«Pas un film d'animation, mais un film dessiné» Comme avec «Josep», le dessin animé entre dans l’âge adulte

«Pas un film d'animation, mais un film dessiné» Comme avec «Josep», le dessin animé entre dans l’âge adulte

De plus en plus de beaux films d’animation pour adultes voient le jour : «Les Hirondelles de Kaboul », «J’ai perdu mon corps», «Valse avec Bachir» ou, aujourd’hui, «Josep». Mais les producteurs peinent encore à les rentabiliser.

C'est un film d'animation où il est question de réfugiés qui fuient le franquisme, de camps de concentration, de gendarmes cruels et même d'un viol, hors champ, néanmoins terrifiant. En salles aujourd'hui, « Josep » met en scène l'amitié entre un réfugié espagnol et un gendarme français dans un camp du sud de l'Hexagone en 1939. A travers des dessins magnifiques qui s'animent, se figent ou que l'on voit en train de se faire, le dessinateur de presse et réalisateur Aurel signe une ode au dessin et un film bouleversant… Mais pas pour les enfants.

Depuis « Persepolis » (2007), où Marjane Satrapi racontait son enfance à Téhéran, plusieurs dessins animés s'adressent clairement aux adultes ou aux adolescents pour aborder des thèmes violents, comme la guerre, le fondamentalisme ou la mutilation : « Valse avec Bachir », « Les Hirondelles de Kaboul », « La jeune fille sans mains », « Téhéran tabou »« J'ai perdu mon corps » … « Le dessin permet une distanciation par rapport à la réalité, décrypte Aurel. Grâce à lui, on peut montrer des choses qui seraient insupportables en prises de vues réelles. »

Des difficultés pour rentabiliser les budgets

Souvent encensés par la critique, ces longs-métrages d'animation sont de plus en plus présents dans les festivals ou les cérémonies : « Josep » a été sélectionné au Festival de Cannes 2020, où « J'ai perdu mon corps », qui a décroché deux Césars, a remporté le Grand Prix de la Semaine de la critique en 2019… Pourtant, peu de ces films permettent à leurs producteurs de rentrer dans leurs frais. Si « Persepolis » a engrangé 1,5 million d'entrées et « Valse avec Bachir » 650 000, « Les Hirondelles de Kaboul » n'en ont totalisé que 320 000, « Parvana » 232 000 et « J'ai perdu mon corps » 220 000… Des scores très honorables, mais insuffisants pour rentabiliser des budgets qui oscillent souvent entre 5 et 10 millions d'euros — le coût nécessaire pour rémunérer des dizaines d'animateurs et techniciens pendant un à deux ans.

« L'animation pour adultes, c'est un secteur mal identifié par le grand public, souligne Marc du Pontavice, producteur de J'ai perdu mon corps. Les termes semblent presque contradictoires. » Producteur de « Josep » et de « Valse avec Bachir », Serge Lalou reconnaît qu'aujourd'hui, le public des films d'animation pour adultes reste surtout composé de cinéphiles qui fréquentent les salles art et essai.

Le constat est partagé par Armelle Glorennec, productrice de « Ma vie de Courgette » : ce film sur la maltraitance avait réalisé 900 000 entrées, mais « grâce au thème de l'enfance » selon l'intéressée. L'an dernier, après avoir produit « Le voyage du prince », un petit bijou aux lignes épurées, mais « qui ne s'adressait pas assez clairement aux enfants » et n'a réalisé que 70 000 entrées, Armelle Glorennec a ainsi décidé de « se recentrer sur des projets d'animation jeunesse »…

«Pas un film d'animation, mais un film dessiné»

Malgré la complexité du genre, d'autres producteurs continuent d'investir dans l'animation pour adultes parce qu'ils croient en son intérêt artistique et en son avenir. « On a fabriqué J'ai perdu mon corps pour montrer que l'animation ne s'interdisait aucun territoire », assure Marc du Pontavice à propos de ce film sur l'errance d'une main coupée. A propos de « Josep », Serge Lalou confie de son côté avoir voulu « inventer quelque chose qui ne s'était jamais fait : pas un film d'animation, mais un film dessiné ».

Pour ce dernier, « plus il y aura de longs-métrages d'animation pour adultes, plus ceux-ci trouveront leur public ». Marc du Pontavice, lui, mise sur le fait que les adultes de demain auront été « biberonnés à l'animation ». Et pense que les plateformes peuvent contribuer à l'essor du genre, lui qui a rentabilisé « J'ai perdu mon corps » en vendant ses droits étrangers à Netflix : « Le film a d'ailleurs très bien marché sur la plateforme, où cartonnent des séries américaines d'animation pour adultes ». Producteur exécutif des « Hirondelles de Kaboul », Ivan Rouveure renchérit : « Les plateformes permettent de diffuser les films d'animation pour adultes dans de nombreux pays. Et c'est un média parfaitement complémentaire de la salle pour ces longs-métrages pas économiquement rentables, mais destinés à un amortissement à long terme. »

Reste que, pour les spécialistes, le film d'animation pour adultes doit, comme le film d'animation en général, se « décloisonner » avant de toucher le grand public. « Il y a encore une identification globale de l'animation à une sous-culture », regrette Serge Lalou. Qui voudrait notamment en finir avec le César de l'animation pour qu'enfin, les films animés soient considérés comme des films « comme les autres ».

Source : Le Parisien - Catherine Balle


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