Pêche artisanale en Mauritanie : Petite pêche, grands dégâts ? (Cas du poulpe)

Cela fait maintenant plus de douze ans (août 2012) que le développement non contrôlé de la pêche artisanale du poulpe à Nouadhibou a pris une tournure inquiétante. Cette pêcherie a attiré de nouveaux investisseurs dotés de capitaux économiques ou politiques (grands commerçants, certains acteurs du système politique…) non liés auparavant à l’activité halieutique.

 Ce segment artisanal était la parade au départ, un peu forcé, à l’exclusion des céphalopodiers industriels européens en 2012, opérant dans le cadre d’accord de pêche, de la zone maritime mauritanienne (qui pêchaient environ 10 000 tonnes de poulpe par an). Ce retrait s’expliquait par le manque de surplus de poulpe à exploiter par cette flottille étrangère dans notre zone de pêche. Le développement exponentiel de ce segment artisanal intervient aussi dans un contexte de vieillissement et de l’immobilisation alarmante de la pêche hauturière nationale (pêche industrielle).

La situation du poulpe, déjà critique, ne fait qu’empirer. L’état de cette ressource s’est globalement dégradé au fil du temps et les recettes budgétaires versées au trésor mauritanien dans le cadre de ces accords de pêche avec l’Union européenne pour cette catégorie ne sont plus au rendez-vous.

L’objectif de ramener les captures au niveau des quotas fixés en 2016 n’a pas été atteint en raison notamment du très grands dépassements des prises de la pêche artisanale. Au lieu des 8400 tonnes de quotas fixés initialement en 2016 par le Ministère des Pêche et de l’Economie Maritime pour ce segment, ses captures ont dépassé, certaines années, 27 000 tonnes sur les 30 000 tonnes de captures habituellement recommandées par l’IMROP.

Ce grand dérapage devrait faire dresser les cheveux sur la tête de n’importe quel mauritanien soucieux de l’avenir du secteur des pêche et du poulpe en particulier. Depuis plusieurs années, en particulier à partir de 2018, quoique gérée en dépit du bon sens, le poulpe bénéficie paradoxalement d’une relative résilience à l’effondrement ; mais pour combien de temps encore.

Pour espérer redresser la situation de grands chantiers prioritaires doivent être mis rapidement en place dont je développe ici deux aspects.

La première priorité serait de restaurer le capital biologique du poulpe car c’est bien le nombre de poissons qui détermine le nombre de pêcheurs et de navires de pêche et pas l’inverse. Une réalité triviale mais souvent ignorée. Des moyens à la mesure de ce chantier doivent être mobilisés au profit de l’IMROP et des Gardes Côtes en plus de l’Administration Centrale du Ministère des Pêches.

La deuxième priorité est de rompre avec le climat du laisser-faire sous forme d’accès quasi-libre à cette pêcherie artisanale. Il faut chercher à organiser les pêcheurs artisans sur de nouvelles bases en donnant les commandes aux jeunes, bien formés dans le domaine et réellement actifs sur le «  terrain ». La filière artisanale est rattachée à une multitude de fédérations et d’associations. La séparation fonctionnelle et organisationnelle entre activités productives et activités de traitement et de transformation de ce produit halieutique, entravent la cohésion entre ces différents intérêts. Une organisation forte ; comme c’était le cas de la Fédération Nationale de Pêche ; serait capable de résister à l’épreuve du temps et aux chocs et tensions endogènes et exogènes. En raison, apparemment, de manque de bonne gouvernance mais aussi d’autres considérations, celle-ci s’est scindée en plusieurs fédérations rivales qui opèrent en ordre dispersé. Plusieurs des représentants de ces fédérations préconisent de nouvelles augmentations de quotas pour une ressource déjà à l’agonie. Voilà bien l’un des nœuds du problème : comment réunir une majorité de professionnels autour d’objectifs consensuels pour la durabilité de cette ressource halieutique en prônant, dans les paroles et les actes, plus de rigueur avant d’atteindre la côte d’alerte. Les mises de côté de ces querelles partisanes sont de nature à faire éviter, au secteur des pêches dans son ensemble, de continuer à sombrer dans un immobilisme, synonyme d’effondrement du poulpe, une richesse stratégique à plus d’un titre. Ce qui permet d’éviter le pire cauchemar vécu par les acteurs de cette filière à Dakhla ; à moins de 500 km de Nouadhibou, il y a environ vingt ans. A l’époque, tous les indicateurs socio-économiques et biologiques étaient au rouge : arrêt biologique de huit mois ; baisse des captures de 100 000 tonnes en 2001 à moins de 16 000 tonnes en 2003; érosion des entrées de devises de 200 millions en 2001 contre 20 millions en 2003. Au niveau social plus de 10 000 pêcheurs se sont retrouvés au chômage et l’économie de la région était sinistrée. Cette crise, liée à une situation de surexploitation du poulpe, était déjà latente au milieu des années 1990. La solution arrêtée passait par la limitation de l’effort de pêche (le nombre de bateaux de pêche). Ce qui a motivé la non-reconduction de l’accord de pêche avec l’Union européenne pour cette catégorie en 1999.  En 2004, avec le retrait et la casse de la moitié du parc piroguier de Dakhla, les autorités marocaines reconnaissant explicitement que c’est la pêche artisanale nationale qui est responsable de cet effondrement. La pilule était très amère mais certainement nécessaire pour inverser la tendance. Sommes-nous disposés à vivre le même scénario cauchemardesque ?

En Mauritanie, la situation de surexploitation du poulpe diagnostiquée en 2023 par l’IMROP ne nous laisse pas d’autre choix que de mettre en œuvre une solution rapide, sans quoi nous risquons de perdre le minimum de contrôle que nous avons sur cette ressource naturellement instable et imprévisible. Le moment est sans doute venu d’agir avant qu’il ne soit trop tard. La responsabilité des uns et des autres est très lourde.

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