Peut-on écrire un (bon) roman si on ne lit pas, ou peu ?
C’est connu, en France « on écrit beaucoup mais on ne lit pas assez ». Les maisons d’édition sont nombreuses à se plaindre de ces manuscrits qui arrivent par paquets, rédigés par des femmes et des hommes qui manifestement ne lisent pas. Mais est-ce véritablement un problème pour l’écriture de lire peu ?
Il me semble, à peu de chose près, que c’est un sujet que j’aborde très rapidement avec les personnes qui veulent me soumettre un manuscrit : Prenez-vous le temps de lire ? je demande. Vous pouvez me répondre que cela n’est pas vraiment le sujet, que certaines personnes ont un réel talent pour l’écriture, des prédispositions, blabla. J’en conviens. Certaines personnes mettent bien plus facilement en mots que d’autres. Mais il y a un monde entre « avoir des prédispositions » et « écrire un bon roman », et ne pas faire la différence, c’est aller droit dans le mur. Je m’explique.
Lire fait partie intégrante de l’entraînement à l’écriture, pour ne pas dire que cela est presque l’entraînement numéro un de tout bon auteur. Comment pouvez-vous savoir ce que sont une belle tournure, un beau style, une intrigue prenante, un personnage attachant ou captivant si vous ne lisez pas ? Comment pensez-vous pouvoir transmettre au lecteur une envie de vous suivre si vous-même, vous ne vous laissez pas embarquer régulièrement (pour ne pas dire tous les jours) par un bon livre ? Passons par l’analogie pour être plus pédagogue : Diriez-vous à quelqu’un qui veut devenir joueur de foot professionnel qu’il lui suffit de s’entraîner à taper dans la balle ? J’ai du mal à le croire. Vous lui conseilleriez de visionner les plus grands matchs de l’histoire du football, de s’intéresser aux progressions formidables de tel ou tel joueur, d’analyser dans le détail chaque coup, chaque frappe, chaque action, de tirer des leçons et des enseignements de l’échec de telle équipe, etc. C’est indéniablement en s’inspirant des meilleurs et des loupés, et en les décortiquant, qu’on enrichit son savoir-faire et son exigence. Bien que vous puissiez vous sentir seul au monde en écrivant, vous entrez en réalité dans la communauté des millions d’écrivains qui ont testé, et continuent de le faire, des choses. Tout cela doit vous nourrir, vous aider à comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et vous permettre de trouver votre place, unique, dans ce décor où tout le monde tâtonne, recommence, transmet. On peut même pousser l’analogie encore plus loin : il n’existe pas de musicien professionnel qui n’écoute pas de musique autre que la sienne ! Et fort heureusement ! Pour bien écrire, il faut être un bon lecteur.
S’agit-il alors de lire uniquement des classiques et des prix Nobel ? Non, pas que, mais oui, quand même ! La littérature est un art, il ne s’agit pas que de raconter une histoire, il faut la raconter dans un français impeccable, avec un sens de l’intrigue et du vocabulaire, de l’humour, de l’intelligence, une perception fine de ce qui a besoin d’être détaillé et de ce qui se suffit à lui-même. Il faut écrire sans se regarder écrire, tout en travaillant chaque phrase, chaque transition, chaque chute. La « grande » littérature vous offre sur un plateau des exemples magnifiques qui toucheront votre âme au plus haut point : Flaubert, Hugo, Dostoïevski, Garcia Marquez, Saramago… Il y a mille noms à citer d’auteurs si abordables que beaucoup d’écrivains en herbe boudent, de peur de ne pas les comprendre. Pour lire, il ne faut pas avoir peur, il ne faut pas redouter d’être mis en échec par le texte, car un très bon texte met rarement en échec. Madame Bovary est très accessible, Les trois mousquetaires aussi. C’est l’idée que l’on peut s’en faire qui pose problème, pas le texte. Oui, ça demande du temps, oui, il faut s’entraîner à lire. Mais quand je vois que près de 30 % des Français se sont mis à courir (ce qui demande du temps, de la patience et de l’effort), je me dis que nous sommes tous capables de nous mettre à lire.
La littérature contemporaine est tout aussi indispensable. Déjà, parce qu’elle nous inscrit dans le monde. Elle nous donne à voir l’humanité telle qu’elle est perçue et décrite à notre époque. Et si vous tenez, vous aussi, à partager votre vision du monde par le biais d’une histoire, alors vous devez savoir dans quel registre actuel vous vous inscrivez. C’est cette allée et venue entre l’ancien et le récent qui va vous donner les billes pour trouver votre ton, votre signature. Cela se fera spontanément.
Franchement, et sans prétention aucune, je réalise au bout de deux pages de manuscrit si celui-ci est écrit par quelqu’un qui lit un peu, modérément, ou beaucoup. Et il n’y a pas à hésiter : les personnes qui lisent le plus sont celles qui écrivent le mieux, le « mieux » signifiant ici un manuscrit entraînant tant par son intrigue que par son style.
L-I-S-E-Z.
Beaucoup.
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Laissez tomber les réseaux sociaux en soirée, il n’en restera rien le lendemain.
Alors qu’il vous restera toujours quelque chose d’un bon bouquin.
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Psychologue clinicien, auteur
3 ansElle a été faite Sébastien Fritsch, à la fin, si vous avez bien lu jusqu'au bout !! :-) Je précise que je plaisante. Très bon propos tellement vrai et pertinent. Merci à vous.
Romancier, enseignant de physique chimie, pharmacien
3 ansCela devrait être évident pour tous ceux qui prétendent écrire. Et si ça ne l'est pas, ils devraient commencer par lire cet argumentaire, très bien construit et auquel j'adhère du premier au dernier mot (même si j'aurais préféré une comparaison musicale plutôt que footballistique ; mais chacun sa passion).