Objectif "ménagement des territoires"​, pour un nouvel aménagement du territoire
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Objectif "ménagement des territoires", pour un nouvel aménagement du territoire

Dans un contexte de forte érosion de la biodiversité du fait des activités humaines, l'enjeu de sa préservation est plus que jamais au cœur des préoccupations de tous. L'aménagement du territoire, qui contribue au rééquilibrage permanent de la répartition des habitants et des activités, est particulièrement concerné par cet enjeu. Il doit donc se réinventer au risque sinon d’être inaudible et à rebours des attentes sociétales en matière de transition écologique. C’est l’objet-même de cet article. Loin d'être académique ou exhaustif, il esquisse des pistes et invite à réfléchir aux territoires que l'on veut. 

Biodiversité et aménagement du territoire : un mariage de raison

L’aménagement du territoire bouleverse très souvent la nature. Il a profondément modelé nos paysages qui avec le temps nous paraissent si "naturels", que l'on songe au marais poitevin, à la forêt des Landes ou encore au lac de Sainte-Croix sur le Verdon.

Les ouvrages, équipements et constructions diverses sont en effet en interface physique avec le terrain et les milieux, supports de biodiversité. Tracer une route, conforter une berge de rivière, réaliser des tranchées en zone rurale, terrasser une zone à construire, remblayer un terrain, draguer en mer ou encore construire en empiétant sur des écosystèmes naturels, toutes ces activités infligent des impacts à la biodiversité. Des impacts tels que la destruction, l’altération ou la fragmentation de milieux naturels et donc le dérangement voire l'atteinte aux espèces faunistiques et floristiques qui y vivent.

En dehors du renouvellement urbain opéré dans les villes, souvent ces ouvrages et aménagements sont réalisés au sein de territoires périphériques aux villes ou faiblement urbanisés, parfois ruraux, à caractère semi-naturel voire presque "naturel". Bien que leur définition cherche à les intégrer au mieux à l'environnement en évitant notamment les zones les plus sensibles – en premier lieu les zones écologiques protégées, leur réalisation s’accompagne souvent d’impacts sur la biodiversité, qu’elle soit patrimoniale ou "ordinaire".

Le développement d'infrastructures et d'équipements implique qu'il soit pensé sur la base d'une très bonne connaissance de l'environnement et en particulier de la biodiversité.

Les atlas de la biodiversité communale, encore trop peu nombreux à ce jour, représentent à ce titre une base de connaissance primordiale à l'échelle locale, et susceptible d'éclairer les décisions d'aménagement, en plus des bases de données régionales et nationales, de grande qualité. En complément, des inventaires naturalistes plus précis, à une échelle plus fine, sont indispensables pour connaître les enjeux écologiques en présence : ils doivent être systématiquement réalisés par des professionnels pour chaque projet d’aménagement, dès le stade de l’intention et de l’esquisse, quand même bien-même aucune étude d'impact n'est requise.

Cette meilleure connaissance de l’environnement dans lequel prend place un projet d’aménagement va de pair avec une montée de la conscience écologique de la société en général et le cortège d’exigences qui l'accompagne, qu'elles soient morales, sociales ou réglementaires. En effet, en France, depuis la première grande loi sur la protection de la nature en 1976 jusqu’aux évolutions récentes (loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 1992, lois issues du Grenelle de l’environnement de 2007, loi sur la reconquête de biodiversité de 2016), ces exigences n’ont cessé de se renforcer. Principalement autour de la protection d’espaces géographiques naturels (réserve naturelle, parc naturel, zone humide protégée, site Natura 2000,...) ou d'espèces végétales et animales, ainsi qu’autour du principe de l’évaluation environnementale de la planification territoriale et des projets d’aménagement eux-mêmes, ces derniers devant justifier être "de moindre impact environnemental".

Les projets d’aménagement devant justifier être "de moindre impact environnemental".

C’est avec ces grands dispositifs juridiques que s’est renforcée la plupart des réglementations environnementales concernant l’équipement du territoire : évaluation des incidences au titre de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, ou au titre d’un site du réseau européen Natura 2000, demande de dérogation à l’interdiction de détruire ou de déplacer des espèces animales ou végétales protégées, sans oublier bien sûr l’étude d’impact environnementale. Même si le principe de dérogation dans le cadre des espèces protégées est tout à fait critiquable car il a probablement permis de nombreux excès en termes d'impacts irréversibles, ces différentes autorisations administratives environnementales sont loin d’être de simples "visas" de la part des administrations en charge de l'environnement. Ce sont désormais des procédures hautement complexes voire périlleuses, techniquement et juridiquement, pour ceux qui auraient négligé les étapes d’évaluation et de conception écologique. Même si elles sont encore imparfaites dans un certain nombre de cas, elles conduisent à une évolution palpable de l’aménagement du territoire, et une montée en professionnalisme de ses protagonistes, en particulier dans le domaine de la biodiversité.

Une nouvelle équation, un métier renouvelé

Prendre en compte la biodiversité à chaque étape d’intervention, dans chacune des opérations en jeu, relève d’un savoir-faire relativement nouveau, qui mêle planification territoriale, stratégie durable, investissement responsable, ingénierie écologique et génie civil... Concentrons-nous justement sur les projets eux-mêmes et en premier lieu leurs développeurs.

Les acteurs de l’aménagement du territoire s’organisent, se réorganisent même. Ils créent des services dédiés, de développement durable ou d'ingénierie environnementale, avec des postes consacrés à la biodiversité. Ils renouvellent les compétences et forment leurs personnels, ils apprennent et intègrent de nouveaux métiers et créent des outils. Ils associent leurs compétences et savoir-faire pour s’enrichir et s’améliorer, à l’image du Club des Infrastructures Linéaires et Biodiversité ou de l’Observatoire de l’Immobilier Durable. Ils réfléchissent à de nouvelles méthodes conceptuelles et organisationnelles, de nouvelles pratiques professionnelles, de nouveaux produits ou encore de nouveaux modes constructifs. Autant de changements qui seront les briques tangibles des nouveaux marchés de demain, partagés entre sobriété et frugalité des aménagements, réversibilité de ceux-ci et reconquête de biodiversité.

Les marchés de demain, partagés entre sobriété et frugalité des aménagements, réversibilité de ceux-ci et reconquête de biodiversité.

Qu’il s’agisse de la restauration des milieux naturels, de la "renaturation", de la remise aux "normes biodiversité" d’anciens ouvrages, ou encore du développement de projets à "biodiversité positive", c’est un métier renouvelé pour le monde de l’aménagement du territoire.

Cette nouvelle équation soutenable repose principalement sur les trois termes suivants : la planification territoriale intégrée, l’investissement responsable, et enfin la démarche méthodologique "Éviter-Réduire-Compenser" les impacts des projets, dite séquence ERC.

La planification territoriale intégrée vise à considérer un territoire comme limité en termes de ressources et de bio-capacités, et donc à opérer des choix politiques et stratégiques d’aménagement de ce territoire, et ce de manière partagée et concertée entre les différents acteurs qui y participent, et en ne privilégiant pas la seule voie d’un développement infini. Les "Projets d’Aménagement et de Développement Durable" (PADD) intégrés aux plans territoriaux (PLU, SCOT) semblent avoir failli à intégrer la préservation de la biodiversité : cette planification intégrée à différentes échelles territoriales doit elle-même se réinventer. L’approche environnementale de l’urbanisme de l’ADEME est un outil très utile pour travailler cette planification territoriale intégrée. A défaut, ce sont très souvent sur les épaules des projets eux-mêmes, parfois planifiés, parfois pas, que retombent les enjeux colossaux du développement durable et de la biodiversité.

Avec l’investissement responsable qui grandit considérablement, les projets sont éco-conditionnés en quelque sorte. Il s’agit de les challenger via des audits de soutenabilité qui intègrent aux décisions d’investissement les aspects extra-financiers, autrement dit les externalités sociales et environnementales. Les projets doivent eux-mêmes démontrer qu’ils sont de moindre impact environnemental, d’où l’importance du dernier terme de l’équation, ERC.

La séquence ERC est consacrée par une doctrine de l’État de 2012, bien qu’elle ait été esquissée dès la loi de 1976. Elle impose un processus itératif en trois étapes qu’il convient de passer les unes après les autres, en fonction des dommages environnementaux envisagés et du caractère inévitable de ces impacts, avec des rétroactions. Avec la séquence ERC, il s’agit finalement d’éco-concevoir les projets d’aménagement.

La séquence ERC

Éco-concevoir oui, mais dans le bon ordre, c’est fondamental ! En matière de biodiversité, cela implique que la conception d’un projet vise d’abord l’évitement – le plus en amont possible – des impacts sur une espèce ou un milieu donné. Pour le maître d’ouvrage, cela peut se traduire par exemple par le contournement d’une zone sensible, voire le questionnement de l’opportunité-même d’un projet. C’est surtout l’occasion d’opter pour le meilleur projet d’aménagement, du point de vue de l’environnement, avant de réfléchir au projet de moindre impact environnemental. Quitte à le modifier profondément.

L’évitement, c’est réfléchir de manière globale, systémique à l’échelle d’un territoire.

L’évitement, c’est certainement la phase qui invite au plus grand changement car elle nécessite de remonter la corde à nœuds dans la fabrique de l’aménagement du territoire, c’est-à-dire d’anticiper encore plus les études d’opportunité des aménagements. Par exemple pour un maître d’ouvrage public en charge des infrastructures routières, réfléchir à l’éventail des solutions de mobilité - autres que routières, pouvant répondre à un besoin de liaison, de décongestion, ou d’augmentation de capacité au sein d’un territoire. Au stade de l'évitement, le lien entre projet et planification territoriale est crucial et se doit d'être organisé pour que l'un nourrisse et interroge l'autre, et inversement. Ce qui est malheureusement encore peu courant, il faut le déplorer.

Par la suite, si un certain nombre d'impacts ne peut être évité, le promoteur doit concevoir et mettre en œuvre des mesures adéquates afin de les supprimer, ou les atténuer le plus possible. Le principe de la réduction réside dans la capacité de réversibilité des milieux, et donc de leur remise en état car elle cible principalement les dommages qui sont temporaires et limités dans le temps et dans l’espace. Les dispositifs les plus connus du public sont en général les ouvrages à vocation écologique assumée, par exemple ceux qui rétablissent la transparence hydraulique et écologique. Ils sont destinés à préserver – entre habitats d’espèces animales – des connexions attractives pour la faune par des ouvrages, des aménagements et des plantations appropriés. Ce sont par exemple les ouvrages hydrauliques ou bien les fameux passages dédiés à la faune. Pourtant, toutes les espèces naturelles sont concernées par des mesures de réduction d’impact, depuis les insectes jusqu’aux oiseaux en passant par la flore.

Certaines mesures à des fins écologiques sont directement réalisées au cœur des milieux naturels : dérivation de cours d’eau, aménagement de berges pour insectes inféodés à ces milieux rivulaires, création de gîtes artificiels permanents pour les oiseaux, les chauves-souris ou les reptiles, aménagement de mares-relais pour les amphibiens… Parfois, des spécialistes procèdent à des déplacements d’espèces, voire de leurs habitats, lorsque c’est réalisable. À travers ces nombreuses actions de minimisation des impacts, c’est la frontière entre le génie écologique et le génie civil et la construction qui s'estompe progressivement. En effet, tout le cortège des tâches liées à l’acte de bâtir s’enrichit désormais de la variable écologique : choix motivé des méthodes constructives durant le chantier, calendrier d’opérations adapté aux cycles biologiques des espèces, localisation de moindre impact des installations, ou encore économie des emprises de travaux…

Avec les mesures de réduction, c’est la frontière entre le génie écologique et le génie civil qui s'estompe progressivement.

Il est cependant rare que l'ensemble des impacts de tels aménagements puisse être supprimé ou largement réduit, particulièrement en matière de biodiversité. Si par exemple la concentration des eaux qui ruissellent sur des surfaces réaménagées est maîtrisée par le génie hydraulique et le débit de fuite de façon à gérer une infiltration à la parcelle et à réguler les hauteurs d'eau en cas de pluies ; il n'en est pas tout à fait pareil de la nature impactée. Aussi, en cas de persistance d’impacts écologiques résiduels, dans le temps ou dans l’espace, il convient de les évaluer puis de les compenser en nature afin que le projet n’occasionne aucune "perte nette" de biodiversité dans la durée et dans le territoire d'impact. Autrement dit, la compensation écologique signifie qu’on accepte d'impacter irrémédiablement un milieu naturel tout en effectuant la reconstitution d’un milieu au moins équivalent sur un autre site, relativement proche. On touche ici du doigt le concept de bio-capacités des territoire car la compensation écologique comme le projet s'inscrivent au sein d'un même territoire.

On touche ici du doigt le concept de bio-capacité des territoires.

Cette dernière étape de la séquence ERC révèle que l’aménagement du territoire est aussi le fruit d’une volonté d’aboutir à un équilibre en termes de durabilité, via un consensus sociétal entre différents besoins et impératifs. Comme tous les compromis, la compensation ne fait pas l’unanimité, et ce d’autant plus que la biodiversité ne saurait se réduire à une quantité facilement mesurable, ne saurait être comptabilisée comme l’on calcule les tonnes de CO2 dans un bilan carbone. Cependant elle représente un ultime moyen d’aménagement durable du territoire. Si et seulement si le projet a été conçu dans le strict respect de la démarche ERC. Si et seulement si la compensation elle-même est établie dans le respect des standards écologiques qui s’imposent désormais en la matière, à l’instar des recommandations de l’UICN ou du Business & Biodiversity Offsets Programme (BBOP). Il s'agit par exemple du principe de non-perte nette de biodiversité, de l’équivalence écologique, de l’additionnalité des mesures elles-mêmes et de leur pérennité dans le temps, et enfin de la qualité de la gestion conservatoire. Encadré réglementairement, il ne s’agit donc pas d’un droit à détruire mais plutôt d’un "pis-aller" lorsque le potentiel d’action des deux premières étapes de la séquence ERC est épuisé. Cela implique de réaliser l’opération de compensation au plus près des impacts de l’aménagement, et avant les premiers coups de pioche sur le chantier, ce dernier point étant encore beaucoup trop rare aujourd’hui.

Examinons de plus près ce dispositif bien singulier de la compensation écologique.  

Le défi de la compensation écologique

Compenser un milieu naturel détruit ou fortement impacté pour la réalisation d'un aménagement nécessite en premier lieu de prospecter des milieux naturels compatibles, c’est-à-dire des sites susceptibles d’accueillir de telles mesures de compensation. Par exemple des terrains dont les caractéristiques écologiques, hydrologiques ou pédologiques soient, sinon équivalentes aux milieux détruits, du moins favorables à l’accueil de milieux reconstitués.

Les aménagements sont très souvent optimisés sur le plan foncier, ce qui est logique car il s’agit de diminuer la charge foncière qui pèse dans l’équilibre économique d’une opération d’aménagement. La compensation impose donc, dans la plupart des cas, de rechercher des terrains ailleurs, sans recours possible à l’instrument juridique de l’utilité publique qui est souvent utilisé pour la réalisation-même des aménagements. Dans le cas des infrastructures publiques de grande dimension, par exemple de transport, les emprises foncières sont plus larges et la compensation écologique pourrait y être rendu possible. Mais en réalité les emprises disponibles sont limitées à des bandes de terrain sous influence directe de l'infrastructure, ce qui relativement incompatible avec des compensations fonctionnelles.

Ainsi les compensations écologiques s'accompagne d'un besoin en foncier, ce qui pose la question des solutions mobilisables à travers le marché croissant de la compensation écologique. Deux alternatives existent : soit le maître d’ouvrage se tourne vers un opérateur disposant préalablement des milieux compatibles, disponibles sous forme d’actifs unitaires de réserve naturelle (il s’agit d’une compensation "par l’offre") ; soit la démarche est construite localement au cas par cas (il s’agit alors de la compensation "à la demande").

En France, c’est cette option "à la demande" qui domine pour le moment, le tout dans un contexte foncier extrêmement contraint, majoritairement privé, et non-renouvelable par définition. De plus, on observe également que dans cette option, le besoin foncier en milieux naturels (ou à renaturer) peut se révéler plus important que lorsqu’on recoure à une réserve d’actifs naturels. En effet, lors de l’instruction administrative d’une demande de dérogation "espèces protégées", l’absence (ou la faiblesse) d’un stock foncier préalablement constitué pour réaliser des mesures compensatoires signifie une absence de garanties de faisabilité de la compensation proprement dite. Face à cela, un facteur de risque supplémentaire est régulièrement exigé par les autorités, venant gonfler par un coefficient multiplicateur le besoin foncier. Si les espèces cibles concernées par la destruction de leurs milieux, et donnant lieu à compensation, sont par ailleurs dans un état de conservation biologique défavorable, un facteur de risque complémentaire est aussi exigé, tout à fait logiquement. Dans la limite, rappelons-le, du "tout n'est pas compensable", par exemple lorsque la survie des populations de certaines espèces est trop compromise ou bien que certains milieux naturels ne sont pas reconstituables, à l'instar des tourbières.

A contrario, dans le schéma de compensation "par l'offre", les unités de biodiversité proposées par une réserve d’actifs naturels, et donc le coût de chacune d’entre elles, intègrent la part de risque (succès ou échec) pour parvenir à une amélioration de la biodiversité, voire un gain net à l'échelle d'un territoire, bassin versant ou espace biogéographique. Il n’est plus question dès lors de coefficient multiplicateur car les milieux naturels compensatoires sont connus et maîtrisés, leurs potentialités écologiques également, ce qui constitue des garanties fortes pour les autorités. Finalement dans ce cas, ce n’est plus le foncier qui représente la variable d’ajustement pour espérer la réussite écologique d’une opération de compensation, mais le coût des unités de compensation proposées par une réserve d’actifs naturels et que l’aménageur est prêt à consentir.

Et plus ce coût est élevé, plus le maître d’ouvrage a un intérêt à retravailler l’évitement et les mesures de réduction des impacts sur la biodiversité pour avoir le moins d'impacts résiduels à compenser.

Plus le coût de la compensation écologique est élevé, plus le maître d’ouvrage a un intérêt à retravailler l’évitement et les mesures de réduction des impacts sur la biodiversité.

Une itération de la conception ERC d’un projet somme toute plutôt vertueuse dans le temps, et de nature à profondément changer les pratiques d’un aménagement parfois "facile" du territoire tant notre modèle de développement est basé sur la consommation de notre espace et de nos milieux.

La biodiversité : penser intégration et non plus contrainte

Toutes ces activités d’ingénierie écologique, financière, administrative et foncière qui accompagnent la séquence ERC sont néanmoins connexes aux activités quotidiennes des acteurs de l'aménagement. Alors que le cœur de métier tourne le plus souvent autour des montages technico-économiques des opérations et de l'organisation-même des projets et des méthodes de chantier, avec les techniques constructives les plus adaptées à chaque contexte ; le vivant et ses enjeux ont désormais toute leur place au cœur de la fabrique du territoire.

Il s’agit de renverser le paradigme. Non la biodiversité n’est pas cette "contrainte" de plus qui perturbe le cours des affaires : c’est bien l’inverse en fait, avec des activités d'aménagement qui participent à l’érosion de la biodiversité. Plutôt que de voir la biodiversité à la fois comme un enjeu et une contrainte, pourquoi ne pas retenir uniquement l’enjeu et le transformer en enjeu de respect et d’intégration ?

Le vivant et ses enjeux ont désormais toute leur place au cœur de la fabrique du territoire.

Dans le domaine de l'immobilier, l'intégration du vivant dans les projets n'est plus une tendance mais devient une règle, souvent une évidence tant les bienfaits apportés par la nature sont désormais incontestables pour une vie urbaine résiliente et plus qualitative. Des labels tels que "Biodivercity®" créé par le Conseil International Biodiversité et Immobilier (CIBI) invitent à avoir une réflexion systémique que ne permet pas toujours la haute qualité environnementale des bâtiments. Cela concoure à professionnaliser l’approche écologique dans les projets, à mieux intégrer les critères de performance durable aux coûts de transaction des opérations, et à réinterroger les stratégies immobilières à l’aune de la biodiversité.

Dans le domaine du génie civil, on étudie et met en œuvre des matériaux biogènes, par exemple en complexifiant des surfaces de béton selon un principe de rugosité et de dimensions fractales. En imitant les caractéristiques des surfaces offertes par les roches naturelles, cela favorise la fixation et le développement de la biodiversité, dans des environnements terrestres, fluviaux ou marins.

Le chantier lui-même est capable de proposer de l’innovation écologique. Pour les ingénieurs, la biodiversité représente une variable nouvelle dans l’équation qu’ils ont à résoudre : la partie est gagnée dès lors que cette variable est intégrée. Ainsi des solutions techniques et constructives se font jour, parfois de bon sens, parfois anciennes si l’on songe aux techniques végétales, mais dans tous les cas plus respectueuses de la nature et de moindre impact écologique. Il s’agit de recourir aux matériaux naturels ou "biosourcés", ou encore de réfléchir à l'intégralité de la chaîne de valeur, depuis l'empreinte écologique des matériaux qui sont utilisés pour réaliser des constructions jusqu'à l'empreinte écologique des chantiers.

Les activités de la "réversibilité" représentent un vivier nouveau de compétences et d’activités.

Enfin, les activités dites de la "réversibilité" représentent elles aussi un vivier nouveau et prometteur de compétences et d’activités économiques. Elles visent la résorption des points noirs de pollutions diverses qu’il s’agisse de pollution lumineuse, de bruit, d’atteintes aux ressources naturelles et aux services écosystémiques. La dépollution, la déconstruction et le recyclage des matériaux, la désimperméabilisation des sols ou encore la renaturation, toutes ces activités du recyclage et du renouvellement urbain visent à limiter l'artificialisation, donc à réduire la consommation d'espace, par essence non renouvelable, et ainsi à limiter les atteintes aux milieux naturels et à la biodiversité.

Vers une écologie des territoires

Dès lors, une économie de la construction frugale est possible pour répondre aux enjeux de l’aménagement des territoires.

Alors que la question de la croissance se pose aujourd’hui avec acuité, et se pose par ricochet dans le secteur de l’aménagement du territoire, l’économie écologique (plutôt que "l’économie verte" qui apparaît trop souvent comme un mirage…) dessine un horizon prometteur. Évoquer l'économie comme devant être écologique relève du bon sens, c'est même une tautologie étant donné la parenté étymologique des deux termes. Il s'agit ici d'une économie économe, circulaire et résiliente.

Cet horizon qui se dessine est boosté par le levier réglementaire bien sûr, mais aussi par les exigences de l’investissement responsable, par la relocalisation de la planification territoriale en lien avec une relocalisation des activités, par la consécration de la méthode de l’évitement, réduction, compensation des impacts, ou encore par les solutions fondées sur la nature et inspirées d’elle.

Une écologie des territoires, tactique.

Cette économie est une écologie des territoires, tactique, qui mérite désormais notre pleine mobilisation pour que l’aménagement du territoire ménage de plus en plus nos territoires.

J.Lémeri, avril 2020

Catherine JATTEAU

Directrice France des activités Eau & Environnement d’EGIS

4 ans

Très bel article Joachim ! Merci Je suis totalement convaincue comme toi que l avenir est dans une intégration totale de l environnement dans nos projets et surtout dans nos modes de pensée !

Fabien Quétier

Gestion durable, conservation et restauration de la biodiversité et des écosystèmes

4 ans

Intéressant panorama. Merci Joachim.

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