Permis de végétaliser, véritable empowerment ou gadget « bobo » ?

Permis de végétaliser, véritable empowerment ou gadget « bobo » ?

Pour faire face à l’engouement des citadins pour la Nature en ville, de nombreuses communes -à l’instar de la capitale- proposent à leurs habitants un « permis de végétaliser ». Il s’agit le plus souvent d’un dispositif déclaratif dans le cadre duquel les habitants notifient à la mairie leur intention de procéder à des plantations sur l’espace public, à charge pour eux de respecter un certain cahier des charges.

Notre association Haie-Magique milite pour redonner aux citadins le droit de s’approprier leur environnement et d’accéder à un nature non artificialisée. Pourtant cette démarche ne nous donne pas pleinement satisfaction, et ce pour plusieurs raisons.

Ces dispositifs s’adressent en général aux citoyens, en tant qu’individus. Il s’agit de permettre à tout un chacun de planter au pied de l’arbre qui est devant sa maison ou d’organiser quelques plants d’herbes fraiches sur le pied d’immeuble. Même si des associations ou des groupements plus informels peuvent se voir délivrer un permis, ce qui est mis en avant, c’est la possibilité pour un individu, sous réserve d’obtention du permis, de s’approprier une partie de l’espace public pour y faire à sa guise (dans le respect du cahier des charges).

La démarche consistant à s'adresser aux individus nous semble un contre-sens du point de vue socio-culturel et s’inscrit finalement dans la tendance délétère de la résidentialisation des villes et de leur gentrification. L’espace public doit rester un bien commun et il n’est pas judicieux d’encourager ce qui ressemble de près ou de loin à une appropriation privée de ce patrimoine collectif, même si la cause (« plus de nature en ville ») est parfaitement légitime. En donnant à des individus une maitrise d’usage sur l’espace public (y compris des micro-espaces comme des pieds d’arbres), on renforce la tendance naturelle des gens à vouloir protéger ce dont ils s’occupent et finalement à en exclure les autres. Tous ceux qui ont conduit des projets de jardins partagés sauront de quoi je parle : en amont des projets, les discussions tournent essentiellement sur le type de clôture, sa hauteur et sa solidité, l’impérieuse nécessité de se protéger contre le vandalisme, le vol et toute forme d’intrusion.

L’engouement des citadins pour mettre plus de nature en ville, pour expérimenter du jardinage productif à proximité immédiate de chez eux, est une réalité : nous l’expérimentons partout où nous intervenons, notamment chez les publics les plus jeunes, et y compris dans les quartiers les plus défavorisés. Cet engouement doit être vu comme une formidable opportunité sociale de transformation de nos villes, de restauration du lien de proximité et du fameux vivre-ensemble. Pour cette raison, les pouvoirs publics doivent favoriser les démarches collectives, portées par des groupes informels ou des associations. Dans une optique de durabilité également (voir plus bas), ces démarches doivent se construire de manière transversale, en associant des acteurs relevant de différents champs d’action, dans une véritable dynamique de coopération.

Ensuite, il ne faut pas que ce permis de végétaliser soit source d’illusions et détourne finalement des vraies questions. Dans nos villes telles qu’elles sont aujourd’hui conçues et gérées, la nature occupe une place assignée par les urbanistes, qui la conçoivent essentiellement comme un élément de mobilier urbain. Ces touches vertes disséminées dans la matrice urbaine constituent une Nature bien spécifique, organisée pour être entretenue de manière industrielle, pour limiter les nuisances induites par une nature trop sauvage. En ville, la Nature est « fonctionnelle » ; elle doit répondre aux attentes et aux besoins des citadins, tout en limitant les coûts et contraintes de gestion.

En bref, la nature en ville telle qu’elle nous est aujourd’hui imposée, c’est très technique, çà demande de gros moyens et une planification d’ensemble qui laisse forcément peu de place à l’initiative et à la fantaisie individuelle. En témoignent d’ailleurs les cahiers des charges de certains permis de végétaliser qui sont tellement rigoureux, qu’à part reproduire vaguement ce que les services municipaux réalisent sur les ronds-points, tout est interdit. Dans ce contexte, le permis de végétaliser est une autorisation d’aller « graboter » la terre devant chez soi pour y mettre 3 bulbes (c’est déjà très bien) mais il ne faudrait surtout pas laisser penser aux gens que c’est de cette manière qu’on va transformer la Ville ou soutenir la biodiversité.

A propos de la nécessaire dynamique coopérative qui doit présider à l’appropriation des espaces publics par les citoyens, un autre aspect nous semble fondamental. Aujourd’hui il s’agit tout autant d’éduquer au développement durable qu’à la protection de la nature. Or créer la nature en ville en installant des végétaux, c’est prendre un engagement, un engagement vis-à-vis de la communauté mais aussi à l’égard des végétaux qui ne sont pas une matière inerte. Or à l’échelle d’un individu (citadin qui plus est), cet engagement est difficile à tenir: qui arrosera pendant les vacances d’été, qui prendra la suite en cas de déménagement ? Bien sur la solution à ces questions est elle-même génératrice de lien social mais elle ne s’impose pas naturellement : elle doit être suggérée ou orchestrée par des institutions ou des groupes qui ont les moyens, le savoir-faire pour organiser la coopération indispensable à une végétalisation durable.

Article publié initialement sur le blog de l'association Haie-Magique

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