Parce qu’il n’est jamais trop tard pour « devenir qui l’on est »
Même si le sujet n’est pas directement lié à la sphère professionnelle, bon nombre de mes contacts sont des personnes « atypiques », « haut potentiel », « surdouées », « autistes ». Je leur dédie cet article 😊
En 2018, le fils d’une de mes connaissances, âgé de 16 ans, haut potentiel intellectuel, hospitalisé en raison de ses difficultés à gérer sa douance, s’est suicidé à l’hôpital.
En 2019, Evaëlle, 11 ans, enfant précoce, s’est suicidée suite à un harcèlement scolaire et plus étonnant, de l’une de ses professeurs.
Ces événements dramatiques font écho à l’enfant que j’ai été et m’ont poussée à apporter mon modeste témoignage d’enfant précoce et de l’adulte que je suis devenue. Je vais vous parler des souffrances et incompréhensions qui ont jalonné mon chemin mais aussi de ma résilience. Mon but n’est pas de dresser un portrait-robot du surdoué, d’étiqueter ce qu’est le haut-potentiel, d’enfermer le haut-potentiel dans une prison. Je vais simplement parler de moi, de mon vécu, avec mes mots, évoquer celle que j’étais et celle vers qui je tends aujourd’hui au prix d’une remise en question profonde qui a démarré il y a maintenant trois ans. Parce qu’il n’est jamais trop tard pour « devenir qui l’on est » 😊
Les souvenirs de ma petite enfance
Avec mon regard d’adulte, je repense à l’enfant que j’étais.
A 3 ans, j’apprends à lire le soir de Noël grâce à un jeu éducatif que mes parents m’ont offert.
A 4 ans, j’ai mon premier dictionnaire et mon premier Scrabble, version enfant. Je passe aussi mes dimanches à regarder mes parents jouer au vrai Scrabble, cherchant les mots que ces lettres mélangées pourraient bien former.
Oui, je sais, cela semble cliché, mais mon enfance ressemblait à ça, sous l’œil de mes parents qui ne sont même pas spécialement surpris par ce qu’ils observent. Ils n’ont qu’un enfant et n’ont donc aucun point de comparaison.
A 6 ans, je suis au CP. Je m’ennuie et je bavarde en classe…normal quand on sait déjà lire depuis 3 ans. L’institutrice écrit dans le premier bulletin trimestriel que je suis bavarde. J’ai droit à de violentes remontrances de la part de mon père. Ma volonté de lui faire plaisir provoquera mon silence en classe pendant les dix années suivantes. Ne pas parler, ne pas faire de vagues, ne pas déplaire. Je le comprends très vite.
A 7 ans, je me passionne pour les animaux. A 8 ans, pour la météorologie, les volcans, le corps humain…Je suis curieuse de tout.
J’ai de très bonnes notes à l’école. Je me souviens de la sévérité de certains enseignants avec moi. Il m’est par exemple arrivé au CE2 de mal réaliser un exercice de mathématiques. L’institutrice avait convoqué ma mère pour lui en parler. Avec le recul, je trouve cela hallucinant de convoquer les parents d’un gamin qui est premier de la classe parce qu’une fois dans l’année, il n’a pas su faire un exercice. J’ai le souvenir de deux autres événements similaires, un au CM1 et un en 4ème, comme si aucun écart n’était toléré chez le premier ou la première de la classe. Quelle pression incroyable ! Cette réalité éducative des années 80-90 est à mon sens très nocive pour l’estime d’eux-mêmes que les enfants devraient pouvoir développer à cet âge.
Je suis une enfant très lucide et je perçois avec découragement l’absurdité du monde qui m’entoure, ses incohérences, les mensonges des gens. Enfant, j’avais déjà pris conscience du fait que nous détruisions notre planète. J’avais une certaine conscience écologique.
Je n’ai pas le souvenir d’avoir été une enfant très gaie. Il y a toujours eu une sorte de « gravité » en moi.
Le test
A 9 ans, un test vient me coller l’étiquette de « précoce ». Je n’en ai aucune souvenir…Peut-être parce que mes parents ont totalement éludé ce diagnostic, par méconnaissance des implications qu’il pouvait avoir. Pour mon père, cela signifie avant tout que je DOIS avoir de bonnes notes. On sait bien aujourd’hui qu’être « enfant précoce », haut potentiel, zèbre etc, n’est pas toujours une garantie de succès scolaire. Mais la compréhension de mon père était celle-là, et je l’ai très bien intégrée.
La prise de conscience brutale de ma différence
En fin d’année de CM1, j’ai 9 ans et demi. L’institutrice nous demande d’apporter des jeux de société lors des derniers jours de classe en juin. J’apporte une pile de « Science et Vie », magazine auquel mes parents m’ont abonnée (le vrai, pas la version junior). Mes petits camarades, sauf une, me regardent comme une extra-terrestre, se moquent de moi. C’est ce jour-là que j’ai compris que quelque chose ne tournait pas probablement pas rond en moi. Mon obsession suite à cet événement a été de me conformer le plus possible à ce que l’on attendait apparemment de moi : être comme tout le monde en classe et surtout avoir de bonnes notes pour que mon père soit content.
S’adapter, s’adapter, s’adapter…
Je rentre au collège, difficile époque de l’adolescence, période de la vie où l’intégration dans un groupe est primordiale. Après la terrible anecdote de la pile de « Science et Vie », je tente tant bien que mal d’imiter mes petits camarades. Je les observe pour essayer d’être comme eux mais c’est un échec cuisant. Je devais être une bien piètre actrice car mes petits camarades me rejettent avec violence ou me prennent pour cible de leurs moqueries même quand je fais des efforts surhumains pour leur ressembler. Je traverse ces longues années de collège et de lycée avec peu d’ami(e)s. Je me sens de moins en moins à ma place. Je me sens comme « posée » là, étrangère à ce qui m’entoure, incapable de comprendre ce qui anime mes petits camarades. Je ne partage pas les mêmes centres d’intérêt qu’eux et leurs conversations m’ennuient. Ma sensibilité est à fleur de peau : je m’émeus de la beauté du monde, des œuvres d’art, de petits détails que personne ne semble percevoir. L’adolescence exacerbe certains traits de caractères qui sont encore bien présents en moi aujourd’hui, notamment un côté excessif. J’aime passionnément ou je déteste avec violence. Je peux rester concentrée pendant des heures sur une tâche si elle me fait vibrer. Il n’y a pas de demi-mesure en moi, pas de limites. La demi-mesure, les limites, c’est l’ennui, c’est la mort. L’excès est la preuve que je suis en vie.
Certains professeurs ont été de vraies lumières dans ce parcours chaotique, me donnant la force de continuer. D’autres m’ont détruite par leurs remarques. Je me souviens par exemple qu’en 6ème, nous devions faire une fiche de lecture et j’avais noté avec beaucoup d’intérêt la poésie de certains mots. La prof de français avait dit devant toute la classe que ce n’était pas « possible d’être touchée par ça ». Quand une figure d’autorité comme un professeur vient signaler un élément comme celui-ci, cela n’aide pas les petits camarades à faire preuve de bienveillance envers l’élève qui sort un peu de la norme.
Mon père ne m’accorde aucun droit à l’erreur. J’ai beau être première de la classe pendant de nombreuses années, ce n’est apparemment jamais assez bien pour lui. Je ne sais pas quoi faire pour « mériter » son amour. Les bonnes notes ne suffisent pas. Il me reproche d’être « instruite mais pas intelligente ». Selon lui, mon intelligence est donc une vaste fumisterie et à ses yeux, je ne vaux rien. C’est donc tout naturellement qu’à cette période de l’adolescence, je développe un perfectionnisme intolérable et asservissant, me fixant des objectifs de plus en plus difficilement atteignables pour lui faire plaisir, le satisfaire, lui, l’éternel insatisfait, lui, cette figure d’autorité, mais certainement pas une figure d’amour. Le manque d’amour de mon père est un fardeau dont j’ai longtemps souffert, mais dont je me déleste un peu plus chaque jour.
Vers l’âge adulte et les premiers amours
C’est sur le socle de l’amour parental que l’on construit l’adulte que l’on devient. Pour ma part, c’est sur le socle du désamour de mon père que j’ai posé les premières briques de ma vie de femme. Ce désamour de mon père m’a longtemps fait douter de ma capacité à être aimée. J’ai vécu plusieurs relations longues avec des partenaires auxquels je me suis sur-adaptée, parce que c’était tout simplement ce que j’avais toujours fait depuis ma plus tendre enfance. Le modèle sur lequel je m’étais construite était celui d’un amour conditionnel que je ne pouvais obtenir que si j’étais « parfaite » (mais que veut vraiment dire être parfaite ? je n’en sais rien !). Malgré mes efforts de sur-adaptation, mes différents partenaires ont tous été déstabilisés par mes comportements : ils me trouvaient fantasque, immature, exaltée, excessive, épuisante parce qu’inépuisable (je passais d’une « lubie » à l’autre), trop sensible (émotions intenses, sensibilité aux variations de température, au bruit, aux lumières trop fortes etc), d’humeur instable (parce que mes émotions, ce sont les montagnes russes !). Bref, impossible à suivre et à surtout comprendre.
Un chemin vers soi
En 2017, j’ai 39 ans, je suis en couple depuis 7 ans et maman d’une petite fille qui a alors 4 ans. La relation avec mon compagnon est pour le moins compliquée.
C’est dans ce contexte que ma vie a changé. Brutalement et radicalement. L’Univers a mis sur ma route une personne surdouée qui m’a éveillée à moi-même, qui a vu en un regard que j’étais surdouée (et c’est bien connu, les surdoués se reconnaissent entre eux 😊) et qui m’a fait lire « Trop intelligent pour être heureux » de Jeanne Siaud-Facchin.
C’était le vendredi 10 novembre 2017. Les deux jours qui suivent, je lis le livre. Je pleure en parcourant ces pages que j’aurais pu écrire. Je comprends enfin que tout ce que je trouve « bizarre » en moi était la « norme » chez les surdoués. J’ai réalisé que ce diagnostic mis de côté par mes parents expliquait qui j’étais en profondeur. Etre surdoué, ce n’est pas être plus intelligent que les autres. Ce n’est pas avoir de bonnes notes à l’école. Etre surdoué, c’est avant tout un mode de fonctionnement cérébral particulier. En avoir conscience permet de faire un énorme pas dans la connaissance de soi. J’ai compris que pendant des années, je m’étais perdue à force de me sur-adapter aux autres. Tous ces masques que je portais pour faire plaisir, ce n’était pas moi. Et surtout, ces masques ne m’empêchaient pas d’être perçue comme différente par la plupart des gens. Alors pourquoi continuer à me faire du mal ? Pourquoi ne pas être enfin MOI ?
Mais quand on a passé 30 ans dans le déni de soi, on ne sait justement pas qui l’on est vraiment. Les mois qui ont suivi la lecture du livre de Jeanne Siaud-Facchin sont des mois douloureux : la nuit noire de l’âme. Toutes les bases sur lesquelles j’avais construit ma vie se sont écroulées une à une. Je me suis retrouvée morcelée, comme des milliers d’éclats de verre brisé. L’âme lutte de toutes ses forces contre le changement, engendrant une grande souffrance émotionnelle et physique. Mais la vague de la renaissance est trop forte. Un à un, je ramasse ces éclats de verre, je m’y blesse, je saigne, et je me reconstruis, avec douleur et courage. Je m’ouvre aussi à une plus grande spiritualité. Il est grand temps que je devienne qui je suis.
J’ai su dès la lecture de ce livre qu’il y aurait des dommages collatéraux, le premier étant ma relation de couple qui n’a pas pu résister à ma renaissance. Pour une fois dans ma vie, je me suis choisie moi, quoi qu’il en coûte. Je pensais être égoïste en me séparant du père de ma fille. Mais ce n’est pas être égoïste d’avoir assez d’amour pour soi-même, loin de là. J’espère être un bon exemple pour ma fille qui apprend avec moi ce qu’est l’authenticité, l’acceptation totale et l’amour inconditionnel de soi-même.
Et maintenant ?
Presque trois ans après le début de ma renaissance, je m’approche chaque jour un peu plus de mon propre équilibre intérieur, et de l’alignement de mon cœur, mon corps et mon cerveau. J’observe mon chemin avec fierté parce qu’il en faut du courage, pour oser être soi ! Cette nouvelle vie que je m’accorde, c’est une vie dans laquelle je m’autorise à ETRE, brisant peu à peu les prisons mentales qui sont si nuisibles à l’épanouissement. J’ose me reconnecter à ma flamme intérieure, vibrer, créer, espérer, désirer, aimer. Pour moi, l’élan vital et la puissance de l’individu résident dans le désir, qui est la force qui permet de réaliser des miracles et surtout de se réaliser soi.
Je voudrais ajouter que l’étiquette « haut potentiel » m’a permis à un moment de mon existence d’avoir suffisamment de lucidité par rapport à ce que j’expérimentais pour pouvoir me mettre en mouvement et changer. Mais cette étiquette n’est pas ce qui me définit. Et surtout, chaque personne atypique est atypique à sa façon. Même si on peut par exemple retrouver des caractéristiques communes entre deux surdoués, chaque individu est unique. Cultivez vos différences et ne tombez pas dans le piège d’une étiquette qui voudrait vous faire rentrer dans la « norme » de ce que devrait être une personne atypique.
Pour finir, si je devais donner quelques conseils à tous les parents d’enfants atypiques mais aussi à tous les adultes qui n’acceptent pas encore pleinement leur potentiel, je dirais :
- Encouragez votre enfant au quotidien. Les enfants atypiques sont souvent en proie aux doutes et il est important de les rassurer et de leur montrer qu’on est fier d’eux.
- Valorisez les différences de votre enfant/vos différences. Si vous êtes atypique et parent d’un enfant atypique, montrez-lui l’exemple en vous acceptant pleinement.
- Il ne sert à rien de faire semblant, de se sur-adapter. Les autres ne sont pas dupes. L’authenticité paye et permet d’avoir un positionnement juste avec les autres. Quand on adopte ce positionnement vrai, les autres ont tendance à l’adopter aussi.
- Vous ne pouvez pas plaire à tout le monde. Quoi que vous fassiez, on vous critiquera. Raison de plus pour ne pas faire semblant ! Est-ce que votre but est d’être « aimé » de tous au point de vous « sacrifier » ? Ou bien préférez-vous être entouré de peu de personnes de confiance qui vous apprécieront tel que vous êtes ?
- Aimez-vous ! Aimez-vous vraiment, inconditionnellement, et les autres en feront de même !
J’espère par ce récit apporter un peu de lumière à celles et ceux qui sont peut-être sur ce chemin difficile de découverte de soi. Je tenais vraiment à montrer que l’amour inconditionnel de soi est la clé pour un futur plein de rêves et d’espoirs 😊
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4 ansUn immense merci aux personnes qui ont liké et partagé cet article (notamment ✔ Catherine Régnier et laurence amato), ainsi qu’à celles qui m’ont écrit sur la messagerie pour échanger. Ecrire cet article m’a permis d’avoir quelques compréhensions supplémentaires. J’ai réalisé juste après avoir posté l’article que je n’ai pas du tout abordé la question de la douance au travail. Il y avait pourtant beaucoup à en dire, surtout sur un réseau social professionnel…ce sera peut-être l’objet d’un autre texte 😊 La découverte et la compréhension de soi ne se limitent évidemment pas à trois ans dans une vie, c’est plutôt le travail d’une vie entière. Alors je continue ce chemin…
Impose ta chance, serre ton bonheur, va vers ton risque.
4 ansMerci beaucoup pour ce partage riche et précieux
Inventeur en créativité, chercheur d'étincelle, j'écris pour allumer les étoiles
4 ansBravo Cynthia pour ce beau chemin à la découverte de vous-même :)
Responsable Connaissance Client / DataScientist
4 ansUn grand merci Cynthia pour votre courage et votre émouvant témoignage qui je pense résonnera pour certains