Perdre pour grandir comme coach

Perdre pour grandir comme coach

Pour soutenir efficacement les personnes qui traversent un sentiment d’échec, de perte ou de deuil, il est crucial de comprendre la complexité de ces expériences émotionnelles. L’art du coach est de trouver l’équilibre entre une empathie profonde et le maintien d’un ancrage rassurant. Ce n’est pas toujours facile. Par trop de proximité avec notre client, nous risquons de nous laisser emporter par son émotion et même de pleurer avec lui. À l’inverse, trop de distance peut être perçue comme du détachement, ce qui freinera son implication dans un travail de réparation.

Outre la douleur de la perte, l’anxiété face à l’inconnu assombrit souvent le tableau. Celle-ci est d’autant plus forte que le deuil ou le licenciement a été brutal. La priorité est alors de restaurer un sentiment de sécurité intérieure, c’est-à-dire la certitude que quoi qu’il advienne, les ressources nécessaires pour rebondir résident en notre for intérieur.

Il n’existe pas de formation officielle dans les académies de coaching pour devenir ce type d’accompagnateur. Pour acquérir cette expertise, rien ne remplace l’école des coups durs. Ayant perdu tous les miens, j’avais déjà effectué un apprentissage douloureux. Le destin m’a offert des cours de révision…


C’est arrivé en 2015. J’étais coach depuis près de dix ans et tout semblait aller pour le mieux. Je travaillais activement pour deux grandes sociétés de conseil avec qui j’entretenais des relations excellentes et je passais du temps à me former avec passion. De petits détails au départ insignifiants ont attiré mon attention : je me sentais de plus en plus courbaturé et ces douleurs semblaient s’amplifier avec le temps. De plus, bien que je me couchais tôt, j’avais tendance à me réveiller de plus en plus tard et cependant je me sentais fatigué H24. Mon état ressemblait à un burnout, pourtant, je n’avais fait aucun excès qui aurait pu l’expliquer. Puis j’ai vu mon esprit s’embrumer et je me suis mis à oublier fréquemment de rappeler ceux qui me laissaient des messages. Mon médecin, perplexe, ne comprenait pas. Soudain, la douleur devint effroyable au point qu’il m’est arrivé parfois de pleurer. Elle voyageait dans mon dos et mes fesses et descendait parfois le long de mes cuisses. Étant donné qu’elle changeait sans arrêt d’endroit, les techniques méditatives de contrôle de la douleur que j’avais apprises lors de mes nombreuses formations ne m’étaient d’aucun secours. En faisant des recherches sur internet, j’ai découvert que mes symptômes correspondaient point par point à la définition de la fibromyalgie. Je suis tombé sur des éléments additionnels angoissants : maladie invalidante, intensité de douleur extrême, et surtout aucun véritable traitement n’existe à ce jour…

Une nuit vers 3 h du matin alors que la souffrance m’empêchait de dormir, j’ai fait par réflexe ce que j’avais appris lors d’un stage : je me suis posé la question : « Et si cette douleur était une émotion, quelle serait-elle ? » La réponse fusa : « la culpabilité ». Je me suis alors demandé « D’où vient cette culpabilité ? ». Quelques souvenirs que j’aurais voulu enfouir à tout jamais dans mon esprit refirent surface. Je me revis adolescent, à l’âge où j’avais découvert les discothèques. Je rentrais chez moi à trois ou quatre heures du matin. Et là, ma grand-mère était encore debout, elle m’attendait, elle m’expliquait qu’elle avait tellement peur pour moi et qu’elle ne pouvait pas aller se coucher. Puis elle se plaignait de son immense fatigue et ajoutait que j’étais en train de la faire mourir. Elle insistait : comment pouvais-je être aussi ingrat alors qu’elle avait tout sacrifié pour m’élever ? En réentendant ses paroles, je me mis à ressentir à nouveau les sentiments de l’époque, à me détester et à me considérer comme un monstre. Bref à me haïr pour mon égoïsme. Pour tenter de calmer mon trouble, je me mis à pratiquer les tapotements EFT (page XXXX) en me répétant en boucle de lâcher prise et de me libérer de toute cette culpabilité. Au bout de quelques minutes, un premier soulagement vint éclaircir mon esprit embrumé. Cela me permit de prendre conscience de ce que j’avais refusé de voir à l’époque : ma grand-mère sombrait dans la démence et m’accablait injustement. Face à sa raison vacillante, je m’étais pris pour un démon. Depuis ce temps, je m’abîmai dans une haine viscérale de ma personne et ces douleurs n’étaient que la matérialisation ultime de cette détestation de moi-même.

Comprenant cela, je me suis mis à tapoter avec insistances les points situés aux ongles de l’index et du majeur qui correspondent respectivement à la culpabilité et à la honte. Soudain, les douleurs s’évanouirent. Je ne souffrais plus, je ne m’en voulais plus ; c’était merveilleux ! Cette épopée solitaire m’avait épuisé, je m’endormis comme une masse.

Le réveil fut une délivrance : plus de douleur ! J’avais envie de hurler ma joie. L’enthousiasme fut de courte durée car je découvris rapidement que la souffrance avait laissé la place à un épuisement extrême. Chaque jour devint un combat pour émerger à 15 h et pour sombrer à nouveau à 23 h. Entre ces deux créneaux, je vivotais, lessivé. Mon médecin, perplexe devant mes analyses, m’expliqua que ma fibromyalgie désormais asymptomatique serait à jamais impossible à diagnostiquer. Mais il se réjouit : j’avais échappé à l’une des pires souffrances, supérieure même à certains cancers.

Mes journées se résumèrent à faire des courses, à manger et à comater devant mon ordinateur. J’ai alors commis la grave erreur de sauvegarder des documents confidentiels sur un cloud non sécurisé. Quelques jours plus tard, l’un de mes employeurs m’a appelé, furieux. Mes factures avec le nom de mes clients étaient visibles par tout le monde. Il s’agissait d’une grave violation du secret professionnel. J’ai immédiatement rectifié l’erreur, mais le ton de mon interlocuteur m’a fait comprendre que je ne travaillerais plus avec eux. L’autre cabinet n’avait aucune opportunité de coaching à me proposer pour le moment. J’ai sombré dans la spirale. Je me suis retrouvé seul, sans aucune force. L’absence de travail a été quelque peu bénéfique — j’avais tout mon temps pour récupérer — mais par contre, je n’avais plus aucun revenu. Je dormais constamment, je me négligeais physiquement et je ne vérifiais plus mes comptes. Un jour, le coup de massue est tombé : j’étais à découvert depuis plus d’un mois, et si je ne reconstituais pas mes fonds rapidement, je risquais une interdiction bancaire de 10 ans. Mon loyer est également resté impayé et j’étais à deux doigts d’une procédure d’huissier. J’ai plongé dans un désespoir total.

Je ne sortais quasiment plus de mon lit, même quand j’étais réveillé. Je m’imaginais SDF et chaque pensée devenait douloureuse. Puis les paroles de mon médecin me revinrent en tête : c’était déjà bien que je ne souffre plus. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai adopté une perspective positive qui m’a redonné de l’énergie. Rapidement, je me suis senti chanceux, heureux et j’ai redécouvert la gratitude..

À partir de ce moment, j’ai commencé à redresser la barre. Un partner avec qui j’avais gardé un lien amical m’a prêté de l’argent et m’a rassuré en me disant : « Tu devras me rembourser, bien sûr, mais prends ton temps et concentre-toi d’abord sur ta remise sur pied. » Mon téléphone s’est remis à sonner et les rendez-vous ont commencé à revenir. Au début, je ne les honorais que l’après-midi ; puis, j’ai commencé à me réveiller à 13 heures, 12 heures, 11 heures, 10 heures, et ainsi de suite. Et en seulement 3 mois, ma fatigue n’était plus qu’un lointain souvenir.


Ce genre de parcours tumultueux est loin d’être rare dans ma profession. J’ai entendu de nombreuses histoires similaires de la part de collègues qui ont enduré des épreuves pour en ressortir plus forts et surtout plus sages.

Il y a peut-être une certaine logique à cela. Notre profession exige une connaissance profonde de la souffrance humaine. Cependant, la véritable compréhension de la douleur d’autrui ne peut être atteinte que par l’expérience personnelle. C’est en surmontant nos propres tourments que nous acquérons l’empathie nécessaire pour soulager la souffrance des autres.

Ces expériences douloureuses, aussi déchirantes soient-elles, nous ouvrent les yeux sur la complexité de l’âme. Elles révèlent des aspects de nous-mêmes que nous ne soupçonnions pas. Elles nous enseignent la résilience, la force intérieure qui permet de renaître de ses cendres.

Ainsi forgés et transformés par ces épreuves, nous sommes alors en mesure de remplir pleinement notre rôle de compagnon. Armés de nos blessures cicatrisées, nous sommes capables de soigner celles de nos semblables. C’est de cette initiation par le feu que naissent les qualités de l’accompagnateur.

Yves BOGAERT 💚

En exploration, né en 323 ppm

1 ans

Prise de parole très éloquente et lucide! Belle audace et courage de partager cela publiquement !

Séverine Robidou ✨

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1 ans

Merci pour ce témoignage Stephane très éclairant sur les ressources dont disposent un être humain même quand il pense que tout est fini. Il a les clés en lui pour renaître 😉 Bravo pour avoir rebondi dans cette étape difficile de ta vie!

Martine Vullierme

Executive Advisor & Coach de dirigeants Administratrice certifiée

1 ans

Merci Stephane Broutin pour ce témoignage poignant. Ce moment si particulier où comme tu dis on redresse la barre, où l'on donne un coup de pied au fond de la piscine... nous avons en chacun de nous la ressource pour y parvenir, et pourtant c'est souvent si difficile. C'est aussi cela que nous cherchons à aider nos clients à trouver, la capacité à atteindre ce point de retournement.

Gael Guennec

Coach professionnel pour un leadership authentique au service d’un impact durable

1 ans

Merci Stephane. pour ce partage. Cela m'a beaucoup ému de te lire.

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