Occupation du sol : concilier développement urbain et préservation des terres
Assurer la transition écologique en accompagnant le développement d’un territoire. Oui, mais comment ?
La prise de conscience environnementale oblige bon nombre d’entre nous à repenser nos modes de vie, de consommation et nos habitudes. Les collectivités n’y échappent pas non plus. Les politiques environnementales font désormais partie intégrante des plans locaux d’urbanisme et c’est aux territoires que revient la tâche de composer avec elles. Réduction de l’artificialisation des espaces via le plan zéro artificialisation nette d’ici 2030, végétalisation des zones urbaines, préservation de la biodiversité, des outils de diagnostic et de compréhension du territoire existent pour accompagner la réalisation de ces objectifs.
Source : KERMAP ® Mode d’occupation du Sol - Aéroport de Rennes
Étalement urbain : quels sont les facteurs ?
Dans de nombreuses villes, l’étalement urbain est à l’origine de l’augmentation de l’artificialisation des sols. Des espaces naturels, agricoles ou forestiers sont transformés pour construire des logements, des locaux d’activités, des équipements ou des infrastructures de transport nécessaires au développement des activités humaines. Les chiffres de l’artificialisation divergent fortement d’une source à l’autre, rendant son estimation difficile et le suivi de son évolution quasiment impossible. Cependant, on s’accorde à dire qu’elle est plus importante en France que chez bon nombre de nos voisins européens.
L’augmentation du nombre de ménages est-elle alors la seule responsable ?
Non, l’évolution démographique est inférieure à l’artificialisation dans de nombreuses communes selon Eric Charmes, docteur en urbanisme et aménagement. D’après l’INSEE, entre 2011 et 2015 la région PACA enregistrait une artificialisation des sols deux fois plus rapide que la croissance de sa population. Pour chaque nouvel habitant, la surface artificialisée était deux fois supérieure à l’espace moyen occupé par habitant. Parmi les facteurs en cause, sont cités : l’engouement pour l’habitat individuel, la faible densification des constructions, l’attractivité du littoral ou encore le coût avantageux des locaux d’entreprises en périphérie urbaine.
Artificialisation : quelles conséquences ?
Les préjudices liés à l’artificialisation sont nombreux, à commencer par l’imperméabilisation des sols. L’eau ne peut plus s’infiltrer dans la terre empêchant la création de stocks d’eau nécessaires au développement de la végétation. Cette eau est également utile pour les hommes car elle contribue au rafraîchissement des villes les jours de forte chaleur. Enfin, l'artificialisation pose de graves problèmes d’ordre environnemental et sanitaire : la pluie ruisselle sur les espaces imperméabilisés augmentant le risque de crues et de pollution des cours d’eau par le déplacement de substances nocives liées à l’activité humaine.
Responsable de la fragmentation des espaces, l’artificialisation fragilise aussi les écosystèmes et participe à la disparition de la biodiversité en détruisant les lieux de vie et d’approvisionnement de nombreuses espèces. Poumons de la Terre, la diminution des espaces naturels contribue à l’accélération du réchauffement climatique, mais aussi à la création d’îlots de chaleur urbain, nuisant à la biodiversité et aux habitants des villes.
Se pose aussi la question de l’alimentation de demain. En 2050, on estime le nombre d’êtres humains à 9.7 milliards. Selon le CEREMA, l’artificialisation semble être à la hausse. Entre janvier 2017 et janvier 2018, plus de 23 000 hectares ont été artificialisés sur les sols agricoles et naturels. Comment parvenir à nourrir toute la population si les terres agricoles continuent de disparaître ? D’autant plus que ces pertes concernent surtout les petites exploitations, pénalisant les agriculteurs locaux et le développement des circuits courts. L’artificialisation menace aussi les espaces bocagers déjà fragiles, car soumis à une forte pression agricole et à la fragmentation des territoires. La disparition du maillage bocager impactant fortement les paysages et la biodiversité.
Enfin, n’oublions pas les coûts globaux pour la collectivités comme les ménages liés directement à la construction de nouvelles infrastructures et réseaux associés.
Urbanisme durable et écologique
Amélioration de la qualité de vie des habitants, développement de l’économie locale tout en préservant la biodiversité et le climat, tels sont les enjeux actuels des collectivités. Le temps est à la renaturation de l’espace, à la reconquête de la nature et de la biodiversité. « Zéro artificialisation nette » en 2030, c’est l’un des objectifs établis par le gouvernement dans le cadre du Plan Biodiversité. Pour y parvenir, plusieurs solutions sont prescrites : densification de l’habitat, renouvellement urbain ou encore désimperméabilisation et renaturation des espaces artificialisés abandonnés. Problème, cette dernière solution n’est pas toujours possible. Une fois artificialisé, un espace peut difficilement retrouver son état d’origine. De plus, cette alternative reste coûteuse.
Les collectivités locales ont donc pour mission d’anticiper les besoins de développement de leurs territoires afin de concevoir des aménagements adaptés aux enjeux qui s’imposent et répondant aux normes environnementales. Pour se faire, des documents de planification stratégique tels que le SCoT, le PLUi ou encore le PCAET permettent d’élaborer à leur échelle l’organisation du territoire et la maîtrise du développement urbain. Pour faciliter leur élaboration, des diagnostics territoriaux sont établis à l’aide de données géographiques.
Le MOS : un outil précieux pour les territoires
Connaître l’occupation du sol d’un territoire est essentiel pour comprendre son organisation et ses caractéristiques. Réalisé à partir d’images satellites, l’inventaire européen biophysique Corine Lanc Clover (CLC) initié en 1985 a produit les cartographies de l’occupation du sol en 1990, 2000, 2006, 2012 et 2018. Véritable source d’informations sur l’évolution globale du territoire, il est cependant peu précis, compte tenu de son échelle de production.
Autre inventaire cartographique, le mode d’occupation du sol (MOS) permet lui aussi de suivre l’évolution de l’occupation du sol. Ces données géographiques sont le résultat de photo-interprétations réalisées à partir d’images satellites ou d’orthophotographies (photographies aériennes). Le MOS peut être réalisé à une échelle d’1/3000ème bien plus précise que celle de l’inventaire CLC : un centimètre sur l’image représente 30 mètres dans la réalité. Chaque élément du paysage est cartographié, permettant ainsi de travailler à l’échelle d’un quartier. Les composants du territoire sont ensuite classés dans trois catégories rassemblant en tout 81 postes : les espaces agricoles, naturels et forestiers, les espaces urbains construits et les espaces artificialisés. Dans la première catégorie se trouvent par exemple les espaces ouverts à végétation arbustive ou herbacée, les prairies ou encore les vergers. Les espaces urbains rassemblent les établissements scolaires, les grandes surfaces commerciales et les installations couvertes. Les habitats individuels, les cimetières et les terrains de sports à ciel ouvert font partie de la dernière catégorie.
Source : Institut Paris Région https://bit.ly/2BjQdBC
Le MOS peut indiquer la proportion de l’espace consacrée à l’agriculture, à l'urbain (résidentiel, commercial, etc.) et aux espaces naturels. Grâce aux images historiques, il est possible de mesurer l’évolution de l’occupation du sol à partir de 1950 et sur plusieurs décennies. Associé à d'autres analyses proposées par KERMAP, le MOS permet également d'identifier les îlots de chaleur et les zones à végétaliser en priorité.
Témoignage de Fabienne Mordellet, SCoT du Pays de Saint-Brieuc
Fabienne Mordellet est chargée de mission aménagement et urbanisme au PETR du Pays de Saint Brieuc. Le PETR (pôle d’équilibre territorial et rural) est un établissement public qui exerce plusieurs compétences dont l’élaboration, le suivi et la mise en oeuvre du SCoT. Au sein de ce pôle, Fabienne Mordellet est principalement chargée de l’évaluation du SCoT, traitant les aspects de méthodologie, de pilotage et de développement d’outils de suivi.
Concrètement, le SCoT, c’est quoi ? C’est un document de planification établi par les élus autour d’un projet politique pour les 15 années à venir répondant aux enjeux du territoire. Régi par le code de l’urbanisme, il fixe des objectifs au regard des finalités du développement durable concernant notamment la lutte contre le réchauffement climatique, la préservation de la biodiversité et l’épanouissement des habitants. Il s’agit d’organiser au mieux l’espace et de traduire à l’échelle locale les politiques d’aménagement du territoire en tenant compte du cadre législatif, des orientations nationales, régionales et des spécificités locales.
C’est en 2015 que le PETR fait appel aux services de Nicolas Beaugendre, futur co-fondateur de KERMAP avec Antoine Lefebvre. Le PETR souhaite trouver une méthode permettant de mesurer la consommation des espaces agricoles et naturels de son territoire et d’en connaître son usage. L’objectif final est de pouvoir développer un outil de suivi des tendances d’évolution afin d’ajuster les objectifs du territoire et de maîtriser la consommation foncière. Une méthodologie (nomenclature et méthode de production OCS) a été développé avec Nicolas Beaugendre et les équipes du SCoT et du SAGE du Pays de Saint Brieuc. Un “état zéro” de l’occupation des sols a été réalisé en prenant 2012 comme année de référence, année de l’orthophotographie. Cette base, actualisée avec l’orthophotographie de 2015, a servi à mesurer l’évolution de la consommation foncière sur une période de 3 ans. Fabienne Mordellet explique que le SCoT se place dans un objectif de durabilité. C’est pourquoi, “il était intéressant d’obtenir, en plus des données, de premières tendances d’évolution et préconisations”.
Pour réaliser la production de l’OCS, KERMAP s’est appuyé sur l’OCS GE, une base de données à grande échelle développée par l’IGN afin de bénéficier, à la fois de la couverture du sol et de l’usage. Ces deux dimensions permettent de visualiser l’occupation du sol selon les éléments composants la surface du sol (eau, herbe, sol nu, construction) ou selon son utilisation (agriculture, réseaux routiers, forêts).
Source : KERMAP® Occupation du sol du Pays de Saint-Brieuc 2018
La nomenclature développée, tout comme la prestation, ont été effectuées pour répondre aux besoins et spécificités du SCoT et du SAGE à l’échelle de leurs territoires. Cette adaptabilité a permis de faciliter l'appropriation et l’utilisation des données par les deux pôles. La nomenclature adaptée pour le pays de Saint-Brieuc permet de distinguer et de qualifier de manière précise chacune des zones : zones à vocation industrielle, zones à vocation commerciale, exploitations agricoles, zones de production d'énergie, habitats, espaces vacants, emprises scolaires, services publics, etc. contrairement à l'OCS GE de l'IGN. La nomenclature détaillée à 61 postes du MOS du Pays de St Brieuc permet également de qualifier les différents espaces naturels et agricoles.
Les données sont principalement exploitées en format SIG et en format web. En utilisation statistique, le croisement des données d’occupation du sol avec d’autres données telles que les données d’urbanisme, référentiel hydrographique, fichiers fonciers, parc de logements, etc, permet de comparer et d’identifier des corrélations entre variables et d’avoir une analyse fine pour comprendre et expliquer les phénomènes constatés. Les cartographies quant à elles, offrent une vision claire de l’évolution du sol, de la réalité du territoire et des impacts des activités humaines.
Les données sont également mises à la disposition de partenaires comme les deux EPCI du territoire pour l’élaboration de leurs PCAET ou PLUi par exemple. Plusieurs utilisations sont envisageables : estimation de la capacité stockage carbone, évolution des pratiques agricoles, ou encore évolution de la perméabilité des sols. Ces données servent à l’ensemble des collectivités dans l’établissement de leurs documents d’urbanisme. Les associations trouvent aussi un intérêt dans l’emploi de ces données. C’est le cas de Vivarmor Nature, association environnementale des Côtes d’Armor qui a adapté la cartographie de l’occupation du sol pour déterminer les habitats présents sur un territoire donné, dans le cadre de l’élaboration d’un atlas de la biodiversité intercommunale.
L’uniformité de la méthodologie et de la nomenclature permettent de mutualiser les données sur le territoire et d’effectuer au besoin des ajustements. S’appuyant sur la méthodologie mise en place par Nicolas Beaugendre avec le Pays de Saint-Brieuc, “KERMAP a su répondre aux besoins du PETR et aux cahiers des charges, tant en termes de qualité que de délais, pour produire des données sur plusieurs millésimes, 2008, 2012, 2015 et 2018.”
Fabienne Mordellet rappelle que les champs d’application des données sont vastes : suivi des paysages, identification de continuités écologiques (trame verte et bleue), pression sur les espaces agricoles du territoire… Dans un objectif de maintien ou d’amélioration de la qualité de vie en ville, les données comme celle de l’occupation du sol peuvent être utiles : projets de restructuration de l’habitat, informations sur la densité, organisation des espaces, ou encore nature en ville.
Les données produites sont aussi un moyen d’illustrer la richesse du patrimoine naturel et de valoriser l’action publique en faveur de l’optimisation du foncier et de la maîtrise de l’extension urbaine.
Journaliste audiovisuel Université Rennes 2
4 ansOui beau travail de valorisation !
Responsable de l'accompagnement - The Moon Venture 🚀🌔
4 ansArticle de grande qualité !