# OUISTREHAM# Face au froid, l’indignité ?
Ce 31 janvier, dès 8 heures, des gardes mobiles sont venus intimer à une vingtaine de copains l'ordre d'éteindre le petit feu autour duquel ils s’étaient réunis. Il fait -3°. Tout est givré. Absolument personne ne peut tenir dehors dans des conditions pareilles, sans toit et sans chaleur. Les jeunes Soudanais de Ouistreham n’ont aucun endroit pérenne où se loger. S’ils restent ici, ce n’est pas qu’ils soient mal informés sur les procédures d’asile ou qu’ils aient oublié de revendiquer leurs droits. Pour la plupart, ils savent bien que leurs démarches n’ont aucune chance d’aboutir. Ils ne veulent pas retourner en Italie, où les autorités aimeraient bien les renvoyer vers la Libye, c’est-à-dire vers l’horreur. La moins pire des solutions qui leur reste est d’espérer passer en Angleterre.
La stratégie, en France, et singulièrement sur les côtes de la Manche où la France est chargée de contrôler la frontière avec l’Angleterre, est de faire en sorte que les personnes migrantes, qui sont déjà privées de nombre de leurs droits élémentaires, disparaissent du paysage. Il s’agit donc de ne leur accorder aucune aide et de rendre leurs conditions de vie aussi difficiles que possible. On joue ainsi sciemment avec la mort, en comptant cyniquement sur des associations et collectifs de citoyens pour s’assurer qu’il n’y ait pas de victime, et faire en sorte que la France soit autre chose qu’une terre d’indignité.
Début janvier, le député du Calvados Christophe Blanchet déclarait, avec une fierté non dissimulée, et surtout indécente, avoir obtenu que les forces de l’ordre puissent faire des contrôles d’identité inopinés dans un rayon de 5km autour des zones portuaires, pour, dit-il, « les conduire dans des centres d’hébergement », « distinguer les mineurs et les extraire du joug des passeurs », prendre des empreintes digitales et cesser d’être anonymes (https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/controle-identite-migrants-renforce-villes-portuaires-faire-quoi-1600301.html). Personne n’est dupe, y compris les plus hautes autorités : il s’agit de trier des êtres humains, confiner ceux qui sont jugés indésirables dans des centres de rétentions qui ressemblent de plus en plus à des camps d’enfermement, pour enfin expulser hors du territoire ceux qui ne peuvent pas ou plus présenter une demande d’asile en France.
Pourquoi faire ? Pour certains, à éviter ainsi de considérer la situation et d’agir de manière sensée, il s’agit avant tout de faire disparaître les traces d’une ignominie, en se persuadant qu’on peut dormir tranquille une fois que les contrôles ont été faits et les ordres appliqués. Cette attitude zélée peut encore se justifier pour les forces de l’ordre, qui obéissent à des directives qu’ils ne comprennent pas forcément, mais elle devient totalement irresponsable quand on est homme politique, et alors même qu’on dispose d’une certaine marge de manœuvre. M. Bail a beau se poser en victime, il n’est pas sans savoir que d’autres mairies mettent à disposition des hébergements ponctuels, partout en France et notamment tout à côté de Ouistreham. M. Blanchet, au lieu de s’enorgueillir d’avoir obtenu des mesures d’exception, ferait mieux de s’occuper de représenter le droit des gens, qu’ils soient de nationalité française ou non. Quand, dans un pays, des élus se soumettent avec tant d’empressement au pouvoir exécutif, on est en droit de se demander si nous vivons encore au sein d’une démocratie.
En tant que bénévoles, il ne nous appartient pas d’offrir des solutions durables à des problèmes d’envergure nationale et internationale. Mais, avec tous ceux qui s'en indignent, nous entendons montrer qu’il suffit d’un peu de bon sens, d'humanité et de solidarité, pour faire progresser les choses. Ainsi continuerons-nous, tant qu’il le faudra et quel qu’en soit le prix, à aider localement nos copains de Ouistreham, tant qu’ils seront là, attirés par le ferry et leur rêve d'Outre-Manche.