Ordonnances sur le travail : la fin des demi-réformes

Ordonnances sur le travail : la fin des demi-réformes

Le contenu, très commenté, des ordonnances sur le droit du travail, a largement occulté la réflexion sur la méthode choisie par le gouvernement. Pourtant, cette question est cruciale et laisse présager une forme nouvelle et durable d’élaboration de la norme sociale dans notre pays.

On sait que depuis la loi dite Larcher de janvier 2007, sorte de loi visant à expier l’échec du passage en force - par ordonnance… - du contrat première embauche au printemps 2006, les projets de réforme touchant le travail et l’emploi doivent être précédés d’un renvoi à la négociation aux partenaires sociaux interprofessionnels – ie au niveau national. Certes, cette disposition n’impose pas à l’Etat de reprendre dans la loi in extenso les termes de l’accord - une telle disposition aurait été inconstitutionnelle. Mais, en pratique, comment un gouvernement pourrait-il justifier politiquement de ne pas suivre le résultat d’un accord signé à la fois par l’ensemble du patronat et la majorité des syndicats ?

Certes, cette méthode a pu obtenir quelques succès quand les gouvernements ont indiqué fermement et précisément aux partenaires sociaux quel devait être le point d’aboutissement de la négociation – ce fut le cas notamment de la rupture conventionnelle du contrat de travail en 2008. Mais force est de constater que le plus souvent, les gouvernements sont restés assez passifs et n’ont fait que ratifier ces accords dans la loi, après les avoir qualifiés d’« avancées historiques » et avoir salué comme il se doit « l’esprit de responsabilité des partenaires sociaux ». Il en est résulté une série de demi- réformes – par exemple sur la sécurisation des parcours professionnels en 2013, ou encore sur la formation professionnelle en 2014 et l’assurance chômage en 2016.

Alors que la loi Larcher devait inaugurer une nouvelle ère de réformes élaborées dans un quasi consensus et mieux acceptables par l’opinion publique, elle a surtout servi de paravent commode à un pouvoir politique faible souhaitant surtout faire semblant de réformer. L’expérience a montré que les partenaires sociaux n’étaient pas capables de parvenir à des accords changeant fondamentalement la donne en matière de contrat de travail, de droit de la négociation collective ou de formation professionnelle. Parce qu’ils sont divisés – entre les syndicats, bien sûr, mais au sein même du patronat -, parce qu’ils privilégient parfois un mauvais accord à une reprise en main par l’Etat, parce qu’ils représentent peu ou mal de nombreux « outsiders » - les chômeurs, les travailleurs « uberisés », les précaires… - et aussi parce que la faible croissance limite le « grain à moudre » laissé aux négociateurs. Gérard Larcher lui-même, ne disait d’ailleurs pas autre chose dans une tribune publiée dans Les Echos en 2014 : « Si la négociation interprofessionnelle permet, en période de croissance, de faire les adaptations nécessaires, il en va tout autrement lorsque le pays, à la croisée des chemins, doit redéfinir son modèle économique et social. Cela suppose de telles réformes de structure qu’elles ne peuvent pas être assumées aujourd’hui totalement par les partenaires sociaux. »

A la croisée des chemins, nous y sommes… La méthode choisie par le gouvernement renoue avec une conception toute différente. Il y a eu tout d’abord un programme politique argumenté, débattu et validé par le suffrage universel de 2017 – à la différence des élections de 2012, où le droit du travail n’avait fait l’objet d’aucun débat.

Il y a eu ensuite le retour à une lecture orthodoxe de l’article 34 de la constitution, qui dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail ». Or la loi, elle –même expression de la volonté générale, ne saurait se réduire à la ratification d’un accord entre partenaires sociaux.

Enfin, le gouvernement n’a pas lésiné sur la concertation. Concerter, écouter, soupeser, prendre en compte les arguments des uns et des autres était évidemment indispensable. Mais au final, c’est bien le gouvernement, et lui seul, qui a décidé de la réforme dans ses moindres détails. C’est la raison pour laquelle il a pu aller aussi loin.

Il souhaite apparemment procéder de la même manière pour mener à bien les réformes annoncées en matière d’assurance chômage, de formation professionnelle et d’apprentissage. Et plus personne ne parle de la loi Larcher, qui n’a pourtant pas été abrogée… !

(Tribune publiée dans le journal Les Echos daté du 5 septembre 2017)

Bertrand Martinot, ancien délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle, co-auteur, avec Franck Morel, de « Un autre droit du travail est possible » (Fayard, 2016)


Cette nouvelle méthode permet à Force Ouvrière de revenir dans le clan des réformistes. Jean Claude Mailly a toujours critiqué la construction de la Loi par les partenaires sociaux, qui ont la légitimité apporté par leur représentativité, mais qui n'ont pas été élus par les citoyens. La Loi concerne l'ensemble des citoyens et donc doit être construite par le gouvernement et le Parlement. La concertation au moment de l'élaboration de la Loi avec les partenaires sociaux est indispensable et le gouvernement choisi la voie la plus adaptée, ordonnances ou non, au regard de son programme et de ses choix d'associer ou non les parlementaires. Cette clarification des responsabilités respectives reviendra nécessairement à s'interroger sur la place de la négociation interprofessionnelle. L'addition des couches de négociation avait tendance à complexifier et rendre "obèse" les Lois alimentées par les accord interprofessionnels, les ajouts du gouvernement et les amendements parlementaires. La solution est de donner aux accords de branche et d'entreprise une place plus importante. C'est l'occasion de renforcer le dialogue social au plus proche des salariés et de faire confiance aux partenaires sociaux sur le terrain. Cela permettra certainement aux salariés de mieux voir l'impact des accords d'entreprise et la nécessité de bien choisir qui peut le mieux les représenter.

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