Phobie d’impulsion : quand la peur de commettre l'irréparable nous envahit Un adulte sur 500, soit à peu près 100.000 Français, serait concerné
Foncer en voiture dans un mur, jeter son bébé par la fenêtre, pousser quelqu'un sous le métro... Des images mentales d'actes violents que l'on ne commettra jamais s'imposent parfois à nous. Mais chez certains, cela peut devenir une obsession douloureuse...
Sabrina avait tout juste 20 ans quand le cauchemar a commencé: elle s'est mise à imaginer qu'elle allait pousser son compagnon dans la Loire lors de leurs promenades quotidiennes le long du fleuve. « Ces images s'imposaient à moi et m'effrayaient, je n'osais plus m'approcher du bord », raconte-t-elle. Des années plus tard, elle dut cacher les couteaux de sa maison de peur de poignarder quelqu'un. « Je voyais des scènes d'horreur dans ma tête, je m'en voulais terriblement. J'avais peur d'être quelqu'un de mauvais », poursuit la quadragénaire. En cherchant un jour sur Internet, elle a mis le doigt sur son trouble : « phobie d'impulsion ».
Il arrive que l'on soit traversé par une pensée violente ou meurtrière, dépourvue de toute rationalité: par exemple, un automobiliste s'imaginera roulant sur la file de gauche pour s'encastrer sur la voiture d'en face ou dans un mur. Ce type de pensée fugitive surgit épisodiquement sans prêter à conséquence. Cependant, certaines personnes sont prises d'une peur obsessionnelle de ne pas réussir à s'empêcher de commettre cet acte qu'elles réprouvent, et cela transforme leur vie en calvaire. On parle alors de phobie d'impulsion. « Cela devient problématique quand ces pensées intrusives infiltrent le sujet au moins une heure par jour. La peur d'écraser quelqu'un en voiture constitue le motif le plus fréquent en consultation », explique Alain Sauteraud, psychiatre à Bordeaux. « Nous rencontrons des situations très variées. Des patients s'inquiètent de jeter leur tasse de café sur leur patron, d'autres de violer, de s'exhiber ou encore d'insulter quelqu'un dans une église » renchérit son confrère Franck Lamagnère.
« L'idée qu'on puisse faire mal à quelqu'un qu'on aime est très difficile à supporter. Certains individus ne veulent pas rester seuls avec leurs propres enfants, de peur qu'il leur arrive quelque chose. »
Alain Sauteraud, psychiatre à Bordeaux et auteur de «Mieux vivre avec un toc» (Odile Jacob, 2002).
Environ un adulte sur 500, soit à peu près 100.000 Français, serait concerné par les phobies d'impulsion. Elles sont classées dans la famille des troubles obsessionnels compulsifs, les «tocs». En effet, ces pensées qui font irruption de manière récurrente entraînent une lutte du patient avec lui-même. Bien qu'il n'y ait jamais de passage à l'acte, celui qui en souffre reste sur ses gardes, au point qu'il a une chance sur deux de faire un épisode dépressif majeur dans sa vie. « L'idée qu'on puisse faire mal à quelqu'un qu'on aime est très difficile à supporter. Certains individus ne veulent pas rester seuls avec leurs propres enfants, de peur qu'il leur arrive quelque chose », pointe Alain Sauteraud, auteur de Mieux vivre avec un toc (Odile Jacob, 2002).
Les antécédents familiaux accentuent la probabilité de développer des phobies d'impulsion. Par ailleurs, « deux facteurs de poussée favorisent le déclenchement de toc : la perte d'un emploi ou d'un proche, et le surcroît de responsabilité lié à la naissance d'un enfant », énumère Franck Lamagnère, auteur de Toc ou pas toc ? Reconnaître un trouble obsessionnel compulsif et le guérir (Odile Jacob, 2016).
Les phobies d'impulsion peuvent ainsi s'exprimer lors du post-partum. D'une part, la mère subit après l'accouchement un bouleversement hormonal avec la disparition de la progestérone. D'autre part, elle se retrouve en charge d'un être particulièrement vulnérable. « Quand j'ai eu mon premier fils, cela m'a effrayée de le voir si fragile et dépendant de moi. Brusquement j'ai eu peur de le jeter du troisième étage où nous vivions. J'y pensais tous les jours. Je faisais des crises de panique, je devais éloigner son lit de la fenêtre », témoigne Lucile.
« Qu'est-ce qui vous garantit que je ne vais pas tuer ma femme et mes enfants comme Xavier Dupont de Ligonnès ? » « Lui n'a jamais consulté un psychiatre pour lui confier qu'il avait peur de commettre un meurtre. »
Dialogue entre Alain Sauteraud, psychiatre à Bordeaux et auteur de «Mieux vivre avec un toc» (Odile Jacob, 2002), et l'un de ses patients.
Pour le médecin ou le thérapeute, le premier réflexe consiste à déculpabiliser son interlocuteur. « Le sujet ne devrait pas se blâmer d'avoir des pensées qui sont contraires à son système de valeur », souligne Franck Lamagnère. À un patient qui lui demanda : « Qu'est-ce qui vous garantit que je ne vais pas tuer ma femme et mes enfants comme Xavier Dupont de Ligonnès ? », Alain Sauteraud répondit ainsi que ce dernier « n'avait jamais consulté un psychiatre pour lui confier qu'il avait peur de commettre un meurtre ».
Un traitement médicamenteux peut s'avérer utile. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, antidépresseurs de la famille du Prozac, aident certains individus à mieux gérer leurs phobies d'impulsion. Le dosage est généralement supérieur à celui prescrit pour une dépression. Mais la solution la plus pérenne se trouve du côté de la thérapie comportementale: sous la supervision de son psychiatre, l'individu s'expose très graduellement à la situation qu'il vit comme dangereuse. Ainsi Lucile, cette mère qui redoutait de jeter son bébé par la fenêtre, s'est exercée à s'approcher de la fenêtre avec le nourrisson en commençant au premier étage. D'abord quelques secondes, puis quelques minutes. « Progressivement le patient expérimente un retour au calme. Au bout de vingt ou trente essais, le cerveau lâche », évoque Alain Sauteraud. Et l'obsession finit par s'apaiser.
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Par Thomas Lestavel Le Figaro
L’engagement de l'Œuvre FALRET fondée il y a 180 ans : combattre l'exclusion des personnes atteintes de problèmes psychiques et favoriser leur inclusion. 4000 adultes, adolescents et enfants, accueillis dans 43 établissements grâce la mobilisation de 650 salariés et des bénévoles.
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