pour les femmes- et évidemment les personnes qui s'identifient à ce que la RSE nomme diversité- pouvait paraître étrange pour une jeune organisation. J'ai longtemps été la seule femme en poste stratégique de direction au sein de l'organisation, je suis encore en minorité, dans une moindre mesure. J'ai démarré l'aventure aux côtés de deux fondateurs à l'esprit extraordinaire, sans qui jamais je ne me serais présentée comme entrepreneurE ou envisagée directrice. Mais, justement. Même moi, je ne me serais jamais imaginé réclamer timidement une reconnaissance, prendre la parole en premier ou ne pas me laisser interrompre. Lorsque des ministres m'ont appelée "ma petite dame" ou "la jolie jeune fille", je leur ai toujours répondu froidement, justement parce que je m'étais battue contre mes propres biais sexistes. J'avais eu besoin de m'affirmer, de m'élever pour accéder à mon poste, à coup de culpabilité quotidienne et remise en question permanente, alors je n'allais laisser personne rajouter une couche à l'auto-critique que je m'infligeais tous les matins.

Je suis une victime, mais je suis aussi celle qui m'a sauvée. Les femmes victimes de violence ne sont pas uniquement des personnes passives attendant d'être secourues. Elle sont pleines de résilience, et elles ont les capacités de rebondir, de construire le monde de demain, et rien ne pourra m'empêcher de penser qu'avec tout ce que les femmes doivent supporter comme violence systémique, elles ne sont pas capables d'être nos meilleures leaders. A l'image de Trisha Shetty, d'Omezzine Khelifa, d'Eva Sadoun, Sarah Durieux, Maimonatou Mar, Seraina Soldner, Chloé Overlau, Priscillia Ludosky Léa Vasa ou encore Rima Hassan. Et tellement, tellement d'autres.

Alors pour cette journée si spéciale pour nous, nos mères, nos filles mais aussi pour tous les hommes qui sont parties-prenantes dans notre accomplissement, je n'ai qu'un message: nous sommes des victimes, mais nous sommes aussi des battantes. Ne laissez personne vous faire croire le contraire. Prenons soin de nous, de nous toutes.