Où sont les vrais amis du rail ?
Où vont les gens ? Quel est leur quotidien ? Ce train leur convient-il ? (photo F. de KEMMETER - Mediarail.be)

Où sont les vrais amis du rail ?

Ces derniers temps, on lit une quantité d’articles en tout genre sur la nécessaire revitalisation du rail. En réalité, domine le sentiment qu’on repasse les mêmes plats depuis 25-30 ans. A cause des politiciens qui ne veulent rien entendre ? Pas vraiment. Les « amis du rail » ne devraient-ils pas davantage évoluer dans les arguments en faveur du rail de demain ?

Jusqu’à présent, l’argumentation pour davantage de ferroviaire tient plus du slogan que de l’idée de fond. On agite opportunément le concept de développement durable sans réellement se poser la question de la faisabilité de telle ou telle solution. Certaines associations ou groupes d’intérêt prônent rapidement le « y a qu’à » et font parfois montre à la fois d’une méconnaissance de l’écosystème ferroviaire mais aussi de la sociologie des citoyens ou des réalités de l’industrie. C’est bien de secouer le bon peuple, encore faut-il être crédible.

Or, si on veut comprendre les vrais problèmes de la mobilité, il n’y a pas d’autres solutions que de l’étudier en transversalité, à travers plusieurs disciplines et non pas seulement sur la seule logique technologique d’un transport. Ainsi, le slogan « tous en transport public » fait l’impasse du nécessaire examen de la sociologie des citoyens : où habite-t-on ? Où se situe le lieu de travail ? Y-a-t-il trajet combinant la dépose d’enfant à l’école ? Travail à mi-temps ? Travail partiel ? Tous cela semble absent des argumentations des uns et des autres. Le slogan « tous à vélo » rate également son impact par ce même manque de transversalité. Chacun semble prêcher pour sa chapelle et ne parle que pour « son » groupe social et politique.

Une autre illusion fréquemment colportée est de croire qu’en plaçant des centaines de cheminots dans les gares, les trains seront davantage à l’heure. Qui peut croire cela, alors que le chemin de fer fonde toute sa politique HR sur la division administrative du travail, parfois poussée à l’extrême ? Beaucoup de petites gares voient passer des trains qui ne s’y arrêtent pas : les express et les marchandises. A quoi peuvent dès lors servir les cheminots sur place une journée entière ? Les agents n’ont en général pas l’autorisation d’exercer le travail d’un autre : un conducteur ne peut pas atteler les wagons. Il faut un agent de triage pour cette tâche somme toute banale. Des efforts sont réalisés pour éviter le gaspillage des ressources, mais ce n’est pas encore optimal. Le maître mot n’est donc pas la quantité d’agents mais surtout leur répartition optimale pour des tâches optimales. Certaines entreprises ferroviaires comme les OFP ont pu répondre à ce problème, en flexibilisant le travail et les tâches du personnel, sans aucune perte au niveau de la sécurité. Thalys utilise ainsi des conducteurs d’une entreprise privée régionale pour effectuer ses parcours en Allemagne, plutôt que de former coûteusement des conducteurs belges ou français. Ces agents privés allemands ne font pas que du Thalys : ils roulent aussi sur les trains régionaux. Un bon exemple de flexibilité qui permet aussi d’agrémenter le CV de ces agents.

« Les camions sur le train » est aussi un beau slogan qui fait joli dans les médias. Tout le monde croit que les camions sur Lyon-Paris vont…à Paris. Erreur ! Beaucoup dépassent la capitale et s’éparpillent ailleurs, autour de Paris, plus loin dans les Hauts de France ou carrément vers le Benelux. Cet éparpillement des destinations est le contraire du groupage, ce qui indique clairement pourquoi le rail a perdu des plumes : le train est TRES mauvais en porte à porte. Inutile d’invoquer les fermetures de lignes, on parle ici d’adresses rue par rue…qu’aucun chemin de fer au monde n’est capable d’atteindre. Ce sont donc les adresses qu’il faut regrouper autour d’une ligne ferroviaire, plutôt que de multiplier les lignes ferroviaires onéreuses.

Car il y a le coût du rail. A l’inverse de tous les autres modes de transport, la dette ferroviaire est logée au sein d’un seul exploitant. Pourquoi ? Parce que la loi, dans la plupart des pays, n’autorise qu’une seule entreprise en monopole. Donc, à elle de régler « sa » dette. La dette routière, elle, est diluée sur les millions d’automobilistes et camionneurs, de même que la dette aéroportuaire l’est sur des dizaines de compagnies aériennes, tout comme dans les ports maritimes sur des centaines de sociétés. En réalité, ces dettes sont supportées par le contribuable, qu’il utilise ou non l’infrastructure en question.

Il est illusoire de croire que l’Etat va reprendre la dette du rail tout en maintenant un monopole d’exploitation, par ailleurs lui-même très coûteux. Ce qu’a fait l’Allemagne en 1994 est clair et exemplaire : je te retire ta dette mais 1) tu auras d’autres exploitants sur tes voies et tu dois l’accepter (c’est la Loi), 2) tu n’embauches plus aucuns travailleurs en dehors du droit commun, 3) tu maîtrises tes coûts car on ne rembourse plus à l’aveugle et 4) tu es soumis à la surveillance d’une autorité extérieure. Des conditions au demeurant logiques mais qui heurtent encore les idéologies étatistes.

Quelle que soit la formule de gouvernance retenue, séparée ou intégrée, l’infrastructure ferroviaire reste un objet de haute technicité (signalisation, électrification, matériels électroniques industriels, imposition de critères de sécurité élevés), rendant la voie ferrée particulièrement coûteuse au kilomètre. Ces coûts onéreux peuvent être couverts à long terme par l’apport du rail en matière de réduction des impacts externes négatifs (accidents, santé, CO2,…). Ils peuvent aussi être partiellement couverts si plusieurs exploitants roulent sur ledit réseau, à travers le péage ferroviaire qui doit cependant rester raisonnable si on ne veut pas tuer l’écosystème complet. C’est aux autorités politiques de prendre en charge ces coûts, comme elles le font pour les autres infrastructures, quelles que soient le calendrier électoral. Voilà pourquoi il est nécessaire à ce qu’une seule entreprise ait en charge le réseau ferroviaire avec ses gares et ses annexes, tandis que les technologies actuelles permettent parfaitement à plusieurs exploitants de cohabiter en toute sécurité dans une gare voire sur une ligne, comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays d’Europe.

Une évolution est indispensable dans l’argumentation des uns et des autres. S’en tenir à quémander l’aumône publique sans modifier le coût du rail et ses méthodes de travail, n’est sûrement pas la solution d’une revitalisation du transport ferroviaire. Si la politique est très largement responsable de l’environnement institutionnel du chemin de fer et de son financement, de nouvelles formes d’entreprises ferroviaires ont déjà pu montrer qu’un futur est possible, que faire du rail moins cher, plus fiable et en toute sécurité n’est pas une lubie néolibérale mais bien un argument en faveur du vrai développement durable, à un prix raisonnable et non plus à coup de subventions aveugles.

Il y a lieu aussi de s’interroger sur les besoins réels des personnes : il faut amener le citoyen là où il veut aller, pas là où le rêvent une minorité de militants. Il faut combiner les modes transports, et non fustiger un mode plutôt qu’un autre. Pourquoi la technologie ferroviaire devrait-elle nécessairement entraîner une législation sociale distincte du monde du travail, ce qui amène encore des coûts supplémentaires ? Il faut aussi respecter le choix de vie des citoyens, plutôt que de jouer la ségrégation sociale entre « méchants pollueurs provinciaux » et « gentils urbains ». Il faut comprendre ce qu’est un processus industriel, plutôt que d’invoquer de vagues idées de camions sur train. Il faut comprendre ce qu’est la logistique, cette inconnue qui vous permet pourtant de trouver votre pain ou votre yaourt préféré en rayon à toute heure du jour. Il faut apprivoiser le monde en mutation plutôt que de le renier et encenser le monde d’hier et ses illusions perdues.

Ces interrogations forcément font peur, car elle provoque inévitablement une remise en cause des habitudes, des idées, des certitudes et du prêt-à-penser. On ne fera pas de développement durable par idéologies ou en fustigeant tels ou tels groupes sociaux. En démocratie, il faut accepter la diversité des lieux et des rythmes de vie de chacun. Alors mettons-nous à l’ouvrage, réfléchissons davantage et argumentons plus finement. C’est à cela qu’on reconnaîtra les vrais amis du rail…

 

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