Optimiser son plan de transport : des mathématiques au déploiement
En France, depuis 1986, le volume du transport terrestre a augmenté de 46%, à la même vitesse que le PIB. Il représente aujourd'hui un chiffre d’affaire de 44 milliards d’euros, concerne plus de 300 000 véhicules et est en constante évolution. Mais ces chiffres ont leur face cachée. Depuis 2003, un camion dépense en moyenne 9 800 euro de plus par an pour son gasoil. Parallèlement, le coût horaire du chauffeur se situe 20% au-dessus de la moyenne européenne (source : La Fédération Nationale des Transports Routiers). Pour un transporteur, optimiser son plan de transport est un atout concurrentiel, pour un chargeur, c'est s'attaquer à la réduction d'un des plus gros postes de coûts après la masse salariale.
L’optimisation du transport via un modèle mathématique fin couplé à des techniques de busines analytics (data mining, machine learning, statistiques) permet d'en réduire le budget de 5% à 10% dans le cas d'une réorganisation des flux et de 10% à 20% dans le cas d'un network design. Un plan de transport est très souvent construit au fil de l'eau sous forme d’amélioration continue mais aussi de « détériorations » continues liées à la vie de l’entreprise, à l’évolution de son parc client et aux fusions successives. Si les remises en cause de type "big bang" ou "page blanche" restent rares, elles doivent parfois s’imposer : par exemple, lors du passage d'une gestion décentralisée à une gestion centralisée, lors de nouvelles opérations d'exploitation comme le multi drop et/ou le multi pick ou lors de montées en cadence significatives de production. De grosses ETI avec plus de 20% de croissance par an, un doublement des lignes de production et des capacités de stockage se retrouvent ainsi au pied du mur sous peine de voir leur outil de production frôler la saturation.
Les études que nous menons à EURODECISION permettent de "déployer" des refontes de plan de transport et d'engendrer des gains validés par les directions achats de l'ordre de 10% tout en maintenant, voire en améliorant la qualité de service (délais, ruptures de charge…). "Bâtir" un plan de transport théorique est une chose, le "déployer" en est une autre : en effet, plus qu’un autre, le transport est un métier d'expérience et de terrain, nul ne sait mieux qu'un coordinateur transport comment acheminer ses produits d'un point à un autre. Un mathématicien dans son bocal, pas plus qu’un consultant en costume sur mesure ne réussira à faire le moindre changement ou déploiement sans convaincre et faire adhérer les opérationnels de la pertinence du nouveau plan.
Un exemple parmi d’autres, nous avons accompagné GEFCO dans la refonte et l'optimisation de son plan de transport messagerie lors du passage à une gestion centralisée. Les résultats étaient au rendez-vous : le plan de transport déployé a permis d'atteindre une économie de 2 M€/an, d'augmenter le tonnage des marchandises délivrées en 24H de près de 35%, de minimiser le nombre de ruptures de charge, de réduire l'empreinte carbone d'environ 3 000 tonnes/an (-11% de kilomètres parcourus par an), le tout avec un ROI en 4 mois!
Une méthodologie en 4 étapes
La collecte des données : Le nerf de la guerre
La difficulté d’accès à une information explique que celle-ci risque de ne jamais être prise en compte dans un processus de décision
La donnée et l'information qu’elle recèle sont des éléments critiques dans tout processus d'aide à la décision. Ainsi, tout commence par la collecte des données : historique des flux, coûts, géolocalisation, distancier route avec profils de vitesse, interviews et ateliers pour exprimer les contraintes métier. Cette phase primordiale est souvent considérée à tort comme étant sans réelle valeur ajoutée, mais notre expérience et notre maitrise des outils de mathématiques décisionnelles ont prouvé bien souvent le contraire. En effet, une simple visualisation cartographique des flux permet de détecter des leviers d’optimisation pouvant être rapidement mis en place et donc enclencher les retours sur investissement. D'autres quickwins peuvent être détectés : par exemple pour un acteur industriel, nos analyses sur les plans de chargement des camions ont démontré que l'on pouvait gagner sur le taux de chargement en choisissant des camions avec une hauteur mieux adaptée et ce, sans surfacturation. Cette adaptation a permis la diminution globale du nombre de camions utilisés et donc des réductions des factures transport. Autre exemple, une analyse fine des grilles transport nous a permis de réaffecter des lignes à d'autres transporteurs moins coûteux qui faisaient déjà partie du panel transporteur existant. L’aide à la décision permet aussi de challenger et de réévaluer les KPIs : remplissage pondéré, retours à vide… Certains datent de plus de 10 ans et ne correspondent plus du tout à la réalité économique de l’entreprise, ils sont même parfois contre-productifs.
Cette étape cruciale permet par la suite de recueillir les contraintes métier qui seront prises en compte dans le modèle; pour n’en citer que quelques-unes : plages d'ouverture et capacités des sites, nombre maximal de ruptures de charge, temps opératoires (chargement, déchargement, manutention), type de moyens utilisés et leurs capacités, distance maximale à parcourir, temps de pause, relais, réglementation, flux en boucle (aller/retour, triangulaires), fréquence min/max de livraison, délais cible, flux retour (collecte, ramassage…).
Nous verrons par la suite que nous n'en avons pas fini avec les contraintes : en effet, il existe aussi des contraintes "non formalisées" ou des "contraintes tacites" qui ne s'obtiennent pas de la même manière que les contraintes métier génériques...
Il y aussi parfois des contraintes excessives, des « règles métiers » tout à fait efficaces, qui ayant pour but d’optimiser le plan manuellement, peuvent le dégrader si elles sont prises en compte au pied de la lettre dans le modèle.
Dernier élément important, un plan de transport est vivant! La demande n'est jamais stable, il y a constamment des pics, des creux, de nouveaux clients, de nouvelles cadences de production, etc. L’approche ne doit pas se limiter à prendre en compte une demande à un instant t, mais les modèles doivent intégrer la variation de la demande. La collecte de données offre une analyse fine de celle-ci ; le plan de transport optimisé sera ainsi robuste (à des scénarios de demandes probabilisés) et construit de telle manière à absorber ces variations.
La base 0 : une image fidèle de la supply chain pour caler la modélisation
Une fois les données et les contraintes validées, le point de passage obligé est la construction de la "base 0"; cette étape consiste à recréer le plus finement et fidèlement possible le fonctionnement actuel du transport sur une année ou sur une période de référence via les modèles mathématiques. Ceci permet de calibrer et de valider le modèle en le dépolluant dans un premier temps des événements exceptionnels (grèves, intempéries, périodes de transition…). La base 0 fiabilise a posteriori la qualité des données collectées et des hypothèses sur les coûts et les contraintes. Dans un second temps, une phase recommandée est de faire des projections ou des forecast de la demande, l'objectif de l'exercice étant de répondre à la question suivante : comment mon plan de transport actuel aurait réagi face à une variation de mes volumes ? Les scénarios étudiés par la suite seront comparés à cette base de référence et les résultats prendront en compte sa « réaction » face à ces évolutions de la demande. Incidemment, la visualisation de cette base 0 avec des outils de business intelligence dynamiques et focalisés sur les flux permet souvent de découvrir des aspects cachés de la supply chain (liaisons historiques mais pas forcément efficaces, habitudes…) ou obscurcis par des effets de moyenne.
La semaine type n'existe plus.
Au-delà de l'aspect purement technique et méthodologique, une base 0 qui reconstitue fidèlement le fonctionnement existant permet de créer un réel climat de confiance pour la suite du projet, les acteurs du projet sont alors plus sereins en voyant que l'on a pu leur fournir une image fidèle de leur plan de transport via un modèle mathématique appuyé sur des données complètes.
"What if scénarios" : sortir du cadre
Vient la phase des scénarios et des simulations ; la plupart du temps, les dirigeants de l’entreprise ont déjà une certaine idée des scénarios qu'ils souhaitent étudier : "Je m'ouvre à un nouveau marché géographique, je dois donc renforcer mon réseau logistique en positionnant un hub, une nouvelle technologie de transport est lancée : quel impact sur mon business ? Je lance une nouvelle offre : comment va-t-elle s'intégrer à mon réseau actuel ? Je fusionne avec un partenaire : comment profiter au mieux de cette synergie? Je veux remettre en cause la structure de mon réseau : ai-je trop de sites? Pas assez? Sont-ils positionnés de manière optimale ? Faire des relais améliorera mon service client ? De combien ? Quel est l'impact des pick and drop? Je veux rationaliser ma base client en purgeant les moins rentables à servir, etc."
Les étapes de récolte de données et de création de la base 0 nous ont par ailleurs permis de détecter de nouveaux leviers et de proposer variantes de scénarios qui n'étaient pas envisagées au début du projet. Le "what if" est un moyen d'aide à la décision précieux, puisque le fait de s'appuyer sur un modèle mathématique permet de chiffrer de manière très précise (« sensible ») l'impact de chaque décision sur le coût et la solution de transport et donc de diminuer grandement les risques tout en gagnant du temps.
Les gains économiques liés aux scénarios varient selon le degré de liberté que l'on se permet d'avoir, mais l'ordre de grandeur oscille entre 5% et 20% selon que l'on explore des optimisations à iso-réseau (optimisation des flux) ou en modifiant la structure du réseau (network design).
Aide à la mise en place et au déploiement : adhésion et appropriation
A ce stade nous sommes en bonne voie, l’équipe projet dispose d’une vision plus globale de l’activité, quelques quickwins ont déjà été détectés, et un scénario cible a été retenu : il engendre des gains et un réel potentiel d'amélioration. Il s’agit désormais de mettre en place la démarche pour aller chercher ces gains sur le terrain! C’est la phase de déploiement, où la direction se pose deux questions clés :
- Comment fais-je pour atteindre ces gains de manière rapide et efficace en fournissant le minimum d'efforts ?
- Comment convaincre mes équipes de la pertinence du nouveau plan de transport et emporter leur adhésion ?
Le premier point est classique. Les analyses du type "cost to serve" ou "coût complet" permettent de hiérarchiser les gains et ainsi de commencer le déploiement par le site ou le client qui rapporte le plus à l'unité (tonne, palette, roll….) transférée. Le gain apportera un effet de levier qui permettra de poursuivre le travail de refonte du plan de transport.
Le second est plus délicat. Plaçons-nous en situation : imaginez-vous en pleine refonte de plan de transport, votre outil d'optimisation (s'il est performant :-) promet un gain de 10% en transport, vous êtes en plein phase de déploiement et vous devez convaincre :
- un responsable d'agence dont l'intérêt principal est le délai promis à ses clients,
- un responsable d'exploitation qui lui pense à lisser la charge de travail de ses hommes malgré la saisonnalité de la demande,
- un acheteur transport régional qui a des budgets à respecter pour mieux négocier,
- un coordinateur transport régional qui a des objectifs de performance transport,
- et enfin, un contrôleur de gestion qui se soucie de l'état de ses stocks….
Toutes ces personnes travaillent dans une même entreprise mais ont des intérêts différents, et parfois conflictuels quand leurs objectifs ont été mal formulés. Améliorer les délais dégradera le coût de transport, diminuer les fréquences augmentera les stocks…
Le but de cette phase est de trouver une solution de compromis entre tous ces acteurs, tout en gardant en tête les objectifs globaux. EURODECISION est fréquemment confrontée à ce type de situations où il s'agit de remettre en cause une partie du mode d’organisation qui, rappelons-le, fonctionne correctement mais peut être optimisé. Notre expérience, parfois douloureuse, nous a alors amenés à développer un SIAD ("Système Interactif d'Aide à la Décision").
Un SIAD est une interface homme-machine reliée à des modules d'optimisation ; il permet de mener des ateliers interactifs avec les acteurs en charge du plan de transport, d'enrichir le modèle de leurs connaissances métier, de leurs usages, et de simuler l'impact de leurs décisions sur le plan local et global en temps réel! La notion temps réel prend tout son sens, parce que les opérationnels se sentent impliqués et écoutés dans l'affinement itératif du plan de transport.
Il n’est pas rare de voir tel ou tel opérateur de la chaîne de transport, renoncer à une contrainte, en pleine réunion, voyant son impact disproportionné sur les coûts.
Le SIAD permet également de prendre en compte des contraintes "non formalisées », tacites, jusque-là non prises en compte dans le modèle initial, ces contraintes étant très difficiles à recueillir en amont du projet parce qu'elles dépendent fortement de la perception de chaque interlocuteur et diffèrent de région à région ; de plus, c'est un type de contraintes respectées par le plan existant et que l'on ne peut exprimer que si l'on est confronté à une solution ou à une situation nouvelle. Pour n’en citer que quelques-unes : interdire/imposer des circuits ou des passages à quai, modifier des horaires de départ, imposer des délais, créer des moyens très spécifiques, imposer des fréquences, changer des temps de trajets….
Les ateliers en deviennent beaucoup plus dynamiques et constructifs, et chacun de rajouter sa pierre à la validation et l'affinement du nouveau plan de transport. Attention, pour que cette étape soit réussie, il est nécessaire que le modèle mathématique soit à la fois fin, par souci de réalisme, et optimal, car si en ajoutant une contrainte un opérateur constate que le coût de transport baisse, le modèle perdra toute crédibilité.
Refondre son plan de transport
Notre méthodologie a fait ses preuves sur plus d’une cinquantaine de clients et nous a permis de dégager des gains transport significatifs tout en remportant l'adhésion des équipes. Pour l’anecdote, 6 mois après le déploiement du plan de transport GEFCO en 2013 et les perturbations qui ont secoué le secteur, GEFCO a voulu relancer des optimisations de mise à jour et notre satisfaction fut grande lorsque nous avons appris que la demande venait de leurs équipes sur le terrain!
Le modèle fait foi.
Le plan de transport est une problématique tactico-opérationnelle où les gains, une fois détectés et validés, sont relativement faciles à mettre en place techniquement. Les résultats obtenus par nos modèles mathématiques sont le fruit de 25 ans de missions d’optimisation de la supply chain soutenus par une R&D vigoureuse traduite dans des logiciels d’optimisation du plan de transport.
Notre plateforme, SCOP, ne se substitue pas à un TMS : au contraire, elle s'alimente en données du TMS et le plan de transport résultant de l'optimisation est réinjecté dans le TMS pour la gestion opérationnelle et les améliorations au jour le jour. Notre plateforme permet de booster et d'optimiser le plan de transport en se basant sur des algorithmes d'optimisation extrêmement puissants : il faut plutôt la considérer comme des stéroïdes pour TMS.
La plateforme SCOP (Supply Chain Optmization Platform), distribuée en mode SaaS , constitue une solution complète et configurable permettant d’optimiser plusieurs problématiques métier du stratégique à l’opérationnel : network design, sourcing, forecast, capacity planning, plan de transport, tournées. Elle est couplée à des outils de cartographie, de business intelligence, de gestions des scénarios et de data management.
En mixant dans nos projets des consultants quantitatifs et des algorithmiciens, nous apprenons considérablement de nos clients, et c'est de cette proximité que nous avons pu développer et customiser nos plateformes, outils et méthodologies.
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Mohamed LONGOU est ingénieur et titulaire du Master en aide à la décision de Paris Dauphine (MODO). Il est consultant quantitatif-supply chain chez EURODECISION, éditeur de plateformes logicielles autour de l’optimisation de la supply chain, de la planification des ressources humaines et du pricing. Mohamed a participé à plus d’une dizaine de projet d’optimisation et de transformation de la supply chain. Il intervient dans les enseignements de Paris Dauphine et d'AgroParis Tech.
Benoit ROTTEMBOURG est docteur en mathématiques appliquées de l’Université Paris 6. Il a mis en place depuis plus de 25 ans des systèmes d'aide à la décision dans les univers du BTP, des télécoms, des médias, du transport et du tourisme. Il dirige les activités de conseil de la société EURODECISION, et intervient dans les enseignements de Telecom Lille, l’ENSAI, ESCP Europe et Sciences Po.