Paradis fiscaux: le jackpot des banques françaises
Dan Israel -15 mars 2016-Mediapart
Aux Bermudes, aux îles Caïmans, mais aussi au Luxembourg ou en Irlande, BNP Paribas, BPCE, Crédit agricole, Crédit mutuel-CIC et Société générale ont bien fait leur nid. Un rapport décortiquant leurs activités sur place établit que leurs salariés, peu nombreux, y sont étonnamment productifs et amassent des millions d'euros. Qui sont en général fort peu taxés.
Mais que peuvent bien faire les banques dans les paradis fiscaux ? Cela fait des années que des ONG françaises (se) posent la question, et tentent de décortiquer les rapports annuels des établissements hexagonaux afin d’y dénicher une réponse. Pour la première fois cette année, leurs conclusions sont parfaitement informées sur l’activité des banques et de leurs filiales, partout dans le monde.
Le rapport publié mercredi 16 mars par le CCFD-Terre solidaire, Oxfam et le Secours catholique-Caritas (en partenariat avec la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires) s’appuie en effet sur les chiffres détaillés fournis par les banques elles-mêmes. La loi de séparation bancaire de juillet 2013 les a en effet contraintes à se plier au « reporting pays par pays », un concept inventé au début des années 2000 par les activistes du Tax Justice Network, et reconnu peu à peu par toutes les instances internationales.
L’an dernier, les banques avaient dévoilé quelques-unes des données concernant leurs filiales, mais il a fallu attendre ces derniers mois pour que l’obligation de publication touche tous les paramètres. Et les observateurs peuvent donc désormais savoir, pour chacune des banques, et pour presque toutes leurs filiales partout dans le monde, quelle y est la nature de leur activité, leurs effectifs, leur chiffre d’affaires et leur bénéfice, ainsi que les impôts payés et les subventions reçues.
Le rapport publié aujourd’hui analyse les chiffres 2015 fournis par les cinq plus grandes banques françaises : BNP Paribas, BPCE, Crédit agricole, Crédit mutuel-CIC, Société générale. Et les conclusions sont sans appel : un quart de l’activité internationale des banques françaises (13,5 milliards d’euros sur 53 milliards) est réalisé depuis des pays considérés comme des paradis fiscaux, réglementaires et judiciaires, et un tiers de l’ensemble de leurs filiales à l’étranger s’y trouvent (641 filiales sur 1 854). Pour cette étude, les ONG ont utilisé la liste des « paradis » établie tous les deux ans par le Tax Justice Network, tout en retirant les États-Unis et le Royaume-Uni, qui concentrent une grande partie de l’activité financière mondiale. Ce choix est offensif, et loin des listes établies officiellement par la France et l’Union européenne : quatre des dix territoires où les banques françaises déclarent le plus de bénéfices sont des États membres de l’UE…
Pour les auteurs du rapport, aucun doute, les indices concordent : « Les banques utilisent les paradis fiscaux à des fins d’évitement fiscal et réglementaire. » Premier indice, les banques françaises réalisent un tiers de leurs bénéfices internationaux dans les paradis fiscaux. Et le Luxembourg, trou noir de la finance européenne, « accueille à lui seul 11 % de leurs bénéfices internationaux ». C’est le Crédit mutuel-CIC qui se distingue le plus, avec 44 % de tous ses bénéfices internationaux déclarés dans des paradis fiscaux.
Des activités fort lucratives. Il faut dire que les activités bancaires sont 60 % plus lucratives dans les paradis fiscaux que dans le reste du monde. Les données sont très disparates : les activités de la Société générale y rapportent même plus de quatre fois plus que dans les autres pays. En Irlande, les activités de la Société générale dégagent même 18 fois plus de bénéfices que dans les autres pays et… 76 fois plus qu’en France, où elle exerce surtout des activités classiques de banque de détail (guichet, prêts aux particuliers et aux entreprises…). Le Crédit mutuel est la seule banque qui possède un taux de profitabilité plus faible dans les paradis fiscaux que dans les autres pays. Sans doute parce qu’elle exerce moins d’activités de banques de financement et d’investissement.
Certains cas ne peuvent par ailleurs qu’attirer l’attention : à six reprises, notamment aux Caïmans, le chiffre d’affaires déclaré est équivalent aux bénéfices dégagés ! « La banque n’a-t-elle aucune charge ou frais de fonctionnement dans ce territoire, tout en y dégageant des bénéfices ? Transfère-t-elle artificiellement ses bénéfices dans le territoire en question? Ou alors profite-elle des souplesses réglementaires offertes par ces juridictions afin de se livrer à des activités spéculatives et risquées mais très lucratives? » La réponse n’est pas évidente à apporter, mais « la déconnexion est alors patente entre les bénéfices dégagés et l’activité économique réelle ».