Parlons logos -1
Richard Branson et la serviette en papier. Une belle histoire de logo.
Les logotypes, tout le monde à un avis sur la question, y compris moi. Bon logos, mauvais logos, logos scandaleux, recette du logo parfait… Parlons logos…
Premier épisode :
Il y a quelque temps, Richard Branson a publié sur son compte LinkedIn une des belles histoires motivantes dont il a le secret. En résumé, en farfouillant dans ses archives, il a retrouvé la lettre (1979) officialisant le choix du nouveau logotype de Virgin. Cette (re)trouvaille lui donne l’occasion de nous narrer la genèse de ce logo. Une belle histoire : un jour, un « jeune designer » lui propose de remplacer le logo dessiné par Roger Dean par autre chose, et il griffonne un truc sur une serviette en papier, « and that was it ». Et hop ! Virgin change de logo, en commençant par le sticker des 33 tours, le choix de la couleur étant laissé, la lettre en témoigne, au choix du designer, appelé «Ken». L’article est illustré par une photo de la dite lettre, sur laquelle était encore presque trombonnée le prototype du sticker. Et une une photo de la serviette en papier griffonnée et du stylo…
En voilà une belle histoire, et les commentateurs ne manquent pas d’en célébrer les vertus éducatives, et de louer la grandeur de son auteur, Richard Branson.
Moi même, je trouve la leçon édifiante, spécialement adressée à quelque client potentiel, puisqu’elle fait l’éloge de la spontanéité, de la confiance accordée au designer. Le tout pour une opération « win-win » d’anthologie.
Tous les commentateurs, sauf un, qui demande —faussement (?) naïf– quel est donc le nom du « young designer ».
Un autre versant de l’histoire.
D’après Brian Cooke, le young designer est en faite une équipe, le travail sur le logo est une commande, et si il y a bien une serviette en papier dans l’histoire, c'est un gimmick commercial, opportunément sortie lors d’une réunion de présentation devant le staff de Virgin elle focalise l'attention. Et le gribouillage est en fait le point de départ d’un travail de plusieurs mois de mise au point, avec plusieurs techniques calligraphique, du travail photo au banc repro, un travail d’adaptation aux différents supports… sans compter la recherche et la présentation des « autres pistes créatives». Une histoire qui ressemble en fait à beaucoup d’autres, en matière de création de logo à l’époque pré-informatique.
Une histoire largement aussi édifiante que celle de Richard Branson.
En passant, il devient évident que la serviette en papier de l’illustration, accompagnée de son stylo anachronique… n’est certainement pas l’authentique serviette en papier (1978).
Alors, pourquoi Richard Branson a-t-il trouvé nécéssaire de nous conter cette anecdote ?
Qui a raison ? Qui a menti ?
En fait personne. La distorsion vient de la différence de perception des deux protagonistes. Ce qui est choquant pour Brian Cooke, et pour les designers en général, c’est le « that was it » de Richard Branson. Comme si, le logotype était passé directement de la serviette à la rondelle de Vinyl (puis au soda et aux innombrables produits jusqu’à la queue des avions et au nez des vaisseaux spatiaux) par une sorte d’opération magique, sans qu’il soit nécéssaire de créditer qui que ce soit, pour ce qu’il serait difficile de qualifier de travail - ni apparemment, de le rémunérer pour les déclinaisons, si j'en crois la fin de l'article de B. Cookes.
Pour Richard Branson, la serviette en papier c’est la fin. Pour Brian Cooke et son équipe, c’est le début.
On peut comprendre l’agacement de B. Cooke car il est très énervant pour un graphiste, de voir son travail ainsi méprisé, tenu pour négligeable, relégué à un apport « technique ». Un discours paradoxal qui dit à la fois « je suis génial, c'est moi qui l'ai fait et c'est super-top-beau » et « les graphistes sont de prétentieux technos-tâcherons qui se prennent pour des artistes, des acteurs culturels». Quand je le fais, c'est grandiose, quand ils le font c'est des escrocs… Un story telling qui évacue facilement les personnages secondaires… Heu… secondaires ???
La genése d'un logo
Concevoir un logo est un processus fait de différentes étapes. D'abord la conception, le graphiste doit comprendre le problème du client, savoir qui il est, ce qu'il fait, à qui il s'adresse, comment ? sur quels supports ? par quels moyens ? Pendant tout le processus de création, le graphiste a du remettre en question son talent, sa compétence. Recevoir et accepter, en toute humilité les remarques et les critiques de ses collaborateurs. Laisser d’autres que lui transformer sa création, accepter de travailler sur le concept et sous la direction d’un pair. C’est le jeu, cela nécessite du respect, de l’humilité, de la tolérance et de l’acceptation. Et de la patience aussi, car il s’agit parfois de s’occuper de détails, de la pente d’une ligne, de la pointe d’un angle dont l’importance ne saute pas aux yeux.
Et cela devient très… perturbant quand il s’agit de demandes du client, auquel il est parfois difficile de reconnaitre une compétence dans notre domaine, à nous, les graphistes. Un domaine que nous aimons bien préserver ; où l’une des expériences les plus pénibles et d’avoir le client, ou son représentant derrière notre épaule, le doigt sur l’écran, nous suggérant –si c’est possible, techniquement– tel ou tel changement. Une situation que l’on rencontre depuis l’avènement du numérique, et que j’évite absolument car le client n’en retirera qu’une seule impression : j’ai-tout-fait-et-c’était-pas-si-dur-que-ça, et le graphiste le sentiment d’avoir été empéché de faire son travail… C’est un peu comme si, au restaurant, vous alliez en cuisine, conseiller le Chef sur ses recettes, les modifier avant d’avoir été servi…
Mais là où ça se complique, c’est lorsque nous laissons le client en dehors de la « cuisine », monsieur Branson en l’occurence ne retient que le moment décisif : le moment de la serviette en papier. Avec l’impression, parfois, d’avoir-tout-fait ce qui implique que en-fait-ce-n’était-pas-si-compliqué-que-ça.
Un peu vexant pour le designer.
Mais c’est le métier. Dans le grand public, qui connaît Saul Bass, John Pasche, Milton Glaser, Carolyn Davidson, Joe Petagno ?
Ils ne sont personne à côté de leurs œuvres. Tout le monde connait Esso, (I love) New York, Nike, les Rolling Stones ou Motörhead.
Et vous savez quoi ? Comme le logo de Virgin, tous les logos qu’ils ont réalisé, et en fait la grande majorité des (bons) logos de cette planète sont nés, au tout début, d’un crayonné, celui-ci est de Raymond Lœwy.
Et parfois, et sans doute, et forcément, sur des supports encore plus étranges qu’une serviette en papier.
Maintenant à la question, pourquoi Richard Branson nous raconte-t-il cela, je ne vois qu’une seule réponse : pour nous distraire.
De la part du gars qui a signé les Sex Pistols, designés par Jamie Reid, et inspirés par Guy Debord, le contraire serait étonnant. Nous distraire en se "donnant" en spectacle.
The show must go on !
Et il est très bien ce logo Virgin !