PARIS - LES RUES HONTEUSES AU MOYEN-AGE

PARIS - LES RUES HONTEUSES AU MOYEN-AGE

LES RUES HONTEUSES AU MOYEN-AGE
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Nous avons très-peu de renseignements sur l’histoire des mauvais lieux de Paris au moyen âge, et c’est à peine si nous pouvons établir d’une manière positive leur situation topographique à des époques antérieures au seizième siècle. Cependant, à partir du treizième siècle, nous les trouvons nommés dans les actes (instrumenta) publics de la prévôté, dans les cartulaires des paroisses et des couvents, dans les papiers terriers, dans les comptes de différentes juridictions et même dans les poésies populaires. Il nous est donc permis d’étudier, à l’aide de ces autorités, l’ancienne topographie de la prostitution parisienne.
Malheureusement, en relevant avec peine cette carte routière des rues honteuses de la capitale, nous sommes dans l’impossibilité d’y joindre des détails pittoresques et de curieuses particularités, qui viendraient distraire le lecteur au milieu d’une monotone dissertation d’antiquaire. Ces particularités et ces détails nous manquent absolument, et, si nous savons quelles rues et quelles ruelles avaient alors la triste destination que plusieurs d’elles ont conservée jusqu’à nos jours, nous ne savons pas quel était l’aspect extérieur de ces séjours de débauche, quels étaient leurs noms et leurs enseignes (du moins pour le plus grand nombre), quel était le système ordinaire de leur organisation impudique, quelle était leur physionomie intérieure. Tout, sur ce chapitre, est livré au domaine de l’imagination, qui a le soin de chercher dans Rabelais et même dans Regnier les couleurs appropriées à la peinture des bordeaux de nos ancêtres. Mais, néanmoins, quoique nous n’ayons que des notions très-vagues et très-imparfaites sur les arcanes d’un pareil sujet, nous croyons utile et intéressant de dresser l’inventaire archéologique de ces mauvais lieux, que nous verrons s’éloigner graduellement du centre de la cité et qui semblent avoir été les fiefs de dame Vénus et de son fils Cupidon, que le moyen âge français n’entourait guère de réminiscences mythologiques.
Dans ces temps de privilèges et de traditions, chaque métier possédait en propre certains quartiers et certaines rues, auxquels il attachait son nom : là étaient les ouvroirs, les fenêtres, les étaux des maîtres de ce métier ; là seulement ils concentraient leur industrie et leur commerce. La prostitution, qui se régissait comme un de ces métiers, n’aurait pu se confiner dans un seul quartier ni occuper quelques rues attenantes l’une à l’autre ; car il était de son essence, comme de son intérêt, de diviser ses forces et de rayonner dans tous les quartiers à la fois, pour être plus à même d’étendre partout ses filets et d’y faire tomber plus de victimes. La police, qui la réglementait, s’opposa toujours à cette diffusion du libertinage sur tous les points de la ville, et elle travailla constamment à restreindre le domaine impur qu’elle concédait aux femmes communes. Telle est la lutte que nous présente, pendant plusieurs siècles, la prostitution de Paris, qui tient tête tour à tour à l’autorité de l’archevêque, à celle du prévôt, à celle du parlement, même à celle du roi. Ses empiétements, ses obstinations, ses audaces, résistent aux ordonnances, aux arrêts et aux sergents ; elle ne cède que de guerre lasse un terrain qui lui plaît et que la tradition lui attribue ; elle y revient sans cesse, après en avoir été chassée, et ne l’abandonne jamais entièrement ; elle n’est pas difficile, d’ailleurs, sur le choix des lieux où elle se fixe : elle se rend justice, en adoptant de préférence les rues les plus sombres, les plus étroites, les plus sales, les plus infectes ; c’est une habitude qu’elle garde encore aujourd’hui, comme si elle n’osait pas sortir de son repaire, comme si l’air que respirent les honnêtes gens était malsain pour elle. De même que les juifs qui n’avaient pas le droit de mettre le pied hors de leur Juiverie et qui s’y voyaient enfermer la nuit, à l’instar des lépreux dans leurs ladreries, les ribaudes et leur infâme séquelle ne dépassaient pas les limites de leur résidence privilégiée, sous peine de s’exposer au fouet, à la prison ou à l’amende ; mais, depuis que leur existence légale avait été réglée par les ordonnances de saint Louis, elles n’avaient plus besoin de se cacher, pour vaquer à leur scandaleuse profession, pourvu qu’elles se conformassent aux prescriptions et aux statuts de la ribaudie.
Le plus ancien document dans lequel nous trouvons une nomenclature des mauvais lieux de Paris, c’est un poëme ou un monologue en vers, composé au treizième siècle par un certain Guillot, qui ne nous est connu que par son Dit des Hues de Paris. Ce poëme fut publié pour la première fois en 1754 par l’abbé Lebeuf, d’après un manuscrit qu’il avait découvert à Dijon et qu’il déposa dans la bibliothèque de l’abbé Fleury, chanoine de Notre-Dame. Depuis cette époque, on a souvent réimprimé l’ouvrage de Guillot, et l’on s’en est servi surtout pour Fixer la topographie parisienne au treizième siècle ; car on peut dater de 1270 ce catalogue rimé, où l’acteur parle de Dom Sequence, chefecier de Saint-Merry, comme d’un contemporain ; or, ce personnage vivait encore en 1283.

Texte extrait de Curiosités de l'histoire du vieux Paris - Paul Lacroix - 1858

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