Obligation d’envoi de l’avis à signifier et constitution d’avocat : tirs en rafale contre le greffe
À l’exclusion de tout autre acte, seule la notification entre avocats rend opposable à l’appelant la constitution d’un avocat par l’intimé et il importe peu que le greffe n’ait pas adressé aux appelants un avis d’avoir à signifier la déclaration d’appel à l’intimée ou ait mentionné à tort sur un acte le nom d’un avocat constitué.
Civ. 2e, 2 déc. 2020, F-B, nos 20-14.480 à 20-14.485 Original et osé !
Des salariés contestent leur licenciement par une compagnie aérienne. Déboutés par six jugements du conseil de prud’hommes le 11 septembre 2018, ils relèvent appel des décisions devant la cour d’appel de Paris et leur avocat notifie ses conclusions, par RPVA, à l’avocat de la société intimée les 26 décembre 2018 et 4 janvier 2019. Celui-ci se constitue seulement le 11 février 2019. Le conseiller de la mise en état rejette la demande de caducité formée par la société intimée qui défère à la cour d’appel les ordonnances de rejet, laquelle infirme les ordonnances et prononce la caducité des six déclarations d’appel. Les appelants forment des pourvois contre ces arrêts rendus sur déférés, joints en cassation. Leurs griefs étaient entièrement dirigés contre le greffe qui n’avait pas avisé l’avocat de l’appelant qu’il devait procéder par voie de signification de la déclaration d’appel à la société intimée qui n’avait pas constitué avocat et qui avait, de surcroît, mentionné sur divers actes de procédure le nom de l’avocat de première instance. Après avoir rappelé les dispositions des articles 911 et 960 du code de procédure civile, la deuxième chambre civile rejette le pourvoi en jugeant que : « Seule la notification entre avocats rend ainsi opposable à l’appelant la constitution d’un avocat par l’intimé, à l’exclusion de tout autre acte. Cette règle de procédure, qui impose que l’appelant soit uniquement et directement averti par le conseil de l’intimé de sa constitution, poursuit le but légitime de garantir la sécurité et l’efficacité de la procédure. Elle ne constitue pas une atteinte au droit à l’accès au juge d’appel dans sa substance même et ne porte pas une atteinte disproportionnée à l’accès au juge d’appel au regard du but poursuivi. L’appelant est, en effet, mis en mesure de respecter l’obligation de signifier ses conclusions à l’intimé lui-même ou de les notifier à l’avocat que cet intimé a constitué, dès lors qu’il ne doit procéder à cette dernière diligence que s’il a, préalablement à toute signification à l’intimé, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d’un avocat par l’intimé. »
Or, la Cour de cassation juge que, « ayant, d’une part, relevé que les appelants n’avaient notifié leurs conclusions dans le délai prévu par l’article 911 du code de procédure civile qu’à M. [K], avocat, alors que la société intimée ne l’avait alors pas constitué et que les appelants n’avaient pas reçu l’avis de constitution de leur adversaire, faisant ainsi ressortir, par cette considération, que les appelants n’avaient pu légitimement croire que la société intimée avait constitué un avocat, et, d’autre part, exactement retenu qu’il importait peu à cet égard que le greffe n’ait pas adressé aux appelants un avis d’avoir à signifier la déclaration d’appel à l’intimée, conformément à l’article 902 du code de procédure civile, ou ait mentionné à tort sur un avis le nom d’un avocat constitué, c’est à bon droit, sans méconnaître les exigences du droit à un procès équitable, que la cour d’appel a constaté la caducité de la déclaration d’appel. »
Les avocats désespérés ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît
Une fois n’est pas coutume, c’était le greffe, et non le juge, qui se trouvait dans la ligne de mire des six demandeurs aux pourvois. Et les tirs, on le verra, étaient nourris. Car, si la Cour de cassation a déjà eu à connaître bien des reproches dirigés contre les juges d’appel au regard des exigences formelles de la notification des conclusions entre avocats, cette attaque en règle – en pleine paix, pourrait-on dire – apparaissait aussi téméraire qu’inhabituelle.
C’est déjà la première fois que la lecture du célèbre article 902 et de son alinéa 2 (« En cas de retour au greffe de la lettre de notification ou lorsque l’intimé n’a pas constitué avocat dans un délai d’un mois à compter de l’envoi de la lettre de notification, le greffier en avise l’avocat de l’appelant afin que celui-ci procède par voie de signification de la déclaration d’appel ») est prise sous cet angle. L’expédition par le greffe de l’avis d’avoir à signifier l’acte d’appel est-elle une obligation qui pèse sur le greffe alors qu’en l’espèce, l’avocat de l’appelant reprochait, chose peu banale, de ne pas avoir reçu l’avis d’avoir à signifier. La thèse était la suivante : s’il l’avait réceptionné par voie électronique, son attention eut été attirée sur le fait qu’aucun avocat n’était constitué pour la société intimée, ce qui lui aurait permis de corriger le tir tandis qu’il avait adressé ses conclusions par RPVA à son confrère alors même que celui-ci n’était pas constitué. En cette matière, les avocats savent bien que l’avis est aléatoire, selon les us et coutumes des greffes et le temps qu’ils peuvent parfois y consacrer, et le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne le réclament généralement pas ! Car l’avis induit à tous les coups un surcoût pour le client et un risque de responsabilité pour l’avocat au regard de l’alinéa 3 qui précise l’obligation de signifier par huissier dans le mois de son envoi « à peine de caducité de la déclaration d’appel relevée d’office ». La jurisprudence, elle aussi nourrie, atteste de l’important contentieux de la caducité en cas de défaut de signification de la déclaration d’appel.
Cela étant dit, la lettre du texte (le greffe avise l’avocat de l’appelant en cas d’absence de constitution) impose-t-elle une obligation pour le greffe ? Dit autrement, présent de l’indicatif ou impératif présent ? Si l’on ne trouve pas de point d’exclamation, marque de l’impératif – mais après tout on en trouve si peu dans le code de procédure civile – la présence d’un sujet, le greffe, permet d’écarter tout impératif... en conjugaison tout du moins. Car en droit, l’avocat sait bien, à la lecture des articles 901 et suivants du code de procédure civile, que, lorsqu’il est lui-même le sujet, au présent, de la diligence à accomplir, cela se transforme le plus souvent en une impérative obligation, à commencer par ce même alinéa 2 : « le greffier en avise l’avocat de l’appelant afin que celui-ci procède par voie de signification de la déclaration d’appel ». L’indicatif pour le greffier, l’impératif pour l’avocat ! Pas de sanction donc pour le greffe d’aviser l’avocat de l’appelant dans le mois qui suit l’envoi de la déclaration d’appel à l’intimé. Alors si les demandeurs au pourvoi invoquaient l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la deuxième chambre civile écarte toute atteinte à l’accès au juge, sans égard toutefois à l’émission de cet avis du greffe, mais dès lors que seule la notification entre avocats rend opposable à l’appelant la constitution d’un avocat par l’intimé, à l’exclusion de tout autre acte. Et l’on en vient à la seconde considération : les avocats peuvent notifier leurs conclusions directement, à condition d’être régulièrement constitués.
Une ordonnance, et une sévère
Pour pointer dans leur viseur les erreurs du greffe, les demandeurs au pourvoi avaient choisi une arme qui n’était pas munie d’un silencieux. Ils n’avaient en tout cas pas mandaté un porte-flingue : « Le greffe doit accomplir les actes nécessaires à la régularité de la procédure d’appel », l’appelant ne pouvant « être privé de son droit d’accès au juge en raison d’une méconnaissance de la procédure réglementaire », le greffe ayant « manqué à ses obligations mises à sa charge » tandis qu’il avait même avisé l’avocat de l’appelant de la distribution de l’affaire à la mise en état avec la mention du nom d’un avocat prétendument constitué pour l’intimé et avait donc fait naître dans son esprit « une croyance légitime que l’intimé avait constitué avocat ». En guise de synthèse, « un comportement fautif » du greffe à l’origine de l’erreur de l’appelant. Bref, du brutal.
Mais le réveil est pénible. Loin de retenir d’éventuels manquements du greffe, la deuxième chambre civile, qui peut aussi avoir la gâchette facile, stigmatise ceux de l’avocat de l’appelant. Sans rentrer dans le détail de la chronologie, elle reste ancrée sur les principes. L’appelant est en mesure de respecter l’obligation de signifier ses conclusions à l’intimé lui-même ou de les notifier à l’avocat que cet intimé a constitué, dès lors qu’il ne doit procéder à cette dernière diligence que s’il a, préalablement à toute signification à l’intimé, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d’un avocat par l’intimé. En un mot comme en cent, la signification des conclusions s’impose dès lors que l’intimé n’a pas constitué avocat et, dans le cas contraire, l’avocat de l’appelant doit procéder par notification auprès de son confrère régulièrement constitué.
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C’est évidemment l’article 960 qui doit servir de guide : « La constitution d’avocat par l’intimé ou par toute personne qui devient partie en cours d’instance est dénoncée aux autres parties par notification entre avocats ». Cette règle de procédure, dit la Cour de cassation, impose que l’appelant soit uniquement et directement averti par le conseil de l’intimé de sa constitution. C’est la dénonciation de la constitution qui fait, aussi, la constitution. Et s’il y a beaucoup d’obligations très formelles en appel qui interrogent sur leur bien-fondé, celle-ci est plutôt garante d’un principe de sécurité juridique. Elle marque une temporalité claire au regard des multiples délais pour signifier et conclure en appel. Cette sécurité ne serait plus assurée si l’avocat de l’appelant décidait de faire courir un délai de réponse sans constitution d’un avocat adverse dépourvu de mandat, au seul motif que son confrère intervenait en première instance. Ce n’est pas à l’avocat de l’appelant de choisir son adversaire, c’est à l’intimé de choisir son avocat.
Une arme à double détente
L’avocat de l’appelant avait donc notifié ses conclusions à son confrère non constitué, dans le délai augmenté d’un mois de l’article 911, mais qui ne vaut qu’en cas de signification des conclusions. La caducité était donc encourue. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler que la notification de conclusions et la communication des pièces à un avocat non constitué en appel sont entachées d’une irrégularité de fond et ne répond pas à l’objectif de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense. La déflagration arrive donc en deux temps : c’est un défaut de pouvoir de l’avocat qui n’est pas constitué conformément à l’article 117 du code de procédure civile, qui débouche sur une caducité puisque la formalité de signification des conclusions n’intervient pas en violation des dispositions de l’article 911. Dès lors, il importe peu que l’avocat ait notifié ses conclusions, même dans le délai imparti, à l’avocat « plaidant » de la partie adverse si celles-ci n’ont pas été notifiées à l’avocat « postulant » devant la cour qui reste seul habilité à la représenter (Civ. 2e, 4 sept. 2014, n° 13-22.654, RTD civ. 2015. 195, obs. N. Cayrol ; Procédures, nov. 2014, obs. H. Croze). Et si l’avocat de l’appelant n’a pas à signifier la déclaration d’appel à l’intimé lorsque son avocat se constitue dans le mois de l’émission de l’avis émis par le greffe, il ne peut se dispenser, sous peine de caducité de son acte d’appel, de lui notifier ses conclusions à la suite de cette constitution, quand bien même celles-ci lui avaient été communiquées antérieurement (Civ. 2e, 28 sept. 2017, n° 16-23.151, Dalloz actualité, 24 oct. 2017, obs. R. Laffly ;
D. 2018. 692, obs. N. Fricero ). L’avocat de l’appelant ne saurait non plus invoquer la déloyauté de son confrère qui intervenait déjà devant le premier président, puisque « la constitution ultérieure par l’intimé de l’avocat qui avait été destinataire des conclusions de l’appelant n’est pas de nature à remédier à cette irrégularité », laquelle est une nullité de fond qui conduit immanquablement à la caducité de la déclaration d’appel (Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 19-10.849, Dalloz actualité, 15 avril 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 491 ). L’appelant qui n’a pas reçu de dénonciation de la constitution de l’avocat de l’intimé n’a pas à lui notifier ses conclusions mais doit les signifier dans le délai d’un mois qui court à compter de l’expiration du délai de trois mois prévu pour la remise de ses conclusions au greffe (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-12.959, Dalloz actualité, 22 juin 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 1234 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2020. 12, obs. J. Couturier,
E.Jullien et O. Salati ). Dans le sens inverse, enfin, encourt la caducité de sa déclaration d’appel l’avocat de l’appelant qui fait signifier, même dans les délais impartis, ses conclusions à l’intimé qui a déjà constitué avocat (Civ. 2e, 5 sept. 2019, n° 18-21.717, Dalloz actualité, 8 oct. 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 1656 ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero ; Procédures n° 11, nov. 2019, obs. H. Croze). Précision utile, ce sont tous des arrêts publiés. Il faut que croire que la deuxième chambre civile veut enfoncer le clou.
Éparpillé par petits bouts, façon puzzle
Et elle l’enfonce effectivement. La Cour de cassation ajoute qu’il importait peu que le greffe ait mentionné à tort sur un acte le nom d’un avocat constitué. Sans même s’attarder sur la cause originelle de cette mention. Au cas présent, si l’envoi de l’avis est une simple faculté, il était constant aussi que le greffe n’avait pas non plus, par erreur, renseigné sur l’acte litigieux un avocat qui n’était pas constitué. Il n’avait fait que reprendre, sur les actes de la procédure, la mention de cet avocat qui figurait sur le propre acte d’appel établi par l’avocat de l’appelant. Le greffe pouvait-il faire autrement ? Non, si l’on sait que le greffe doit enregistrer l’acte tel qu’il a été établi et non tel qu’il devrait être. Le greffier, garant de l’authenticité des actes, n’a pas de pouvoir d’intervention, de correction ou de retranchement sur l’acte de procédure qui est accompli par une partie. Le greffier répond encore, déontologiquement, d’une obligation de neutralité dans l’exercice de ses fonctions. De l’autre côté, l’avocat de l’appelant n’avait pas à mentionner son confrère de première instance comme avocat de l’intimé et il était donc mal venu de reprocher au greffe cette indication laissée sur son propre acte d’appel. De toute façon, on le comprend, la seule erreur du greffe en ce sens n’aurait pas été suffisante. Car, comme pour mieux asseoir le principe qu’elle dégage, la deuxième chambre civile répond finalement au dernier point de sa solution par une assertion générale qu’il importait peu que le greffe n’ait pas adressé aux appelants un avis d’avoir à signifier la déclaration d’appel à l’intimée ou ait mentionné à tort sur un avis le nom d’un avocat constitué. In fine, si l’attaque apparaissait originale, la riposte de la Cour de cassation était prévisible. Ce n’était pas tant les erreurs du greffe qui étaient en débat que celles de l’avocat de l’appelant qui ne pouvait ignorer, au regard des textes, que la voie de la notification directe ne vaut qu’entre avocats régulièrement constitués. De ce côté-là, on a l’habitude. L’arsenal est fourni. De quoi préparer des nuits blanches, des migraines, des nervous breakdown comme on dit de nos jours.
par Romain Laffly, Avocat associé, Lexavoué pour Dalloz actualité