Peut-on être bien-né et mal-logé ?    
l’agence, la parisienne et le climat

Peut-on être bien-né et mal-logé ? l’agence, la parisienne et le climat


Un achat immobilier, c’est sérieux. C’est même, pour la plupart d’entre nous, l’investissement financier le plus important que l’on a à faire au cours de sa vie. Alors, on ne s’engage pas à la légère. Si l’on doit s’endetter pour vingt ou vingt-cinq ans, il faut que ça en vaille la peine. Surtout, on ne devrait jamais avoir à le regretter.

Quant aux prix de l’immobilier, ils ont explosé. Nos parents contractaient des crédits sur dix ans, quinze dans le pire des cas ; les emprunteurs d’aujourd’hui s’estimeront heureux s’ils remboursent leurs prêts en moins de deux décennies. Les taux sont encore bas, nous assène-ton. La belle affaire ! Car, dans le même temps, l’immobilier ne cesse de se renchérir. Les vendeurs y trouveraient-ils leurs comptes ? Encore faut-il qu’ils n’aient pas à acheter un nouveau logement dans la foulée. Et si certains propriétaires vendent avantageusement leurs biens, in fine tout le monde finit par acheter très cher. Ne cherchez pas plus loin les raisons d’une baisse de la mobilité résidentielle. Beaucoup d’acquéreurs se lassent de devoir passer un grand oral chez leur banquier à qui ils exposent leurs revenus, leurs situations professionnelles et l’inventaire de leurs crédits à la consommation, pour se voir, au finish, refuser leurs financements. Tout cela n’incite pas à la prise de risques, au changement, au pari sur l’avenir. Alors, on devient prudent, on se contente de ce que l’on a. Tant pis pour nos rêves !

Et que dire de la valeur immobilière stratosphérique dans les métropoles ? Qui pourrait s’en réjouir ? « C’est la loi du marché », « Certains peuvent se le permettre » entend-on. Certes, mais cela ne tend-il pas à faire de l’achat immobilier dans les grandes villes un luxe, un privilège de nantis … A Paris, les biens immobiliers s’arrachent sur des marchés internationaux ; il n’est plus question de logement mais de placement dont on attend des retombées d’ordre spéculatif.

Paris, c’est la ville des amoureux, c’est bien connu, mais c’est aussi la ville des célibataires. La proportion de personnes vivant seules y est bien plus élevée qu’ailleurs (26,7% contre 14% dans le reste de la France). La solitude des grandes villes est un lieu commun poétique. Mais pratiquement parlant, cela veut dire qu’on y réalise souvent sa première acquisition immobilière en solo. Le petit studio, le mini deux-pièces signé à la hâte, en vue de se constituer un capital solide, facile à revendre, est le passage obligé pour presque tous les « primos » des zones tendues. Mais, rares, en réalité, sont ceux qui, dans la capitale, ont les moyens de se payer un petit chez-soi bien à eux. Il faut avoir des revenus confortables et une belle situation professionnelle pour se le permettre.

Alors, qui sont ces jeunes acquéreurs qui décident nonobstant de casser leur tirelire pour une trentaine de m² hors de prix ? De fringuants CSP+ voués à un brillant avenir ? Un startuper très malin, particulièrement habile à lever des fonds ? Ou bien encore cette surdiplômée, sûre de son talent et passée par les plus brillantes écoles internationales ? Qui sait, nous la tenons peut-être notre héroïne du moment : une parisienne génération X qui n’a plus grand-chose voir avec les égéries évanescentes que le dessinateur Kiraz croquait, il y a quelques décennies, sur les pages de Paris-Match.

Car notre milléniale a du tempérament. Elle n’est pas du genre à se laisser faire. Elle sait prendre les choses en main, tant dans sa réussite professionnelle que dans sa vie personnelle. Comptez sur elle pour rassembler ses économies de cadre sup’, ce   surplus arraché de haute lutte aux tentations du consumérisme urbain ( il faudra tout de même y ajouter l’héritage laissé par une aïeule généreuse ). Comptez sur elle pour mettre à la raison ce petit banquier pointilleux et tracassier qui fait du zèle en ergotant sur ses feuilles de paye. Comptez sur elle, encore, lorsqu’il s’agira de dégoter la bonne affaire immobilière.

Nous y voilà, la bonne affaire ! D’ailleurs, elle l’a trouvé son petit bout de plancher parisien. C’est vrai qu’il n’est pas trop cher cet appart’ situé dans un quartier vieillot, mais à la fois terriblement branché. Alors, on ne va pas faire la difficile. A la guerre comme à la guerre ! Ce deux-pièces, c’est une affaire à ne pas louper, lui assure l’agent immobilier : « bien inférieur au prix du marché ». C’est vrai, pourtant, en cette année 2022, c’est comme si on bradait les petites garçonnières sans charmes ; elles tapissent les vitrines des agents immobiliers et lancent des clins d’œil appuyés aux passants. Bizarre …

Ni une ni deux, voilà le compromis signé. Deux mois plus tard, après avoir bien essoré le banquier le plus docile de Paris, on emménage enfin. Mais, un chantier de rénovation s’impose, à n’en pas douter. Car l’esthétique « loft » du précédent propriétaire est désormais daté. Les murs bruts et les poteaux métalliques, c’étaient très tendance dans les années 90, mais aujourd’hui cette déco warholienne n’est plus de bon ton. Décidant de rompre au plus tôt avec l’ambiance post-punk de son nouveau logis, elle se met en quête d’un artisan sur le web. Elle finit par le trouver, sur ce site célèbre dont le nom évoque sans détours le paiement en liquide. Bob, c’est le nom de ce personnage rare dont on s’arrache les services dans les métropoles en mal de main d’œuvre. Cependant, Bob a ses principes : le règlement, c’est toujours en espèces, sinon rien : « Car vous comprenez, ma bonne dame, la tva, les charges, tout ça, … On ne s’en sort plus ! ». Nonobstant, Bob est doué, très doué même. C’est ce que constate notre parisienne en regardant les photos qu’il fait défiler sur son smartphone : des appartements « white cube », une ou deux villas cossues de la Vallée de Chevreuse refaites à neuf, et même quelques villégiatures de bord mer …Alors, le petit appartement de notre parisienne, c’est du tout cuit. Il hausse les épaules, lève les yeux au ciel et laisse échapper un soupir lorsqu’elle feuillette devant lui les derniers numéros de AD et de The Socialite Family…

Il ne fallut pas plus d’une quinzaine de jours pour que notre homme ne commençât son chantier, des plaques de plâtre par ici, du mortier adhésif par-là. Pour ce qui est de l’isolation thermique, Bob a ses idées bien à lui : « On ne va pas utiliser des matériaux trop épais. Vu le prix du m², il ne s’agit pas de toucher à la superficie Carrez ! Faites-moi confiance, assure-t-il à sa cliente, je connais des isolants maxi-performants avec une épaisseur mini-mini. »

Notre parisienne donna carte blanche à Bob. Pour l’heure, elle ne fut pas déçue. Bob transforma son petit appartement en un intérieur de luxe pour milléniale branchée. Il n’y avait plus qu’à meubler. Le tour des boutiques déco fut fait dans la mesure des quelques économies restantes. Mais, en tout cas, le petit chez-soi métropolitain n’avait plus rien avoir avec le loft originel. La parisienne savoura ses premières semaines en son logement ; qu’il est bon d’être propriétaire, se disait-t-elle, lorsqu’elle se délassait sur son canapé, ou qu’elle flânait devant sa fenêtre, une tasse de café à la main, en savourant la douceur d’un beau soleil d’automne.  

Mais à mesure que ce dernier pâlit, l’appartement fraîchit, et un beau jour, notre parisienne, frissonnant quelque peu à l’approche de l’hiver, tendit machinalement la main vers le thermostat de son radiateur. Ce fut une prise de conscience : « ça caille, ne cessât-elle, depuis, de se répéter ! » Et elle avait beau pousser le potentiomètre à fond vers la droite, l’ambiance de son logis ne s’en trouvait jamais améliorée. Alors, fraîchement installée ( c’est peu dire), notre héroïne rechigna à inviter ses ami.e.s pour un dîner ou même pour un café. Elle se résigna à passer ses week-ends hivernaux à demi-recluse, chaussées d’épaisses chaussettes « hygge », sous sa couette, à siroter un maté, en feuilletant le dernier album de Margaux Motin.

« C’est pas une vie, se dit-elle, excédée par ce froid hivernal qui semblait ne jamais finir ! » Elle se mit à ruminer, à broyer du noir, à moudre des pensées sombres et presque diaboliques : « le réchauffement climatique, ça a peut-être du bon, finalement » ou encore « les gaz d’échappement en ville, ça a au moins le mérite d’atténuer la rigueur de l’hiver. » Puis, la conscience ébranlée par ces considérations intempestives, elle se décida à sortir de chez elle, non pas pour se colleter avec le froid mordant qui sévissait ce matin-là dans les rues de la capitale, mais pour se réchauffer dans la véranda ensoleillée du bistro du coin. Elle y rencontra une de ses amies, s’installa à sa table et commanda un double crème.

-      Et ton appartement, lui lança son amie ? Tu as fini tes travaux ?

-      Mouais, c’est fini.

-      Et alors, tu ne m’invites pas ?

-      J’ai encore deux ou trois trucs à mettre en ordre. Bientôt, oui bientôt, je t’inviterai, disons … au printemps. Oui, au printemps, c’est l’affaire de quelques semaines maintenant.

Le cafetier s’approcha sur ses entrefaites et déposa le grand crème bien chaud sur la table. Elle s’en saisit aussitôt en plaquant ses mains sur la tasse brûlante, comme pour se réchauffer les extrémités.

-      Ecoute, reprit-elle, il faut que je te dise, cet appart’, c’est une catastrophe, en fait, un frigo, une glacière, un entrepôt réfrigéré pour les restos du quartier. C’est invivable, en réalité, lâcha-t-elle excédée !

L’amie ne sut quoi répondre en constatant sa grande détresse. Elle balbutia seulement trois mots : diagnostic, performance, énergétique… Notre propriétaire se ressaisit. Oui, le DPE, elle l’avait bien lu au moment de la vente, même si l’agent immobilier lui avait dit qu’à Paris, ça ne comptait pas. Et puis, ces travaux qu’elle a fait effectuer par Bob, cela aurait dû améliorer le confort, non ? Pas sûr, lui répondit son amie qui lisait les journaux. En tout cas, elle aurait tout intérêt à faire diagnostiquer son appartement…

Le lundi suivant, rendez-vous fut pris avec une agence spécialisée et, un peu plus tard dans la semaine, le diagnostiqueur pointa le bout de son télémètre laser. Il inspecta les murs extérieurs, celui donnant sur la cour, puis celui donnant sur la rue. Un rapide coup d’œil entre les fenêtres et le doublage et le diagnostiqueur s’arrêta net en considérant la très faible épaisseur de l’isolation.

-      Vous avez effectué des travaux d’isolation, tout récemment ?

-      Oui, parce que le DPE ... c’était pas ça. Alors, j’ai voulu améliorer les choses …

Subitement, elle éprouva la honte d’avoir pris à la légère la piètre qualité énergétique de son logement. Elle lâcha ce bobard pour ne pas passer pour une idiote.

-      Mais, vous avez probablement une facture, non ?

Eh non, pas de facture ! Car, pour Bob, la paperasse, c’est du temps de perdu. Et le temps, c'est de l’argent. Et puis, une facture, c'est même gênant quand on se fait payer en liquide. Alors, pas de facture, la messe est dite.

Au bout d’une heure d’inspection, le devoir accompli, le diagnostiqueur s’en allât sans trop prêter attention aux propos enjôleurs de notre « primo donna ». Cette dernière, en désespoir de cause, avait tenté de jouer de son charisme pour rallier le diagnostiqueur à sa façon, toute personnelle, de considérer la situation.

Mais, ce fut en vain. Quelques jours plus tard, la missive tomba comme un couperet dans sa boite aux lettres : « G ».

Oui, la lettre G. Cela voulait dire : interdiction de louer sa passoire thermique très chèrement payée à quiconque.

Voilà donc notre parisienne dans de beaux draps, prise dans les affres d’une ascension maslovienne contrariée, et bien incapable d’entrevoir une issue à tout ça. A qui pourra-t-elle revendre ce petit appartement privé de son potentiel locatif ? A un éternel célibataire aimant vivre dans une fraîche solitude ? Ou alors, devra-t-elle y passer le petit quart de siècle qui la sépare de l’ultime remboursement d’emprunt pour, finalement, passer son investissement par pertes et profits ? Que de questions sans réponses …

Tout en se désespérant, elle s’interrogea : lui aurait-on menti à l’agence immobilière ? Même pas. C’est sûr, les étiquettes énergie à Paris, ce n’est pas vraiment pris au sérieux. On ne peut pas dire que l’agent lui ai raconté des histoires. Seulement, il aurait pu insister sur les évolutions règlementaires qui attendaient l’appartement de notre parisienne.

Par ailleurs, elle réalisa amèrement que la rénovation est une affaire sérieuse, qu’on ne doit pas faire appel à des bricoleurs ubérisés. Elle songea un instant à se plaindre auprès du site web. Qui sait, peut-être que Bob pourrait recommencer les travaux ? Mais, en y pensant sérieusement, elle se désola à nouveau et se rappela qu’un courtier, fût-il digital, n’est responsable d’à peu près rien. Il n’y a, ma foi, pas grand-chose à tenter de ce côté-là non plus.

 

C’est ici que la petite histoire de notre héroïne se heurte à une succession d’effets contradictoires. La constitution d’un capital personnel se fait le plus souvent par une acquisition immobilière, ce type de placement est d’ordinaire à l’abri des fluctuations de l’économie. Il finit presque toujours par valoir plus cher que ce qu’il a coûté. Et c’est sans doute pour ces raisons que l’achat immobilier est une réalité sociologique et économique qui transcende les conditions ; elle est, pour les individus, le signe d’une certaine réussite quelle que soit la catégorie professionnelle à laquelle on appartient. De ce fait, la valorisation mécanique des biens immobiliers est un des moteurs de la prospérité générale. La freiner, la contrarier, la rendre moins automatique, c’est prendre le risque d’appauvrir les individus et par voie de conséquence d’altérer la richesse globale. La politique du trait de plume qui sévit depuis cette l’année à l’égard des logements énergivores perturbera immanquablement notre rapport à l’immobilier. Cette situation nouvelle renchérira les logements se trouvant à l’abri de ces nouvelles dispositions, c’est-à-dire les plus récents. Quant aux plus anciens, ceux construits avant 1975 ( ils constituent plus d’un logement sur deux), ils seront les éternels suspects, à tort ou à raison, d’une politique se déclarant l’ennemi juré des passoires thermiques et projetant le « quoi qu’il en coûte » de leur éradication. Seulement, cette éradication est hypothétique, en réalité. Il s’agit plus d’une déclaration d’intention que d’une volonté de réduire à brève échéance notre dépendance énergétique, par la suppression (toute théorique) de la part critique de notre parc de logements. Car, concrètement, la complexité, la diversité des situations, des typologies et des périodes de construction font que toute généralisation est une vue de l’esprit, et même une aberration. Cela ne pouvait échapper à personne, et pourtant …

A Paris, les passoires thermiques comptent pour plus d’un logement sur deux. Faudra-t-il pour autant projeter un renouvellement massif de la capitale pour rendre la Ville Lumière conforme aux enjeux écologiques ? Nous occupons pour beaucoup d’entre nous un bâti qui nous a été transmis par des générations plus ou moins éloignées et dont le rapport au confort ou à l’énergie n’avait rien à voir avec le nôtre. Une stratégie manquant les paramètres de cette irrécusable temporalité ne peut aboutir qu’à une série d’impasses.

Et puis, par ailleurs, qui financera toute cette rénovation ? Les particuliers portent encore l’énorme poids des réhabilitations, ils ne sont aidés que très partiellement par les pouvoirs publics ; ces derniers conditionnent surtout les subventions aux ressources des ménages, alors qu’il faudrait concentrer l’aide publique sur des logements frappés de détresse énergétique sans aucune contrepartie. Mais, malgré cela, c’est le saupoudrage des aides que l’on aura préféré sans questionner un instant son efficacité …Mais que vaut-il mieux ? la rénovation sans conditions de presque toutes les passoires énergétiques ou l’amélioration générale et finalement très aléatoire du plus grand nombre de logements dont les performances thermiques ne sont pas toutes catastrophiques …

Il aurait été bien plus judicieux et surtout plus conséquent d’impliquer les collectivités territoriales, de leur enjoindre de cibler, immeuble par immeuble, îlot par îlot, tout ce qui pouvait être amélioré énergétiquement en favorisant, si possible, le renouvellement urbain. Mais à défaut de cela, tout porte à croire qu’il nous faudra compter encore longtemps avec nos passoires thermiques. On continuera alors à déclamer que la réhabilitation est un acte citoyen ; c’est vrai, c’est bien le cas, mais le problème, c’est qu’assez assez peu de gens finalement peuvent se permettre de bien rénover leurs logements. Et ce n’est pas avec des entrepreneurs confrontés à l’ubérisation que les choses s’arrangeront. Là aussi, il faudrait défendre plus énergiquement le modèle économique des entreprises sans lesquelles rien ne peut être fait, et ne pas céder aux sirènes d’une digitalisation qui voudrait nous faire croire que tout peut se régler d’un simple clic, y compris l’amélioration des logements.

 

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